Hacktivisme online

 

"Rendre accessible le travail des médias alternatifs à Evian" [Aris Papathéodorou]

Un des pères de Mediactivism.org nous invite à un parcours "hors-piste" dans l'info alternative

Aris Papatheodorou est graphiste, journaliste et activiste. C'est un des fondateurs de Samizdat, un portail créé dans le mouvement des grèves de décembre 1995 par un collectif d'une dizaine de militants, "pour permettre l'expression des sans voix, sans légitimité, sans papiers...

Depuis plusieurs mois, Aris Papatheodorou travaille avec d'autres groupes européens à l'élaboration de Mediactivism.org, un nouveau portail destiné à être une chambre d'écho et un laboratoire des médias alternatifs. A la veille du début du contre-sommet d'Evian opposé au G8, il explique la vision qui sous-tend ce projet de long terme et les spécificités des médias "différents".

Vous lancez, à l'occasion du contre-sommet du G8, le portail Mediactivism. Quel est son but ?

Mediactivism s'est constitué au moment de la conférence zelig.rc2 (Rencontre d'activistes des médias et de l'Internet, en décembre 2002 à Paris, NDLR). Il s'agit de faire avancer la coopération entre les acteurs des médias alternatifs en Europe. Les premières occasions de tester ce nouveau portail seront le G8 à Evian, le Forum social européen à Paris en novembre prochain et le Sommet de la société de l'information (WSIS) à Genève en décembre.

L'idée c'est d'ouvrir un espace, ou plutôt des espaces, pour expérimenter des dispositifs de communication, pour tester des outils, pour faire circuler du savoir et de l'expertise.

Mediactivism.org, c'est une zone autonome temporaire pour avancer dans un processus plus large de coopération entre ceux qui produisent de l'information et du savoir en dehors des canaux institutionnels.

Les outils mis en place autour de votre portail Samizdat, comme le fil d'info Hacktivist News Service, ne suffisent-ils pas à couvrir l'évènement ? Pourquoi créer une nouvelle plate-forme ?

Mediactivism est une initiative lancée par des membres de Samizdat, effectivement, mais qui se veut indépendante, plus ouverte et plus large qu'un simple collectif. C'est pourquoi il y a une mailing list, un "portail" thématique, Mediactivism.org et un site de documentation, Mediactivism.net. A ce dispositif viendront s'ajouter d'autres outils, comme un wiki (un site contributif dont les pages peuvent être ajoutées et modifiées librement par les internautes, NDLR), un canal de messagerie instantanée cryptée, etc.

Dans les milieux alternatifs et militants, il y a quand même des formes d'autisme, de repli identitaire sur son propre groupe, ses propres références et mythes politiques. Il y a des moments où il faut savoir faire du "hors-piste", sortir de la simple reproduction de sa propre activité, pour emprunter des chemins de traverse.

Des voix dissidentes, comme la revue Silence, critiquent la pertinence des contre-sommets : à quoi servent-ils, si ce n'est à ritualiser et à baliser des espaces "anti" finalement peu dérangeants pour l'ordre établi ?

On peut effectivement se poser la question. En même temps, un mouvement a besoin de temps forts de mobilisation, et c'est souvent l'agenda de l'adversaire qui les détermine... Le problème, c'est finalement de savoir ce que l'on est capable de construire comme relations et comme capacités d'actions pendant ces temps de mobilisations, au-delà leur côté rituel ou leur "récupération".

A propos de récupération, je pourrais répondre à la manière du vieux Marx : la lutte est à la fois la contestation de l'état de choses présent et le moteur de son renouvellement. Ce qui compte, c'est le mouvement et sa capacité à produire des espaces de liberté, et non les jugements moraux sur une pureté "radicale" abstraite.

Le discours "altermondialiste" ne devient-il pas caricatural à l'extrême, à force de simplification, notamment lorsque, comme lors du sommet d'Evian, convergent et s'unissent des mouvements aussi différents que les groupes libertaires et des courants plus réformistes comme Attac ?

Il n'y a pas de discours "altermondialiste" en soit, mais des multitudes de discours, de subjectivités, de sensibilités. Là-dedans, il y a bien sûr de vieilles idéologies de gauche, comme l'idée d'une régulation étatique des marchés, ou des courants historiques de la critique radicale, comme les libertaires. Mais il y a surtout une foule de "choses exotiques" et très créatives, des petits groupes, des ONG, des réseaux plus ou moins informels.

Source: Transfert (28/05/2003)

 

Avant le contre-sommet du G8, les médias s'activent en ligne

A quelques jours du sommet du G8 à Evian, la nébuleuse altermondialiste s'ébranle et clôt les préparatifs désormais presque rituels des contre-sommets. Petit tour d'horizon en ligne.

Les multitudes en marche luttent pour faire entendre leur voix, en ligne. Dans ce concert multi-plateforme, des associations et collectifs très différents se font entendre. Alors que les médias institutionnels relaient le discours sécuritaire officiel, les médiactivistes souhaitent, encore et toujours, offrir d'autres canaux d'information.

Lieux d'information et de mobilisation, les sites qui contestent le G8 servent d'abord d'outils pratiques aux militants.

Le camp des altermondialistes

Les altermondialistes ne pouvant pas accéder à la "zone rouge" où se déroule le sommet officiel, ils seront cantonnés dans des espaces où leur contestation pourra s'exprimer. Les deux campements principaux, situés près d'Annemasse, ont chacun une vitrine en ligne, que ce soit le Village intergalactique ou le Vaaag (Village alternatif, anti-capitaliste et anti-guerre). Les futurs manifestants peuvent y puiser toutes les informations dont ils ont besoin pour l'organisation de leur séjour et de leurs activités militantes (voir par exemple cet agenda).

D'autres campements existent côté suisse, comme à Lausanne ou Genève et les deux points de ralliement officiels se décomposent eux-mêmes en plusieurs espaces très différents, qui ont souvent leurs propres pages en ligne. Le Point G, un village féministe non-mixte contre le G8 en fait partie.

Enfin, Anti-G8, est un site touffu, revendicatif et plein d'humour, qui rend compte d'une initiative hilarante : mettre le feu au lac.

Portails sur le pont

Au-delà de ces zones temporaires, physiques et virtuelles, des structures actives toute l'année créent souvent sur leur site des sections spécifiques pour les événements d'Evian. Parmi eux, le collectif Bellaciao, créé en février 2002 pour relayer auprès des internautes français l'actualité militante altermondialiste italienne ou la célèbre association Attac.

Le collectif international d'info contributif Indymedia est bien sûr très mobilisé. La section suisse, Indymedia Suisse romande est sur le pont, en son et en images.

Enfin, deux initiatives cherchent à construire des espaces médiatiques alternatifs "unitaires".

Le portail Mediactivism.org (lire l'interview d'Aris Papathéodorou) est à la fois un système d'information et de communication, une base documentaire, une boite à outils et un réseau d'échange de savoirs... Ce "medialab" peut aussi se lire comme un test préparatoire aux futures expériences autour du Forum Social Européen, qui se tiendra en septembre à Paris et Saint-Denis. On y trouve mailing-lists, wiki (site dont les internautes peuvent modifier toutes les pages, NDLR), bibliothèque, espace de téléchargement de logiciels libres...

Avec l'iniative medialter.org, une partie de l'ancienne équipe de Mediasol, le portail de l'économie solidaire, forte de son expérience passée reprend à l'occasion du G8 son travail d'information en gardant une même veine éditoriale. Lancé il y a quelques jours, Medialter succède à Mediasol, actuellement en sommeil car lâché par une partie de ses financeurs.

Selon Joëlle Palmieri, de Medialter, il s'agit toujours de "donner la parole aux gens et de mettre en perspective, en débat, leurs différentes opinions, qu'ils soient professionnels de l'information ou pas". Selon elle, ce projet est "plus orienté mouvements, alternatives, résistances pour un autre monde" que l'ancien portail. Au milieu des autres initiatives strictement militantes, Medialter réunit des titres "professionels", comme Témoignage Chrétien ou Territoires, et des associations et ONG comme le Cedetim ou 4D (Dossiers et débats pour le développement durable).

SMS au bord du lac

Mais les sites web ne sont qu'une partie des ressources et moyens de communications anti-G8 et les militants n'ont que l'embarras du choix entre les nombreuses mailing-lists, ces listes de diffusion par email souvent plus pratiques et rapides que les pages internet.

Pour le sommet d'Evian, un système de publication par SMS sera même disponible, sur Project-Hive. Cette plateforme propose aux militants d'envoyer infos et photos à partir de leur téléphone portable ou de leur assistant personnel. Une initiative bien pratique quand les ordinateurs se font rares, si tant est que les autorités ne gèlent pas les réseaux de téléphonie mobile, comme cela a plusieurs fois été évoqué.

Source: Transfert (28/05/2003)

 

Hacktivisme online

Hackers et activistes fusionnent leurs compétences sur le web, donnant naissance à une nouvelle forme d'engagement, mi-technologique mi-politique. A l'intention de ceux qui veulent utiliser le web pour autre chose que pour de l'e-VPC...

Les hackers sont à l'origine de l'internet. A force de pousser toujours plus loin leurs investigations à l'intérieur des systèmes informatiques, ils n'ont fait que les améliorer. Les activistes, par ailleurs, arrivent grâce à la toile à s'organiser et à se regrouper beaucoup plus efficacement qu'auparavant. L'hacktivisme réunit ces deux cultures et on en repère les premières traces dans les années 80 avec des groupes comme le Chaos Computer Club, qui pénétra des systèmes informatiques gouvernementaux afin de dénoncer les risques de "big brotherisation" de la société de l'information.

L'"intelligence collective"

L'une des raisons d'être de l'hacktivisme est d'attirer un grand nombre de personnes à appuyer là où ça fait mal tout en évitant la casse et les dégâts humains : si la technologie peut être une arme, elle n'est pas de l'ordre de la confrontation physique. Ici, la guerre est celle de l'information, donc de la liberté d'expression... et l'internet est un très précieux outil pour diffuser de l'information à moindre coût, les médias libres comme les associations "alternatives" ne s'en privent d'ailleurs pas. Mais les activistes utilisent aussi et surtout newsgroups et mailings-listes, réunions virtuelles réunissant autour d'un même sujet et par email de quelques dizaines à plusieurs milliers d'internautes désireux de mettre en commun informations et compétences.

Simple comme un coup de clic !

Il y a quelques années, un leader syndical mexicain était assassiné par un commando d'extrême-droite : en quelques heures, l'information était retransmise par le web à des ONG du monde entier sous la pression desquelles, pour la première fois, le gouvernement mexicain arrêta les meurtriers. On peut aussi citer la lutte contre les OGM, l'association ATTAC ou encore les milliers de groupes internationaux qui, via le web, se sont ligués contre la conférence de l'OMC à Seattle. Si le web est truffé de sites perso et associatifs, il est aussi bourré de pubs et de la propagande de grosses sociétés qui voient d'un mauvais oeil ceux qui s'opposent à elles et combattent leur vampirisation de l'internet. Et si l'e-commerce a ses bandeaux de pub, le web indépendant a ses bannières de protestation : plusieurs dizaines de milliers de sites s'étaient ainsi mis en berne lors de l'affaire altern.org, transformant la fête officielle en "défête de l'internet". On peut aussi citer les centaines de banderoles de soutien à Mumia Abu-Jamal, qui ont, entre autres, contribué au report de son éxécution.

Simple comme un site web

D'autres sites se spécialisent en contre-propagande : rtmark (pour "registered trademark"), "société de courtage" américaine, se charge ainsi de financer et promouvoir certains projets "subversifs". Pour le Front de Libération des poupées Barbie, ils interchangèrent les puces de 300 Barbie et Ken afin que le "mâle" parle comme la "fifille", et vice versa. Une autre fois, ils réussirent à faire s'embrasser sur la bouche deux des guerriers d'un jeu vidéo particulièrement macho (80 000 copies furent vendues avant qu'on ne s'aperçoive du piratage). Leur dernier coup d'éclat est un site web qui se veut la réplique exacte de celui de Georges Bush Jr en vue d'en dénoncer l'hypocrisie et qui rappelle au bon souvenir du candidat conservateur aux présidentielles US certains de ses mensonges, ainsi que... son passé de cocaïnomane. Plusieurs millions d'internautes ont déjà visité le site, qui a été couvert par la presse internationale.

Troyens, virus et autres sales bestioles

Mais la forme d'hacktivisme la plus sophistiquée, et la plus controversée, se sert des failles et autres "bugs" des systèmes informatiques. Ainsi de Back Orifice, logiciel libre et gratuit mis à la disposition de tous sur le web par le Cult of the Dead Cow, réputé groupe de hackers américains. Leur "troyen" se présente comme une amélioration de celui, payant, de Microsoft qui sert à gérer, à distance, les réseaux informatiques. En fait, il exploite un des nombreux "trous de sécurité" qui font le charme (et le chiffre d'affaires) du leader informatique tant décrié en vue de s'infiltrer dans l'ordinateur de quelqu'un d'autre, et d'en prendre le contrôle. Il existe également des logiciels de "mail-bombing" pour inonder les boites aux lettres et toute une gamme de produits, virus et autres cyber-cochoncetés par centaines destinés à pourrir la vie via le web.

Bug Brothers

Mais les hacktivistes réprouvent ce genre de "terrorisme", ce qui n'empêche pas certains d'user parfois de technologies dignes des services secrets pour protéger leur anonymat et ne pas risquer d'être inquiétés. Ainsi, récemment, la guerre du Kosovo fut l'occasion pour un certain nombre de petits génies de l'informatique de dénoncer l'attitude de l'OTAN en modifiant les home pages de dizaines de sites US, les serbes ayant même fait circuler un CD-Rom spécial "pirates" pour cela (voir l'interview des hackers pakistanais d'HPC); au même moment, d'autres se mobilisaient pour B92, la radio libre de Belgrade, afin de contourner la censure du régime de Milosevic, en mettant à sa disposition un système semi-clandestin de retransmission par internet.

Bigbrotherisation ?

Bien évidemment, comme il s'agit de l'internet, on vous parlera beaucoup plus souvent des terroristes et des cyber-délinquants que des hacktivistes, de même qu'on vous parlera plus facilement d'e-commerce que de liberté d'expression... tout en recensant à votre insu un maximum d'informations concernant vos pratiques de consommateur, faisant du web un vaste supermarché livré à la concurrence mondiale de ceux qui recoupent fichiers clients et banques de données. Sauf que les moyens mis à la disposition des "simples citoyens" n'ont jamais été aussi nombreux, faciles d'accès et efficaces qu'aujourd'hui. Ainsi, les autorités australiennes ayant décidé de censurer les aspects "subversifs" du web à compter du... 1er janvier 2000 (des mots comme "sein", "drogue" et même... "libre" seront interdits !), une cyber pro du X s'est fendue d'un strip tease serti du ruban bleu, symbole de la liberté d'expression sur le web, dévoilant les nombreuses connexions à son site de ceux-là même qui ont voté la loi, tout en expliquant comment contourner ladite censure... En France, à l'occasion du sommet mondial des régulateurs de l'internet organisé par le CSA, le gouvernement vient d'annoncer la création d'un organisme d'"auto-régulation" destiné nous dit-on à contrer la domination de certaines transnationales s'exprimant en anglais, et à permettre l'accès du plus grand nombre au web... Affaire en cours... Tout ne dépendra jamais que du degré de mobilisation des internautes contre les big brothers en puissance. A vous de jouer !

Source: Nova Magazine, (12/1999)