Les «hacktivistes» durcissent le ton

Deux associations allemandes ont tenté de saturer le site de la Lufthansa


La désobéissance civile électronique est en vogue. Des milliers d'internautes ont engorgé de connexions le site de la Lufthansa mercredi, entre 10 h et midi, pour le saturer afin qu'il disparaisse du Web. Un assaut mené à l'appel de deux associations allemandes reprochant à la compagnie de mettre ses appareils au service du gouvernement pour l'expulsion des immigrés clandestins. Résultat ? «Le site a été difficilement accessible pendant une dizaine de minutes», a concédé une porte-parole de la firme, mercredi soir. Un effet que l'on a pu constater : vers 10 heures du matin, il était quasi impossible de se brancher. Quelques minutes plus tard, les pages s'affichaient de façon fluide. «Nous avons augmenté la capacité de nos serveurs», explique la compagnie.

Logiciel

Le mouvement a été lancé par les associations Libertad ! et Kein Mensch ist illegal («Aucun humain n'est illégal»). Ses responsables ont fait circuler par e-mail un communiqué incitant les internautes opposés aux expulsions à se connecter en masse mercredi matin. Et un «logiciel de manifestation» a été placé sur une dizaine de sites. Une fois téléchargé, un clic déclenche une volée de requêtes sur le site.

Cette action est le dernier avatar d'un phénomène appelé «hacktivisme», contraction de hacker et d'activisme. «Les activistes du passé faisaient le blocus des positions physiques de pouvoir, les hacktivistes se saisissent des nouveaux lieux de pouvoir dans le cyberespace», explique Julie Thomas , du SANS Institute, organisme américain de réflexion sur l'informatique. Un but atteint en recyclant à des fins politiques les techniques utilisées par les pirates informatiques. «Ce genre d'action est de plus en plus fréquent, explique un porte-parole de l'OCDE. Depuis Seattle, il y a les combats dans la rue et les combats cybernétiques. Tout organisme visible doit se prémunir contre ces attaques.»

Un avertissement pour la Banque mondiale, dont les dirigeants ont choisi de remplacer la réunion de Barcelone, la semaine prochaine, par un meeting via le Net... afin d'éviter des violences type Göteborg. Au petit jeu de la techno-militance, l'action la plus classique est le mail-bombing. Les Amis de la terre ont ainsi appelé récemment les internautes à bombarder George Bush d'e-mails contre ses positions antienvironnementales.

«Sit-in»

Certains sont plus ambitieux : le collectif anglo-saxon Electrohippies est ainsi connu pour avoir arrosé de connexions un site de l'Organisation mondiale du commerce (OMC), durant la conférence de Seattle en décembre 1999, provoquant l'arrêt temporaire du serveur. Lors du récent sommet des Amériques, à Québec, ils ont inauguré le concept de «sit-in électronique», sur le même principe. Cette fois, il ne s'agit pas de mettre un site en rideau, mais de le ralentir le plus possible. Tout comme un groupe de gens décidés peut rendre difficile l'accès à un bâtiment, sans le bloquer. Les Electrohippies insistent sur la légitimité de ces opérations, qui reposent sur une participation massive des internautes, et non sur la volonté de quelques-uns, car «si les gens ne votent pas avec leur modem, l'action peut être un échec cuisant». Une justification «démocratique» reprise par les associations à l'origine de l'action contre la Lufthansa.

Les cibles de ces offensives, de leur côté, ne cherchent pas à entrer dans les débats théoriques du mandat populaire ou non des techniques employées. «C'est une atteinte à la liberté d'information que défendent pourtant ces militants», signale-t-on à l'OCDE. La Lufthansa hésite encore à porter plainte.

 

Source: Libération (22/06/2001)