Mercenaires

 

Origines et atouts des sociétés militaires privées

Des mercenaires ont de tout temps étaient incorporés aux troupes nationales. Il n’était pas anormal de se battre pour de l’argent, et non pour un idéal patriotique. L’image des « mercenaires » en tant qu’individus, engagés dans le conflit, de nationalités autres que celles des forces en présence et rétribués par l’une des parties, est connoté négativement à cause des nombreuses exactions qui ont eu lieu dans des zones sensibles du globe.

Avec ces dernières décennies s’est développé un nouveau type de mercenariat : le mercenariat d’entreprise. Des sociétés privées nationales ou multinationales se sont spécialisées dans les services de défense. Elles ont de nombreuses appellations, ce qui dénote le caractère flou qui les entoure. Tantôt décrites comme des « sociétés internationales de sécurité» (Private International Security Companies) ou plus simplement des « sociétés de sécurité » (Private Security Firms), nous adopterons une autre appellation commune : les « sociétés militaires privées » (Private Military Compagnies – PMC).

Le secteur de la sécurité militaire est aujourd’hui estimé à 100 milliards de dollars par an.

Des avantages économiques…

Tout d’abord, d’un point de vue économique, la mise en commun des moyens permet de pallier aux réductions des budgets. Les solutions militaires privées sont ainsi plus souples et moins coûteuses à mettre en œuvre. Ces SMP sont en effet payés seulement en fonction des besoins.

De plus, l’augmentation du coût des armements dits « intelligents » devrait, à terme, empêcher certains pays d’entretenir une armée moderne. La réduction des budgets s’est également accompagnée d’une diminution des effectifs des forces armées : les forces militaires des Etats-Unis, de la Russie, de la Grande-Bretagne et de la France ont ainsi diminué de trois quarts. En 1991, au moment de la première guerre du Golfe, l’armée de terre américaine comptait 780 000 hommes, contre seulement 480 000 aujourd’hui.

Mais aussi d’ordre sociétal et militaire

Les SMP présentent également des avantages d’ordre sociétal. Leur emploi est peut-être un moyen pour résoudre le refus des sociétés de voir exposer les vies de leurs soldats. Le fondateur de Sandline International confirme cette perception : « Si les personnels de nos compagnies militaires privées sont tués, cela n'a pas le même impact émotif que si ce sont des soldats des forces nationales ».

Sur le plan militaire, ces forces armées privées, constamment en contact avec le terrain, immédiatement mobilisables sans les habituelles lourdeurs administratives, auraient une efficacité comparable aux armées nationales. Kofi Annan, secrétaire général de l’ONU, avouait après le génocide du Rwanda : « Si j'avais disposé d'une brigade avec sa puissance de feu et ses hommes, bien équipés et bien entraînés, j'aurais pu sauver des centaines de milliers de vies humaines ».(1)

Le mercenariat et les Etats-Unis, une longue histoire…

Durant la guerre révolutionnaire américaine, grâce à l’article I-section 8, le Congrès continental avait le pouvoir d’émettre des « Letters of Marque and Reprisals » (Lettres de reconnaissance et de représailles). En possession de telles lettres, des « privés » avaient le droit d’armer des flottes privées destinées à attaquer les lignes de commerce maritime britannique. Ces sociétés ainsi armées avaient le droit de pirater des navires ennemis et d’en garder le butin, si les opérations ont été exécutées conformément à ces lettres. Plusieurs analystes voient dans cet article de la constitution américaine les bases mêmes des lois régissant les activités des SMP. De nos jours, les SMP ont toujours besoin d’une telle autorisation de la part du gouvernement. Elles doivent obtenir une licence du Department Office du Defense Trade Controls.

En 1996, en Bosnie, une personne sur 10 autour du champ de bataille était un civil sous contrat employé alors que cette proportion n’était que d’une personne sur 50 en 1991, lors de la première guerre du Golfe. Ce sont ce type d’entreprises qui ont été les premières dans le Golfe pour débarquer les équipements et les armes de l’armée américaine en amont de son déploiement. Ainsi près de 40 entreprises travailleraient en permanence sur le terrain pour le Pentagone, mais le nombre de SMP utilisées par l’armée américaine n’est pas public. L’utilisation discrète de ces entreprises permet d’échapper au contrôle des membres du Congrès, des médias et de l’opinion publique.

Par exemple, le Congrès avait limité à 20 000 soldats le nombre des troupes autorisées à être envoyées en Bosnie. Cette restriction avait pu être contournée grâce à l’emploi de 2000 privés. Cette méthode de contournement permet également de maintenir une présence « militaire » américaine dans de nombreux pays dits « sensibles ».

En tout état de cause, les SMP sont le plus souvent des entreprises de droit privé, majoritairement anglo-saxonnes, obéissant à la logique économique du secteur privé, prestataires de services liés à des activités de défense et de sécurité (conseils, formation, soutien logistique, fourniture de personnel de surveillance, et déminage).

(1) Thomas K. Adams, The New Mercenaries and the Privatization of Conflict, Parameters, 1999.

Source: InfoGuerre (11/06/2003)

 

Mercenariat, SMP et législation internationale

Après le dossier sur le MPRI, et le Panorama des principales sociétés militaires privées (SMP), Infoguerre.com revient sur les Sociétés militaires privées (SMP) pour en décoder l’existence et leur cadre légal à travers les textes de législation en vigueur.

Il existe deux instruments internationaux en vigueur :

- L’article 47 du Protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève de 1949

- La Convention de L’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) sur l’Elimination du Mercenariat en Afrique de 1977.

En 1989, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une Convention internationale (contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction des mercenaires). Mais cette dernière n’est toujours pas appliquée car un nombre insuffisant de pays l’a ratifié (ratifié par 19 Etats, alors qu’il en faut 22 pour entrer en vigueur).

L’article 47

Selon l’article 47 du Protocole additionnel de 1977 aux Conventions de Genève de 1949, un individu est considéré comme « mercenaire » lorsqu’il correspond à ces critères :

a. Etre spécialement recruté dans le pays ou à l’étranger pour combattre dans un conflit armé,
b. Prendre ou tenter de prendre une part directe aux hostilités, en vue d'obtenir un avantage personnel ou une rémunération nettement supérieure à celle des combattants réguliers,
c. Ne pas être ressortissant ou membre des forces armées d'un Etat impliqué dans le conflit,
d. Ne pas avoir été envoyé en mission officielle par un autre Etat.

Pourtant la législation internationale dans ce domaine est peu efficace, à cause de l’inexistence de législation internationale sur les sociétés ou les agences de sécurité. La définition de l’article 47 porte en effet sur l’utilisation de mercenaires en tant qu’individus, et non en tant que sociétés de sécurité. Cette définition des mercenaires est trop restrictive pour correspondre au personnel des Sociétés militaires privées (SMP).

La distinction entre des «employés» des SMP et des «mercenaires» réside dans le fait que les premiers font partie d’entités officielles et légales, qui encadrent leurs activités. Ces «employés » sont redevables à des supérieurs, eux-mêmes liés à leurs clients par des contrats formels. L’alinéa a de l'article 47 précise également que l’embauche doit être effectuée en vue d’un « conflit particulier ». Or, puisque les SMP recrutent leurs employés pour de longues périodes, ces derniers ne rentrent pas dans cette définition. Les SMP mettent enfin l’accent sur le fait que leurs employés sont des instructeurs, des conseillers ou même des stratèges qui ne participent pas «directement» aux conflits, ce qui les exclue de la définition b. Enfin, les employés peuvent encore se faire octroyer la citoyenneté d’une des parties en guerre pour éviter la définition c.

Cette faille est révélatrice du besoin d’actualiser la loi pour prendre en compte l’évolution du phénomène. L’article 47 ne cherche ni à réglementer ni à interdire les activités des mercenaires, mais à préciser leur statut légal par rapport à la catégorie des combattants. Cette distinction revient à une condamnation de leur participation à des conflits, car elle les prive des droits reconnus aux blessés et aux prisonniers de guerre.

La Convention de l’OUA

La Convention de l’OUA a été adoptée en 1977 à la réunion de Libreville, et est entrée application en 1985. Elle procure aux pays d’Afrique une meilleure protection légale contre les activités de mercenariat.

Pourtant, sa définition des mercenaires ne diffère que très peu de celle proposée par l’article 47, et n’inclue pas la totalité des formes possibles des activités des mercenaires.

Source: InfoGuerre (05/05/2003)

 

Des chiens de guerre aux entreprises de guerre

La France s'est dotée d'une loi pour réprimer les méfaits des « soldats de fortune ». Mais elle ne tient pas compte de l'évolution de l'activité.

«De la poudre aux yeux destinée à calmer de nombreux chefs d'État africains. » Tel est le commentaire qu'inspire à Philippe Chapleau, journaliste à Ouest-France et spécialiste de la question, la loi sur le mercenariat votée à l'unanimité par l'Assemblée nationale française, le 3 avril dernier. À la suite de la controverse née de l'engagement de mercenaires français dans le conflit ivoirien, le gouvernement de Jacques Chirac a ressorti des cartons le projet déposé le 4 avril 2002 par Alain Richard, le ministre de la Défense de Lionel Jospin. Le Sénat l'a adopté le 6 février dernier. Ne manquait plus que l'approbation des députés.

Désormais « est passible de cinq ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende » toute personne qui a été « spécialement recrutée pour combattre dans un conflit armé » en échange d'une forte rémunération, sans être ressortissante ou membre des forces armées de l'un des pays engagés dans ledit conflit. Le texte s'inspire clairement du statut du « soldat de fortune » tel qu'il est défini par l'article 47 du premier protocole additionnel aux Conventions de Genève, l'un des principaux instruments du droit international en la matière (voir encadré). Une définition qui remonte donc à l'époque des décolonisations. Or, en vingt-cinq ans, l'activité a considérablement évolué.

Depuis deux ans environ, de puissantes multinationales de la sécurité militaire et privée ont racheté la multitude de microsociétés spécialisées dans un mercenariat plus ou moins avoué qui pullulaient au début des années quatre-vingt-dix. Structurées et performantes, ces entreprises ont établi des liens avec de nombreux systèmes de défense nationale. Des compagnies comme la danoise Falk, la britannique Sandline ou l'américaine Military Professional Ressources Inc. (MPRI) sont en train de s'implanter sur le « marché » français. Sous contrat avec le département d'État américain, MPRI a créé le Centre africain des études stratégiques, qui enseigne à une quinzaine de démocraties la manière de gérer leurs armées. Les nouveaux mercenaires ainsi employés arborent davantage la chemise blanche des techniciens surdiplômés que la tenue kaki des « chiens de guerre » des années soixante. On est loin des Bob Denard et autres « affreux » aux méthodes anarchiques.

Pourtant, le projet de loi français ne s'attache à réprimer que le mercenariat « traditionnel ». Certes, le texte prévoit « sept ans d'emprisonnement assortis de 100 000 euros d'amende » pour toutes les personnes qui auront organisé « le recrutement, l'emploi, la rémunération, l'équipement ou l'instruction militaire » d'un mercenaire. Mais cette bonne intention affichée ne pèse pas lourd face à de « véritables entreprises de guerre », comme les qualifie Michèle Alliot-Marie, la ministre française de la Défense. Même Marc Joulaud, rapporteur du projet de loi devant l'Assemblée nationale, convient que le texte ne règle que le problème du mercenariat « de papa ». Et de préciser que « tout le monde souhaite qu'il reste limité à cet aspect ».

La France n'entend certainement pas se priver d'un outil de politique étrangère essentiel, et qui va encore prendre de l'importance dans les années à venir. Les participants au débat parlementaire n'étaient d'ailleurs pas dupes. Guy Teissier, le président de la commission de la Défense nationale, a souligné que « les services de renseignements préfèrent parfois recourir à des personnels spécialement rémunérés plutôt qu'à leurs propres éléments pour accomplir certaines missions ». On comprend mieux la suppression du terme « officiel » dans la définition du type de mission effectuée par le mercenaire. Ne seront pas poursuivis ceux qui pourront se prévaloir d'une protection de l'État lors de « chantiers » à l'étranger, qu'ils soient publics ou non. En revanche seront réprimés les « électrons libres » qui, comme l'indique le rapport du projet de loi, participeront à « un conflit, un coup d'État ou une insurrection à titre personnel, [...] en s'affranchissant de toute allégeance ». Autrement dit, le gouvernement français reconnaît le mercenariat comme un droit et compte toujours y recourir, tant que les « chiens de guerre » ne gênent pas sa politique étrangère.

Sonnant comme une résurgence de la « Françafrique », l'attitude française n'a pour l'instant été dénoncée que par Pierre Osho, le ministre de la Défense du Bénin. Lors d'une séance du Conseil de sécurité, le 18 mars dernier, ce dernier a fermement indiqué « qu'il ne suffisait pas d'invoquer la liberté individuelle des personnes concernées [par le mercenariat] pour se dérober de sa responsabilité au plan étatique ». Les Béninois, il est vrai, parlent en connaissance de cause. Le 16 janvier 1977, Bob Denard et son équipe de soldats perdus ont raté leur tentative de coup d'État qui visait à éliminer physiquement le président de l'ex-Dahomey, Mathieu Kérékou. Traduit devant la justice en 1993 pour répondre de cette intervention armée, Denard a été disculpé par des hommes ayant appartenu aux services secrets français. Le « corsaire de la République », comme il se définit lui-même, n'aurait été que le sous-traitant des services secrets français. Verdict : une peine de prison avec sursis.

Source: L'Intelligent (18/04/2003)

 

Un millier de mercenaires recrutés en Côte d'Ivoire

Un millier de mercenaires, essentiellement sud-africains, ont été embauchés récemment pour "travailler" en Côte d'Ivoire, a appris mercredi l'AFP de sources concordantes à Abidjan.

Selon ces sources, l'embauche de ces mercenaires a été conclue via une société anglo-saxonne spécialisée dans le gardiennage et la sécurité, et découverte par des services de renseignements britanniques. Le secrétaire au Foreign Office Jack Straw a adressé à ce sujet une mise en garde à une société britannique, Northbridge Services Group.

Dans une déclaration écrite envoyée aux députés de la Chambre des Communes mardi, M. Straw se dit "très préoccupé par des informations selon lesquelles Northbridge Services Group, une société britannique, recrutait des mercenaires de Grande-Bretagne, d'Afrique du Sud et de France, et d'autres anciens militaires pour des unités militaires en Côte d'Ivoire".

"Nous avons dit clairement à Northbridge Services Group que le gouvernement britannique déplorerait toute intervention de la sorte", a-t-il ajouté dans sa déclaration aux députés. L'arrivée éventuelle de ces mercenaires, dont on ignore avec précision le ou les commanditaires, a suscité une très vive préoccupation de la communauté diplomatique à Abidjan, au moment où le processus de "réconciliation nationale" entre dans la phase délicate de la formation d'un gouvernement regroupant l'actuel pouvoir, des partis d'opposition et des représentants de la rébellion.

Ainsi, le Comité de suivi des accords inter-ivoiriens de Marcoussis a évoqué l'affaire directement avec le président Laurent Gbagbo. "Nous travaillons activement sur ce dossier", confiait mercredi à l'AFP un responsable du Comité. L'un des points de ces accords, signés le 24 janvier dernier en région parisienne par tous les partis politiques et mouvements rebelles ivoiriens, stipule que le "gouvernement de réconciliation nationale" qui sera mis en place "s'assurera qu'aucun mercenaire ne séjourne plus sur le territoire national".

Selon des sources diplomatiques, un "ambassadeur occidental" a abordé cette nouvelle affaire de mercenaires avec M. Gbagbo et, d'après un journal d'opposition, ce dernier a déclaré ne pas être au courant. Certains pays occidentaux ont déjà entrepris des démarches diplomatiques auprès des autorités sud-africaines ainsi qu'auprès du Ghana car, selon ces sources, des mercenaires pourraient transiter via l'aéroport d'Accra pour rallier la Côte d'Ivoire par petits groupes.

Depuis le début de la crise politico-militaire en Côte d'Ivoire en septembre, l'ombre des "chiens de guerre" a plané sur le conflit, et les deux camps en présence se sont mutuellement accusés d'avoir recours à des mercenaires. Le 31 octobre, la présidence ivoirienne avait nié la présence de mercenaires sud-africains aux côtés des forces loyalistes, qualifiant ces informations d'"allégations fantaisistes".

Il est pourtant avéré que des mercenaires, dont un certain "Carlos" de nationalité sud-africaine, ont bien piloté des hélicoptères MI-24 de fabrication soviétique, acquis par Abidjan après l'insurrection du 19 septembre, pour des opérations militaires contre la rébellion.

Le 3 janvier, à la suite d'un entretien avec le chef de la diplomatie française Dominique de Villepin, qui avait explicitement demandé le départ des mercenaires, le président Gbagbo avait admis leur présence en annonçant devant la presse qu'ils auraient quitté la Côte d'Ivoire dès le lendemain. Le gouvernement a de son côté accusé les rebelles d'avoir recours à des "mercenaires libériens", notamment dans l'ouest du pays, où deux mouvements rebelles contre le régime d'Abidjan sont apparus fin novembre 2002.

Deux jours à peine après le début du soulèvement militaire, un conseiller de la présidence, Toussaint Alain évoquait déjà des "mercenaires étrangers", soutenus par "un Etat voyou dans la sous-région", sans autre précision. Le 28 mars, le Conseil de sécurité de l'ONU a "condamné le recrutement des mercenaires", soulignant que les Etats voisins de la Côte d'Ivoire devaient "s'efforcer d'empêcher la participation de mercenaires" au conflit.

Source: L'Intelligent (02/04/2003)

 

Modernes mercenaires de la sécurité

Le 6 février 2003, le Sénat français adoptait, en première lecture, un projet de loi réprimant l'activité de mercenaire, déposé au début de l'année 2002 par le gouvernement précédent. Dans ce registre, aux « chiens de guerre » des décennies passées se sont substituées des entreprises privées de sécurité agissant sans aucun contrôle et souvent pour le Pentagone - de la Bosnie à la Colombie, du Burundi au Koweït.

« Quand nous avions besoin de soldats aguerris pour séparer les combattants des réfugiés,j'avais envisagé la possibilité d'engager une firme privée. Mais le monde n'est peut-être pas prêt à privatiser la paix », avait déclaré, après le génocide au Rwanda, M. Kofi Annan, alors secrétaire général adjoint de l'Organisation des Nations unies (ONU), chargé des opérations de paix. Si ces activités militaires privées rencontrent de la méfiance en France, elles recueillent plus de compréhension dans le monde anglo-saxon, où certains envisagent de « créer des forces de mercenaires volontaires organisés par des entreprises privées, pour mener des guerres sur une base contractuelle pour le compte des Nations unies».

La réapparition de mercenaires dans certaines crises africaines, comme récemment en Côte d'Ivoire, rappelle que le problème n'est pas aussi simple. Pour la première fois, une autorité politique - la Chambre des Communes de Londres - a publié un rapport sur la question, le 12 février 2002, et s'interroge sur l'activité réelle des ces « compagnies militaires privées » autrement qu'en termes manichéens. Elle tente de poser les bases d'une réflexion politique pour cadrer le débat sur le mercenariat.

Depuis une quinzaine d'années, une partie de la planète est sujette à une profonde « somalisation » : l'éclatement et la dissolution des structures de pouvoir de certains Etats minés par la corruption conduisent à la renaissance d'identités précoloniales et à l'effondrement de l'économie légale. Des « groupes armés non étatiques » - plus de 400, répartis dans près de 90 pays - sont devenus les véritables acteurs de ces crises de basse intensité.

Ceux d'origine politique sont les plus traditionnels : leur objectif déclaré reste la prise du pouvoir, mais - privés des ressources de Washington ou de Moscou par la fin de la guerre froide - ils ont décliné toute une gamme de moyens pour trouver les ressources nécessaires à leur survie. Tel fut le cas du Sentier lumineux péruvien. Dans le contexte très particulier de la Colombie, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) ont recours aux enlèvements et à un impôt sur la coca, ou sur la première étape de la transformation de celle-ci en cocaïne (pâte base) pour se financer : mais l'argent du narcotrafic finance tout autant les paramilitaires (lire Les paramilitaires au coeur du terrorisme d'Etat colombien et Dangereuse escalade), a pénétré l'armée et les secteurs économiques « respectables » ainsi que la classe politique.

Dans le cas algérien, l'Armée islamique du salut (AIS), bras armé du Front islamique du salut (FIS) qui affichait des objectifs politiques, a disparu pour laisser la place aux Groupes islamistes armés (GIA) dont les activités criminelles (vol, pillage et massacres) sont devenues essentielles à leur survie et même à leur identité. D'autres n'ont pour ambition que de protéger l'espace traditionnel de leurs clans ou de leurs ethnies, sans objectif national affirmé, comme les technicals somaliens ou les factions tchadiennes.

Certains groupes armés non étatiques sont d'essence exclusivement criminelle, même s'ils disposent d'une base sociale, comme la Shan United Army du Myanmar, ou plus récemment certaines confréries de pirates de mer de Chine du Sud, ou des mafias ethniques de Russie qui n'ont pour objet que la pérennité de leurs activités délictueuses.

Un phénomène planétaire

A côté de ce détournement de la violence politique, qui change beaucoup l'image du traditionnel guérillero, le développement de milices privées est un processus de « centre-américanisation ». Des intérêts privés ou des agents des forces de sécurité se transforment pour lutter contre les guérillas ou certaines formes de délinquance irréductibles. Les milices d'extrême droite colombiennes, salvadoriennes ou brésiliennes peuvent être des excroissances des forces de sécurité (comme les « escadrons de la mort ») ou des groupes au service d'intérêts privés de grands propriétaires fonciers (massacres de paysans, de syndicalistes, racket) ou même - en sous-main - de l'Etat.

Dans le cas des Autodéfenses unies de Colombie (AUC), disposant d'environ 10 000 combattants, principales responsables des assassinats de paysans et de syndicalistes, la milice tire ses ressources essentielles du trafic de cocaïne : son leader Carlos Castaño est sous le coup d'une (très récente) demande d'extradition des Etats-Unis.

Ces groupes peuvent être aussi des citoyens en armes assurant des missions de sécurité, comme les milices, groupes de patriotes, et autres gardes communales algériennes, qui compteraient jusqu'à 140 000 personnes. Dans ce cas, l'Armée nationale populaire algérienne (ANP), trop peu sûre de l'appui de la population pour lutter contre les groupes islamiques armés, aurait choisi de « privatiser » la sécurité en s'appuyant sur les anciens moudjahidins. On constate, avec les chefs de guerre afghans, combien les frontières de classification sont floues entre guérillas politiques, ethniques, criminelles, et milices claniques.

L'aide financière ou militaire internationale avait pour effet d'encourager l'unité de ces groupes, qu'ils soient rebelles ou étatiques, en assurant une certaine stabilité politique et des revenus réguliers. Mais la perte de ces soutiens a renversé la tendance et exacerbé le caractère fragmentaire, volatil et imprévisible de ces « groupes armés non étatiques ». La radicalisation de certains d'entre eux est le signe tangible de leur adaptation aux conditions nouvelles pour accaparer les ressources. Ainsi aux nouvelles économies de guerres fondées sur la prédation et la criminalisation, correspond une forme d'organisation politique très dispersée et souvent autonome - d'une violence extrême.

Longtemps cantonné à des zones spécifiques ou à des sanctuaires, le phénomène est désormais présent sur l'ensemble de la planète. La fin de l'ordre de la guerre froide a levé les contraintes matérielles qui entravaient son développement. Il a permis notamment la circulation de quantité d'armes de guerre venant des anciens pays socialistes et du marché libre américain, mais aussi l'accès aux économies des pays occidentaux pour financer les activités criminelles (drogue, diamants). Le caractère transnational de ces activités constitue la plus efficace des protections face à des Etats peu à même d'agir au-delà de leurs frontières.

Cette explosion de la violence privée a entraîné la multiplication des petits foyers de crise qui ne suscitent plus obligatoirement l'intérêt des grandes puissances, peu désireuses d'y engager des forces, a fortiori sous mandat onusien. Les Etats locaux affaiblis, quelle que soit leur légitimité, sont dépourvus de moyens militaires suffisants, et ont parfois recours aux sociétés de sécurité internationales. Certains imposent aux investisseurs ou acteurs étrangers d'assurer eux-mêmes la protection de leurs installations, comme c'est le cas pour les pétroliers en Angola, au Congo ou en Algérie : formation, sécurisation de sites, mais aussi mercenariat actif. L'Afrique est le continent de prédilection de telles activités.

Autre conséquence : les risques criminels se multiplient pour les acteurs privés (entreprises, organisations non gouvernementales) ou publics (organisations onusiennes) de dimension internationale, qui n'ont désormais plus d'interlocuteurs étatiques crédibles dans les zones de crise. Le développement de sociétés de sécurité à vocation internationale constitue la réponse privée à cette nouvelle situation, au point que « la plus grande partie du fardeau consistant à défendre la société contre la menace de conflits de basse intensité sera transférée au secteur de la sécurité privée en pleine expansion». Si le rapport entre les gardes privés de sécurité et les forces de police officielles s'établit à trois pour un dans les pays développés, il irait jusqu'à dix pour un, voire plus, dans certains pays en crise.

La stratégie de financement de l'Armée de libération nationale (ELN) colombienne s'est développée dans la zone pétrolifère de Santander. L'oléoduc Limon-Coveñas a été dynamité plus de quatre cents fois en huit ans, soit une fois par semaine, et les secuestrados (cadres étrangers enlevés) ne sont rendus que contre forte rançon. La compagnie nationale, qui refuse sur ordre du gouvernement de payer le tarif de la « protection » de la guérilla, a été victime d'un nombre impressionnant d'attentats au point de se retrouver économiquement menacée.

Le rapport d'enquête sur la fourniture d'armes à la Sierra Leone, rendu par Sir Thomas Klegg et Robin Ibbs devant la Chambre des communes le 27 juillet 1998 à Londres, dressait la liste des activités proposées : conseil, formation, soutien logistique, déminage, fourniture de personnel de surveillance, les sociétés allant jusqu'au mercenariat. Mais il reconnaissait la difficulté de différencier clairement les types de sociétés sur cette base.

Le désengagement des grandes puissances, conjugué à la relative incapacité de l'ONU à mobiliser des forces, a facilité la reprise des activités de mercenariat à l'occasion de certains conflits africains, en raison de la demande d'Etats faibles et parfois dictatoriaux, dans les années 1990. Les premières sociétés qui ont attiré l'attention étaient d'origine sud-africaine (Executive Outcomes), israéliennes (Levdan), britanniques (Sandline) ou américaines (MPRI), et sont intervenues dans des crises à fort enjeu économique (le pétrole en Angola, le diamant en Sierra Leone). Les commanditaires pouvaient être des gouvernements locaux, des entreprises (minières ou énergétiques surtout) ou des institutions internationales (Banque mondiale, ONU). Les analystes y ont vu, avec raison, la résurgence d'un néo-mercenariat.

Executive Outcomes (EO), cas le plus symbolique, a été créée en 1989 par d'anciens militaires d'origine sud-africaine : son premier contrat, en 1992, avec des sociétés pétrolières, consistait à dégager et sécuriser certaines zones tenues par l'Unita. Son succès lui valut deux contrats de 80 millions de dollars avec le gouvernement angolais : Luanda avait fait remarquer que les différentes actions de l'ONU (forces d'interposition et observateurs), beaucoup plus onéreuses, étaient restées sans effet. A son apogée, EO était présente dans plus de trente pays essentiellement africains, avec près de 500 employés en Angola et en Sierra Leone. La compagnie a été officiellement dissoute en 1998.

Mais le phénomène ne se limite pas au mercenariat. Les activités des sociétés de sécurité internationales répondent à un besoin plus large ; elles vont de l'analyse de « risque-pays » pour des investisseurs au conseil à des gouvernements en matière d'organisation militaire ou d'achat d'équipements et même d'entraînement des forces (y compris au combat), en passant par le soutien logistique aux opérations humanitaires ou aux forces des Nations unies. L'audit de la sécurité de sites pour des entreprises - de l'encadrement au déminage - fait également partie des services proposés.

L'essentiel du chiffre d'affaires de ces sociétés ne se fait d'ailleurs pas outre-mer mais dans les pays du Nord, où les armées occidentales professionnalisées privatisent de plus en plus d'activités : gardiennage, entretien, maintenance, formation, coopération. Le secteur élargi de l'industrie de sécurité privée représenterait un chiffre d'affaires d'une cinquantaine de milliards de dollars (toutes catégories confondues) ; plus de 2 millions de personnes y travaillent, Etats-Unis compris, dont 800 000 personnes en Europe. Rien qu'en France, selon l'ex-officier de gendarmerie Paul Barril (lui-même reconverti dans la sécurité privée), ce secteur représenterait 1,5 milliard d'euros et 90 000 emplois - soit un effectif comparable à la gendarmerie. Il y aurait environ 300 000 entreprises de sécurité et d'assistance militaire de toute taille dans le monde. Plus d'une centaine de compagnies de dimension internationale travaillent sous contrat en Afrique et dans des pays comme la Colombie ou l'Indonésie.

L'idéologie libérale des institutions financières internationales ou des Etats anglo-saxons pousse à des formules de recours au privé, notamment dans le domaine de la formation militaire ou de l'appui logistique. Elle mène à des privatisations inattendues, comme celle des douanes au Mozambique, en Angola, ou en Bulgarie avec la société britannique Crown Agency. Présentée comme une arme de lutte contre la corruption de l'administration locale, cette technique ne semble pas donner des résultats significatifs et, de plus, rappelle étrangement les méthodes de la pénétration coloniale du XIXe siècle.

Le calcul coût-efficacité incite aussi parfois à ce genre de solution privée. Le contrat passé par le régime du capitaine Strasser avec Executive Outcomes en 1995, en Sierra Leone, d'un montant de 35 millions de dollars pour vingt et un mois d'opérations - qui avait abouti à un processus de négociations avec le mouvement rebelle du Front révolutionnaire uni (RUF) - fut moins onéreux que les 247 millions de dollars dépensés pour le déploiement durant huit mois d'observateurs de l'ONU, finalement inefficace.

La professionnalisation des armées et la baisse générale des effectifs dans les pays développés avec la fin de la guerre froide, qui auront conduit à la démobilisation de près de cinq millions d'hommes entre 1985 et 1996 sans toujours s'accompagner de mesures économiques et sociales, a fourni une vaste main-d'oeuvre à ces sociétés de sécurité privées. Les nationalités de ces personnels sont significatives : Afrique du Sud, Israël, Royaume-Uni, Etats-Unis, France, Bulgarie, Ukraine, Russie...

Le débat sur l'activité de ces sociétés est fortement influencé par deux a priori. D'une part, les premières activités se sont déroulées sur des théâtres africains, menées par des sociétés d'origine sud-africaine et israélienne, ce qui a immédiatement rappelé le temps des compagnies privées de la colonisation, et surtout ravivé les souvenirs de mercenariat des années 1960 et 1970. Quand certaines de ces sociétés interviennent aujourd'hui en Tchétchénie ou en Somalie, ce préjugé tombe.

D'autre part, les premiers commanditaires ont souvent été des régimes politiques (prédateurs et incompétents) ou des entreprises minières ou énergétiques. La suspicion sur les intentions réelles du contrat prévalait. Quand ces sociétés agissent pour le compte d'ONG humanitaires (évaluation des risques, formation des personnels à la sécurité, sécurisation de sites, et aussi déminage et conseils pour des populations déplacées ou libération d'otages...), la question doit être examinée sous un autre angle. On a alors le sentiment que les interrogations sur la légitimité de cette activité sont plus éthiques que pratiques.

Un débat approfondi sur l'interdiction du mercenariat suppose une clarification de ces grandes questions, sauf à rendre les textes internationaux actuels ou futurs peu applicables. Ainsi, au-delà des « mercenaires », les « volontaires » sont exclus du premier protocole additionnel de 1997 à la Convention de Genève sur le mercenariat ou des conventions de l'OUA (3 juillet 1977) « si leurs motivations sont idéalistes » : c'est la difficulté juridique que rencontrent les Américains avec les prisonniers de Guantanamo. Certaines sociétés, comme Sandline en Papouasie-Nouvelle-Guinée, contournent les textes en imposant par contrat un grade dans l'armée locale pour leurs salariés.

Insuffisance du dispositif juridique

Leur responsabilité, voire leur légitimité, suppose la transparence de leurs structures capitalistiques, afin de ne pas retrouver certaines pratiques critiquables, comme par exemple les liens unissant Executive Outcomes et sa branche minière Branch Heritage Group. Mais quelques sociétés ont installé leurs sièges sociaux dans des places off shore. La responsabilité pénale des hommes dans leurs actions de terrain passe par la responsabilité de la personne morale. Dans ce sens, la structuration en sociétés « officielles » offre a priori, sous certaines conditions, une garantie meilleure que les actions quasi individuelles des années 1960 et 1970.

Le respect de la souveraineté de l'Etat dans lequel se déroulent ces activités doit rester l'objectif final de l'intervention. La négociation et le paiement de la rançon de personnes kidnappées se font discrètement, par le truchement de sociétés privées de sécurité mandatées par les compagnies d'assurance, le plus souvent londoniennes, sans intervention aucune des Etats, surtout si ceux-ci ont une politique officielle de non-négociation avec les preneurs d'otages. Ainsi, dans une certaine mesure, la privatisation de la sécurité contribue-t-elle à entretenir l'activité de prise d'otages.

La nature du contrat, ses modalités et sa durée demeurent essentielles. La privatisation de certaines ressources du pays, parfois liée à certains de ces contrats, par exemple sous forme de rémunérations en nature, constitue un pis-aller qui doit être encadré. En outre, la question des rapports de ces sociétés avec les Etats démocratiques où elles sont nées est un champ de réflexion important. La délivrance de licences d'accréditation (comme cela se pratique aux Etats-Unis) ou l'élaboration d'un code éthique interne à la profession représentent deux modalités de réglementation de l'activité, qui pourraient garantir aux Etats du Sud, commanditaires, le sérieux des entreprises. La compatibilité de leur action avec les objectifs de politique extérieure des grandes démocraties reste également à définir.

L'insuffisance du dispositif juridique interdisant le mercenariat est donc grave, mais toute approche en la matière resterait imparfaite si elle ne prenait pas en compte le problème de l'encadrement des activités privées de sociétés internationales de sécurité.

Source: Le Monde Diplomatique (Avril 2003)

 

Enquêtes sur la présence de mercenaires en Afrique

Des enquêtes sont en cours sur l'implication éventuelle de mercenaires sud-africains dans plusieurs conflits africains, en particulier au Burundi, a indiqué la semaine dernière le ministre de la Justice.

“Certaines sociétés rendent des services à certaines parties à un conflit : diverses formes d'assistance viennent soit de citoyens sud-africains, soit de résidents permanents en Afrique du Sud”, a déclaré M. Maduna. “Il y a un bon nombre de cas où nous examinons si ces gens enfreignent nos lois. Si c'est le cas, des poursuites vont être engagées”, a-t-il ajouté, en refusant de donner des détails.

Le ministère de la Justice a de son côté évoqué des informations de presse sur “quelques mercenaires partis au Burundi faire un travail, et le ministre de la Défense a indiqué qu'il allait vérifier cela”. Cette enquête porte sur le Burundi, mais d'autres pays africains doivent être examinés.

Fin 2002, des informations venant de Côte d'Ivoire, corroborées par des analystes sud-africains, ont fait état de la présence en Côte d'Ivoire de plusieurs dizaines de mercenaires, dont des Sud-Africains, pour le compte du gouvernement Gbagbo. L'Afrique du Sud, dans les années 1990, a été un important fournisseur de mercenaires, ex-militaires pour la plupart, qui ont servi dans des conflits comme en Angola ou en Sierra Leone, pour le compte de gouvernements, rébellions, ou d'intérêts économiques privés (pétrole, diamants). Mais le pays a adopté en 1998 une législation sévère interdisant toute activité mercenaire ou para-mercenaire (entraînement, recrutement) aux Sud-Africains ou aux résidents en Afrique du Sud. Des firmes comme Executive Outcomes ont fermé, selon certains analystes probablement pour rouvrir à l'étranger.

Source: Clicanoo (24/02/2003)

 

Qu'est-ce qu'un mercenaire ?

Les conventions de Genève (1) fournissent les bases d'une définition du mercenariat, reprises par la future loi française. Peut-être considérée comme «mercenaire» toute personne qui répond à l'ensemble de ces critères : «Etre spécialement recruté pour combattre dans un conflit armé», «prendre ou tenter de prendre une part directe aux hostilités», «en vue d'obtenir un avantage personnel ou une rémunération nettement supérieure» à celle des combattants réguliers, ne pas être «ressortissant» ou «membre des forces armées d'un Etat partie au conflit» et «ne pas avoir été envoyé en mission officielle par un autre Etat».

(1) Protocole I du 8 juin 1997 additionnel aux conventions de Genève du 12 août 1949.

Source: Libération (19/02/2003)

 

L'armée américaine fait de plus en plus appel au secteur privé

En Bosnie, en 1996, une personne sur dix autour du champ de bataille était un civil sous contrat, employé par une société fournisseur du Pentagone. Flexibles et discrets, ces groupes privés sont devenus un élément-clef du dispositif des Etats-Unis. Le Congrès s'inquiète de l'absence de contrôle.

On les trouve parfois dans les classements des 500 premières entreprises américaines. Leurs domaines d'activité sont rarement décrits avec précision – il s'agit à la fois de services et de technologie. Le Pentagone ne peut plus faire la guerre sans elles. Ces entreprises discrètes sont les nouveaux mercenaires des Etats-Unis. Certaines entraînent les troupes dans le désert koweïtien, d'autres gardent nuit et jour le président afghan Hamid Karzaï, entretiennent et protègent des ambassades, des bâtiments sensibles et des bases à l'étranger, expérimentent et utilisent des systèmes d'armes sophistiqués ou parfois recueillent des renseignements. Elles ont été les premières à débarquer des stocks d'équipements, d'armes et de munitions dans le Golfe pour préparer le déploiement en cours de l'armée américaine. Elles sont sur tous les fronts en Bosnie, en Macédoine, en Colombie...

Durant la guerre du Golfe, en 1991, 1 personne sur 50 autour du champ de bataille était un civil sous contrat. En Bosnie, en 1996, cette proportion était passée à 1 pour 10. Près de 40 entreprises travaillent ainsi en permanence sur le terrain pour le Pentagone. Kellog Brown & Root, par exemple, a assuré pour 2,2 milliards de dollars (2,03 milliards d'euros) la logistique des troupes américaines dans les Balkans. Il s'agit d'une filiale d'Halliburton, dont le PDG était, de 1995 à 2000, un certain Dick Cheney, aujourd'hui vice-président des Etats-Unis.

MPRI (Military Professionals Resources Inc.) est célèbre pour "avoir plus de généraux (à la retraite) au mètre carré" que le Pentagone lui-même. MPRI compte 900 salariés, pour la plupart des anciens militaires. Ils ont obtenu au cours des dernières années plus de 200 contrats différents pour la formation d'unités américaines. Ils ont aussi rédigé bon nombre de manuels militaires. "Nous pouvons avoir dans les 24 heures, à la frontière serbe, une vingtaine de personnes qualifiées. L'armée ne peut pas le faire", explique un porte-parole de la société. MPRI a entraîné des milliers de soldats dans les Balkans (Croatie, Bosnie) et de nombreux pays africains.

D'autres entreprises tentent d'être moins voyantes, telles DynCorp, Wackenhut, Vinnell (une filiale de TRW), Logicon (du groupe Northrop Grumman), SAIC... Le nombre de "privés" utilisés par l'armée américaine n'est pas public, ni le budget que cela représente. Même les sociétés cotées en Bourse évitent de distinguer leurs activités civiles et "militaires". Mais le "marché" est estimé à 100 milliards de dollars par an.

Moins cher, plus discret

"Les contractants sont devenus tout simplement indispensables, explique John Hamre, ancien secrétaire adjoint à la défense de l'administration Clinton. Et ils ne fournissent pas seulement la soupe dans les cuisines." Ces entreprises permettent au Pentagone de gérer la baisse continue de ses effectifs. Il y a douze ans, au moment de la guerre du Golfe, l'armée de terre comptait 780 000 hommes. Elle en a à peine 480 000 aujourd'hui. Le recours au privé contribue aussi à réduire les coûts. Les contractants sont seulement payés en fonction des besoins. Enfin, utiliser discrètement des entreprises permet d'échapper au contrôle des parlementaires, des médias et de l'opinion publique.

Le Congrès avait fixé à 20 000 hommes la limite des troupes autorisées à être envoyées en Bosnie. Pour contourner cette interdiction, le Pentagone a fait appel à 2 000 privés. Il devient aussi plus aisé de maintenir une présence américaine dans des pays sensibles comme le Nigeria, l'Arabie saoudite, Taïwan, l'Ukraine, la Macédoine. "Si vous envoyez des soldats, quelqu'un le saura ; s'il s'agit d'une entreprise privée, quasiment personne", explique Deborah Avant, professeur de l'université George-Washington (Washington DC).

Au moins cinq employés de DynCorp sont morts au cours des dernières années en Amérique latine, sans faire trop de bruit. Ils ne portaient pas d'uniforme. DynCorp s'est vu confier depuis deux décennies le "plan Colombie", qui consiste à pulvériser par avion des défoliants au-dessus des champs de coca ; ces appareils se sont fait tirer dessus plus d'une centaine de fois sans faire les gros titres des journaux.

L'histoire de DynCorp, rachetée le 13 décembre 2002 pour 1 milliard de dollars par CSC (Computer Sciences Corp.), est exemplaire. L'entreprise a vu le jour en 1946 sous le nom de California Eastern Airways. Elle embauchait alors des pilotes démobilisés pour transporter du fret aérien. Son activité s'est développée en Asie pendant les guerres de Corée et du Vietnam. Puis DynCorp a envoyé ses avions et ses pilotes en Amérique latine. La baisse des budgets de la défense au début des années 1990 l'a poussée à s'orienter avec succès vers la technologie à vocation militaire et de sécurité. Elle emploie aujourd'hui 23 000 personnes et réalise un chiffre d'affaires de 2,3 milliards de dollars – dont 98 % de contrats publics –, la moitié dans la sécurité et l'autre dans les technologies de l'information.

Police et prostitution

DynCorp a remporté une part substantielle du budget de 379 millions de dollars de modernisation du système informatique du FBI, dont les enquêtes parlementaires après les attentats du 11 septembre 2001 avaient prouvé l'obsolescence. Elle a installé cet été 20 000 ordinateurs dans les bureaux de la police fédérale dans tous les Etats-Unis. La société met en place un réseau baptisé "Trilogy". Elle travaille aussi, entre autres, pour le centre de commandement des opérations sous-marines et aériennes de la marine américaine, a installé le système de communications d'urgence des ambassades américaines et posé ses appareils de détection le long de la frontière mexicaine.

En Bosnie, des salariés de DynCorp formaient la police et dirigeaient aussi un réseau de prostitution. Quand le scandale a éclaté, ils ont été seulement licenciés. Ils ne dépendent pas de la justice militaire. Ils n'ont pas à répondre de leurs actes à une autorité judiciaire et politique. Ils travaillent pour une entreprise dont la motivation est de faire du profit.

Dans un rapport publié en 2002, le Government Accounting Office (GAO), l'organisme d'enquête du Congrès, épingle l'armée, qui n'est souvent pas très regardante sur le coût des services assurés par les contractants. "Etre responsable et rendre des comptes est essentiel quand vous transportez des armes ou pilotez des hélicoptères pour servir la politique étrangère des Etats-Unis", affirme le sénateur démocrate Patrick Leahy. "Les contribuables américains paient déjà près de 400 milliards de dollars par an pour financer la plus importante machine de guerre de la planète. Faut-il payer une seconde fois pour privatiser nos opérations ?,s'interroge le représentant démocrate Janice Schakovsky. A moins que nous le fassions pour cacher des choses embarrassantes."

Source: Le Monde (11/02/2003)

Projet de loi relatif à la répression de l'activité de mercenaires

La commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a approuvé, assorti de deux amendements, le projet de loi relatif à la répression de l’activité de mercenaires qui viendra en discussion devant la Haute assemblée jeudi 6 février.

Le rapporteur, M. Michel PELCHAT (UMP, Essonne), a souligné l’actualité de ce texte qui avait été déposé en toute fin de législature par le gouvernement précédent. Il a notamment estimé que le recours au mercenariat contribuait à entretenir l’instabilité et les conflits dans plusieurs régions du monde.

Il s’est félicité que ce projet de loi permette de compléter notre code pénal afin de combler un vide juridique et de poursuivre efficacement les faits de mercenariat commis par des ressortissants français ou des personnes résidant habituellement sur notre territoire.

Aux yeux du rapporteur, le principal mérite du texte est de s’appuyer sur une définition précise des faits incriminés, reprenant les critères les plus largement admis par le droit international, et notamment le protocole I additionnel aux conventions de Genève.

M. Michel PELCHAT, rapporteur, a également mentionné la possibilité, grâce à ce texte, de mettre en cause la responsabilité pénale de personnes morales qui seraient impliquées dans des actions de mercenariat.

La commission sénatoriale des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté deux amendements de précision, notamment pour permettre la bonne application du texte au cas de mercenaires agissant auprès de forces non-gouvernementales.

Source: Sénat (05/02/2003)

 

Le fiasco des mercenaires français en Côte-d'Ivoire

a guerre est une chose dangereuse, même pour les mercenaires. En Côte-d'Ivoire, les «chiens de guerre» français, embauchés par le régime de Laurent Gbagbo, en ont fait l'expérience. Dans sa dernière livraison, la lettre confidentielle TTU raconte les mésaventures d'un «groupe de 37 mercenaires» qui étaient chargés de «l'encadrement d'une compagnie de 105 hommes sous commandement direct de la présidence». Selon une source interrogée par Libération, leur échec militaire contre les rebelles a sérieusement «déçu» Laurent Gbagbo. Le président ivoirien ne s'est donc pas fait longtemps prié pour accéder à la requête de Paris de mettre fin aux activités de mercenaires.

Escouade

En octobre, Gbagbo avait dû faire appel à des mercenaires pour pallier l'extrême faiblesse de son armée. Dominique Malacrino, un ancien de chez Bob Denard, a pris la tête de cette escouade, sous le pseudonyme de «commandant Marquez», alors qu'il n'est qu'un ancien caporal-chef de la Légion étrangère. Ses hommes devaient former une colonne mobile avec des Ivoiriens pour mener des raids chez les rebelles. «Marquez aurait été complètement dépassé par l'ampleur des opérations sur le terrain», écrit TTU.

Selon nos informations, un grave accrochage a eu lieu, en décembre, face à des miliciens libériens dans l'ouest du pays. Les mercenaires ont été attaqués à l'arme lourde, alors qu'ils progressaient à bord de véhicules. Plusieurs d'entre eux ont été blessés, dont deux grièvement. L'un des mercenaires a perdu la vue et un autre a été criblé par des éclats d'obus. Ils n'ont eu la vie sauve que grâce à l'intervention de mercenaires sud-africains équipés de mortiers. Comme l'indique TTU, «les mercenaires de Gbagbo ne s'attendaient pas à être impliqués dans une situation aussi violente». Pour 6 500 euros par mois, le jeu n'en valait pas la chandelle ! Ni pour les chiens de guerre, ni pour le président Gbagbo. Du coup, «devant les résultats décevants des Français, ceux-ci ont été affectés à de simples missions de protection». Et le régime ivoirien a fait d'une pierre deux coups : satisfaire Paris tout en se débarrassant d'employés incompétents. Des discussions seraient déjà en cours pour leur remplacement par des équipes sud-africaines.

D'autres mercenaires (ukrainiens, biélorusses et bulgares) pourraient toujours être présents dans le pays, pour piloter et entretenir les trois hélicoptères de combat Mi-24. Selon une source militaire française, ces appareils sont actuellement «sous contrôle» à Abidjan.

Relève

En Côte-d'Ivoire, les militaires français s'installent pour durer. Le général Emmanuel Beth, patron de l'opération Licorne, devrait être bientôt relevé par un autre général, Bruno Dary. «Même si on compte sur l'arrivée des contingents africains, on va rester un moment», reconnaît-on à l'état-major des armées.

Source: Liberation (17/01/2003)

 

Les soldats «perdus» de Laurent Gbagb

«Pourquoi ne parle-t-on que de nous quand les mercenaires libériens à l'Ouest commettent des atrocités ?» Un mercenaire de Gbagbo Yamoussoukro envoyé spécial

Le président ivoirien, Laurent Gbagbo, a promis à Dominique de Villepin, vendredi à Abidjan, le départ immédiat des mercenaires de Côte-d'Ivoire. Hier matin, ils semblaient sur le point de quitter leur QG de l'hôtel Président, le palace monumental et désert de Yamoussoukro. «La fin de notre mission ? Pour l'instant, on ne nous a rien dit», confiait pourtant, l'avant-veille, un russophone accoudé au bar. «Les Ivoiriens ne savent pas piloter les hélicoptères dont ils disposent», notait ce pilote slave.

Combien sont-ils à devoir faire leurs bagages ? Certains parlent de 200 mercenaires présents ces dernières semaines sur le territoire ivoirien, notamment dans l'Ouest, où les combats se poursuivent entre loyalistes et rebelles du Mpigo (Mouvement populaire du Grand-Ouest). Mais nul ne connaît leur nombre exact. Yamoussoukro, la capitale administrative de la Côte-d'Ivoire, constituait la base arrière des hélicoptères avec lesquels les mercenaires, recrutés par le régime de Gbagbo bombardaient, au nez et à la barbe de l'armée française, censée veiller au respect du cessez-le-feu, les positions ennemies jusqu'à la visite de Villepin.

Hélicos

«Nous avons identifié une vingtaine de visages, affirme un officier français basé sur l'aéroport de la ville. Toujours les mêmes : que des Blancs. Les hélicos atterrissaient ici pour faire le plein de carburant et repartaient aussitôt.» Leurs équipages portaient des salopettes orange ou vertes, indique un autre militaire. Les opérations héliportées avaient été suspendues à la demande de la France, après le massacre d'une douzaine de civils par un hélico piloté par des mercenaires.

On pouvait croiser ces derniers jours, à Yamoussoukro, les pilotes et techniciens chargés de la maintenance des appareils, la quarantaine bien tassée pour la plupart, parfois bedonnants: pas vraiment l'allure de chiens de guerre. En civil, ils montaient tous les matins dans un minibus banalisé, sans plaque d'immatriculation, venant les chercher au pied de l'hôtel. Après une journée de «boulot», vers 19 heures, le même véhicule les redéposait au Président. De temps à autre, un nouveau visage faisait son apparition : un barbouze à la barbe hirsute de retour du front de l'Ouest, venant prendre du repos et du bon temps. Chose vue à la réception : un Sud-Africain, la kalachnikov en bandoulière, qui demande tranquillement sa clé au personnel intimidé.

Après avoir revêtu une tenue décontractée, ils étaient prêts pour la soirée. Dîner sur la terrasse de l'hôtel, à deux pas de la grande piscine. Les russophones (Russes, Ukrainiens et Biélorusses) à une table ; les Slaves (Bulgares, Slovaques, Yougoslaves) à une autre et, un peu à l'écart, les Sud-Africains et une poignée de Français, faisant profil bas depuis que leur présence avait été révélée par la presse. Après le poulet braisé arrosé de bière ou de vin rouge français, certains achevaient la soirée en boîte de nuit, au bras des filles.

Bavure

Le lendemain matin, direction le palais présidentiel de feu Houphouët-Boigny, à Yamoussoukro. Là, à l'abri de hauts murs blancs, sont stationnés les hélicoptères de fabrication soviétique : deux Mi-17 de transport de troupes et trois Mi-24, des aéronefs d'attaque. «Pour des raisons de sécurité, les hélicoptères ne dorment jamais sur le tarmac de Yamoussoukro, mais à la présidence», affirme un officier supérieur français. Officiellement, le président Gbagbo dit n'avoir jamais été informé de la présence de mercenaires sur le territoire ivoirien, sinon du côté des rebelles. Quant au porte-parole de l'armée, le lieutenant-colonel Jules Yao-Yao, il préfère parler d'«instructeurs chargés de former l'armée ivoirienne au combat héliporté». Un militaire français précise pourtant n'avoir vu aucun soldat ivoirien participer aux opérations.

Ce sont les deux Mi-24 qui ont mené, le 31 décembre, le raid sur le petit village de Menakro qui a tué douze civils, dont plusieurs femmes. Une bavure, nous a assuré un pilote qui tient à garder l'anonymat : «Les rebelles du MPCI avaient attaqué les soldats gouvernementaux dans cette zone. L'armée ivoirienne devait réagir. Mais comment distinguer les civils, souvent armés, des rebelles ? D'autant que les rebelles nous ont visés avec des missiles Sam-7.» Et d'ajouter : «Pourquoi ne parle-t-on que de nous quand les mercenaires libériens présents à l'Ouest commettent des atrocités ? Certains de mes collègues ont vu des choses pas belles là-bas, des corps horriblement mutilés.»

Echanges

L'armée française, déployée le long de la ligne de cessez-le-feu, affirmait ne rien pouvoir faire pour empêcher le survol des hélicoptères pavoisés aux couleurs ivoiriennes. «Nous n'avons pas de mandat pour les intercepter», déclarait le colonel Thuet, qui commande l'opération Licorne dans le secteur centre. «Nous sommes ici légalement», soulignait, en écho, un mercenaire qui a déjà officié en Angola, en Sierra Leone ou au Liberia. En revanche, les soldats français suivaient à la trace les allées et venues des hélicoptères, de Yamoussoukro à San Pedro, en passant par Daloa. Officiellement, les uns et les autres s'ignoraient. «Je n'ai rien à dire à des gens qui tirent les civils comme des lapins, assène ainsi un haut gradé français. Nous ne faisons pas le même métier.» Un mercenaire affirme de son côté que des échanges informels existaient bel et bien, «mais les officiers supérieurs français voient cela d'un mauvais oeil».

Source: Libération (07/01/2003)

 

Des mercenaires de tous horizons

Pour l'armée française, c'est un casse-tête de plus dont elle se serait bien passée. Depuis qu'il a acheté des hélicoptères de combat et de transport de troupes ­ des Mi-24 et des Mi-8 de fabrication russe ­, le gouvernement ivoirien s'est donné la possibilité d'intervenir derrière les lignes adverses sans avoir à se heurter physiquement au dispositif français au sol. Complications supplémentaires : les hélicoptères sont pilotés par des mercenaires sud-africains et servis par des mécaniciens ukrainiens et biélorusses, bien qu'il ne soit pas exclu que des militaires ivoiriens participent à certaines missions.

Hétéroclite

Il n'y a pas qu'à bord des hélicoptères que les «chiens de guerre» louent leurs services en Côte-d'Ivoire : on les a vus en action lors de la bataille de Man ou sur les fronts de Daloa et de Vavoua. A vrai dire, l'armée ivoirienne est si incompétente qu'ils sont les seuls à véritablement combattre. Ils forment un mélange hétéroclite de compétences et de nationalités... Les Sud-Africains sont les plus nombreux, blancs comme noirs. On les a déjà vus en Afrique de l'Ouest, en Sierra Leone plus précisément, où ils avaient combattu aux côtés du gouvernement d'Ahmed Tejjan Kabbah contre le Front révolutionnaire uni (RUF). On trouve aussi des Israéliens, plutôt dans le renseignement et la protection rapprochée du président Gbagbo.

Des anciens de la «garde présidentielle comorienne» de Bob Denard sont aussi sur la brèche : Jean-Claude Sanchez et Dominique Malacrino, alias «commandant Marquez». Des rumeurs insistantes ont circulé en octobre sur la présence d'un contingent angolais, mais depuis plus personne n'en parle.

«Bandes armées»

Interrogé par Libération au sujet des mercenaires, Toussaint Alain, représentant du président Gbagbo en Europe, estime que «la Côte-d'Ivoire est un pays indépendant et souverain qui a le droit de faire appel à toutes les compétences pour reprendre le contrôle de son territoire». Pour lui, le véritable problème est «la prolifération des armes légères» qui favorise la circulation de «bandes armées» d'un pays à l'autre.

Du côté des rebelles, qui, contrairement à Laurent Gbagbo, ne disposent pas des ressources d'un Etat, les «supplétifs» viennent de la Sierra Leone et du Liberia voisins, ravagés par une décennie de guerre civile.

Parmi les trois mouvements rebelles, le Mpigo, ancré dans l'extrême Ouest et recrutant chez les Yacoubas, présents en Côte-d'Ivoire et au Liberia, semble le plus infiltré par des éléments étrangers. Or le Nimba, la région libérienne frontalière de la Côte-d'Ivoire, est réputé pour être le «réservoir militaire» de Charles Taylor, l'ex-chef de guerre devenu président du Liberia en 1996. De là à estimer qu'il joue la carte de la déstabilisation, il y a un pas que franchit Toussaint Alain, représentant du gouvernement ivoirien, qui accuse des mercenaires libériens de mener un «carnaval sanguinaire» dans le Sud-Ouest et demande à la communauté internationale de «dénoncer avec fermeté toutes ces ingérences et agressions extérieures».

Source: Libération (03/02/2003)

 

Le retour des «affreux»

Sud-Africains, Français ou Bulgares: les mercenaires se bousculent dans le bourbier ivoirien. Avec un bonheur inégal

Revoilà les «affreux». Malmenée dans le grand casino des guerres africaines, la tribu disparate des mercenaires blancs rêvait de se refaire à la roulette ivoirienne. C'est mal parti. Son irruption au côté des forces loyales au président Laurent Gbagbo aura hâté, début décembre, une éphémère reconquête de Man, ville de l'Ouest retombée depuis aux mains des rebelles. Mais guère plus.

On les vit dans le passé sauver la mise au régime angolais, puis au président élu de la Sierra Leone

Après l'avoir mollement nié, Abidjan reconnaît l'engagement de «chiens de guerre», élevés comme il se doit au rang de «conseillers militaires» chargés de la protection rapprochée du chef de l'Etat, et tenus à l'écart des champs de bataille. Qui croit encore à ces fadaises? On recense bien sûr parmi eux des gardes du corps ou des consultants, expédiés notamment par le cabinet de l'ancien chef d'état-major israélien Amnon Lipkin-Shahak. Pour le reste, il s'agit d'instructeurs enseignant le maniement d'armes fraîchement acquises et inconnues de la troupe, et de pilotes d'hélicoptère, bulgares pour la plupart, placés aux commandes de trois Mi-24 Hind et de 2 Mi-18 de facture soviétique. Mais on croise aussi, aux abords des lignes de front, des 4 x 4 chargés de soldats de fortune. Dès octobre, un institut respecté de Pretoria annonçait l'arrivée en Côte d'Ivoire, et en deux «livraisons», d'environ 200 Sud-Africains. Normal. La patrie de Nelson Mandela a toujours été un vivier du mercenariat. Naguère gardes-chiourme de l'apartheid au sein de la police ou de l'armée, les vétérans de la société «de sécurité et de conseil militaire» Executive Outcomes, officiellement dissoute en 1999, resurgissent sous divers faux nez. On les vit dans le passé sauver la mise au régime angolais, aux prises avec la rébellion de l'Unita, puis au président élu de la Sierra Leone, défié par la guérilla du Front révolutionnaire uni. Quitte à se faire payer en concessions diamantifères. Enregistré aux Bahamas, doté de bureaux à Londres et à Washington, dirigé par l'ancien lieutenant de la Garde écossaise Tim Spicer, Sandline International dément aussi, sans convaincre davantage, toute incursion dans le bourbier ivoirien.

Le pays de Bob Denard n'est pas en reste. Ses ex-disciples Dominique Malacrino, 49 ans - alias «Commandant Marquez» - et Jean-Claude Sanchez emmènent le contingent tricolore. Marquez a des références. Il fut, comme maître Bob, acquitté en 1999 par la justice française, lors du procès pour l'assassinat du président comorien Ahmed Abdallah, commis dix ans plus tôt. Son nom apparaîtra encore lors de la piteuse équipée d'une douzaine de chasseurs de primes, recrutés par Didier Ratsiraka, président sortant de Madagascar, mauvais perdant chassé par les urnes, puis par la rue: leur Falcon 900, intercepté à l'escale de Dar es-Salaam (Tanzanie) à la demande du Quai d'Orsay, n'atteindra jamais la Grande Ile... Voilà désormais le récidiviste Malacrino-Marquez embringué dans une campagne ouest-africaine à haut risque. Comme le révèle La Lettre du continent, bulletin confidentiel très informé, deux de ses gars ont été blessés, dont l'un grièvement aux yeux, en manipulant un lance-roquettes RPG-7, à l'heure de la contre-offensive sur Man. L'internationale du coup de main aurait-elle choisi en bloc le camp de Gbagbo? Non, bien sûr. Les mutins du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire (MPCI) ont reçu l'appui de maquisards désœuvrés venus du Liberia et de la Sierra Leone.

Moins efficaces qu'ils ne le prétendent, les «affreux» voient leur ciel s'obscurcir. L'Afrique du Sud bannit depuis 1998 le recrutement, l'entraînement et le financement de mercenaires sur son territoire. Et interdit à ses citoyens de s'enrôler à l'étranger. Sur ce terrain-là, Paris tâtonne encore. A leur arrivée à Lyon, les douze «héros» de la virée malgache avortée ont été remis en liberté après un bref contrôle d'identité. Argument invoqué: «Au regard du droit français, ils n'ont commis aucune infraction.» Dans un entretien récent accordé à La Croix, le ministre français des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, préconise un «renforcement de la législation». Resté lettre morte, un projet de loi soumis au Conseil des ministres en avril 2002, au crépuscule de l'ère Jospin, menaçait les contrevenants de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende. A la niche, les chiens de guerre?

Source: L'Express (26/12/2002)

 

L'enfer ivoirien, paradis des mercenaires

Le groom de l'hôtel Président ajuste sa veste rouge avant d'ouvrir les portières. Les gardes du corps noirs ont déjà sauté des pick-up, kalachnikov à la main. Les chauffeurs restent au volant, prêts à repartir. Les passagers blancs en uniforme kaki sortent enfin des véhicules. Ce sont les mercenaires qui rentrent du boulot. Ils ont été engagés par le gouvernement ivoirien pour reconquérir les territoires aux mains des rebelles.

Au bar de l'hôtel, la trentaine de «chiens de guerre» n'a pas pris le temps de se changer, après une longue journée de «travail». Les pilotes sont vêtus de leurs combinaisons, auréolées de taches de transpiration. Les soldats sont en tenue de combat, revolver à la ceinture, les mitrailleuses posées en équilibre le long du bar. Bière glacée pour tout le monde, le résumé des «exploits» de la journée peut commencer. Les conversations se déroulent dans un anglais aux accents ukrainien, sud-africain ou français. Le héros du jour est un Sud-Africain. Il a posé son hélicoptère MI24 en catastrophe en plein centre de Daloa, la base arrière des forces loyalistes sur le front de Vavoua, dans l'ouest de la Côte d'Ivoire. «Je n'avais presque plus de carburant et il faisait quasiment nuit, raconte le grand gaillard moustachu. J'avais du mal à me repérer. Puis j'ai vu le minaret. Je me suis posé devant la grande mosquée à Daloa. Les gens étaient terrorisés. Ils ont détalé comme des lapins.» Eclats de rire. On lève les bières pour trinquer. Le groupe de musique enchaîne sur un air africain. Des nuées de jeunes «filles de joie» se sont déployées dans les canapés, préparant leur embuscade.

«JJ», le pilote français, reste plus discret sur son palmarès. C'est un «pro». L'Afrique et ses conflits «pourris», il connaît bien. A son actif : le Zaïre, le Liberia, la Sierra Leone... Miraculé à plusieurs reprises, il force même le respect des militaires français de l'aéroport de Yamoussoukro, qui se demandent encore comment il a réussi à faire atterrir son Cessna de reconnaissance. Touché par une rafale de mitrailleuse de gros calibre au-dessus de Vavoua, il a posé son appareil sur un seul train d'atterrissage. Il s'en est tiré sans une égratignure.

A l'heure du dîner, les mercenaires font la queue devant l'ascenseur, pour monter au restaurant panoramique du 14e étage. Les tables ont vue sur la basilique de Yamoussoukro - construite par feu Félix Houphouët-Boigny -, symbole de cette capitale artificielle émergée de la savane par la volonté du père de l'indépendance ivoirienne. Ce vendredi soir, le Kotou Club, la boîte de nuit de l'hôtel, ouvre pour deux jours. Pour les soldats de fortune, c'est le repos du guerrier. Le tube de la soirée est un hommage à leur employeur, le président Laurent Gbagbo : «Président il ne faut pas quitter. J'avais ton portrait dans mon bureau et je dormais avec toi.»

Dix jours plus tard, l'ambiance est moins festive. Entre-temps la guerre a éclaté dans l'ouest, où deux nouveaux mouvements rebelles ont pris les armes. Deux mercenaires français appartenant au groupe du commandant Marquez, ancien compagnon d'arme de Bob Denard, ont été grièvement blessés à Man. Ils ont été évacués de justesse dans un hôpital d'Abidjan.

Les hommes du commandant Marquez sont au nombre de quatorze, explique «JJ», le pilote français qui ne fait pas partie de leur groupe. La plupart d'entre eux sont des anciens de la garde présidentielle des Comores, à la grande époque de Bob Denard, recyclés dans des sociétés de sécurité. «Ils ont promis beaucoup de choses au président, mais ils ne brillent pas franchement par leur efficacité, assure «JJ». Ce sont des gardes du corps qui n'ont pas de véritable expérience du combat. A Vavoua, c'est eux qui ont mené l'offensive à la tête d'une colonne de soldats loyalistes. Ils ont pris une sacrée déculottée. Lorsqu'ils sont tombés dans l'embuscade tendue par les rebelles, ils se sont taillés en courant, laissant les Sud-Africains en première ligne. Ce sont des charlots. Ils s'étaient déjà fait épingler à Dar es Salam avant même d'atterrir à Madagascar pour sauver le président Ratsiraka.»

Depuis leur arrivée, les mercenaires blancs n'ont pas changé la donne militaire. Même s'ils ont permis aux forces loyalistes d'engranger quelques victoires dans l'ouest du pays, autour de Man. «L'état-major nous donne des munitions périmées, se justifie «JJ». Parfois on refuse de transporter les roquettes qui dégoulinent de TNT : trop dangereux. Et puis les groupes de soldats ivoiriens que nous avons formés au combat et qui sont encadrés par des mercenaires lors des offensives contre les rebelles se sauvent en courant dès que ça chauffe un peu trop.»

Un collègue sud-africain se mêle de la conversation. Il dresse un constat plus alarmant. «Le problème c'est l'état-major, affirme-t-il. L'armée ivoirienne n'a jamais fait la guerre. Elle n'y connaît rien. Il n'y a pas de centre de commandement. Il n'y a ni coordination ni stratégie d'ensemble. Seule une grosse entreprise de mercenariat telle que Sandline, qui offre un état-major clés en main, peut redresser la situation dans ce pays. En l'état actuel des choses, si les rebelles attaquaient sur tous les fronts simultanément, les forces loyalistes seraient incapables de les contenir en dépit de notre aide.»

A défaut de faire appel à une grosse entreprise de mercenariat, le gouvernement vient de contracter un groupe d'une dizaine de pilotes et mécaniciens biélorusses. La colère gronde chez les chiens de guerre déjà présents. «Ces types ne parlent pas un mot d'anglais, ni de français, se fâche l'un d'entre eux. Impossible de coordonner les actions au sol et l'appui aérien. Ils risquent de nous tirer dessus. Ça fait partie des risques du métier. Mais on n'est pas là pour mourir bêtement.»

Pourquoi sont-ils là ? «La Côte d'Ivoire peut-être un nouveau départ pour les mercenaires, veut croire un mercenaire sud-africain. Pour une fois on ne peut pas nous accuser de faire un coup tordu. Ici nous nous battons pour sauver un président démocratiquement élu. La Côte d'Ivoire était le modèle économique de l'Afrique francophone. Nous voulons la remettre sur les rails. Le défi est énorme pour nous.» «On se bat pour les générations futures, ajoute «JJ». C'est pas pour l'argent. Moi je gagne 8 000 euros par mois ici, moins qu'un pilote de ligne. Le problème c'est qu'Air France ne veut pas de moi.»

Les «dommages collatéraux», tous ces civils tués dans les attaques d'hélicoptères sur des villages, les cases brûlées... «C'est le prix à payer pour sauver la démocratie, se défend «JJ». Le danger aujourd'hui, c'est de voir la Côte d'Ivoire se transformer en Liberia ou en Sierra Leone. Nous sommes là pour empêcher ça.»

«JJ» est piqué au vif par l'attitude des soldats français de l'opération Licorne. «Les militaires français font comme si on n'existait pas, s'indigne «JJ». On se bat pour défendre la même cause. Et pourtant je sais que demain ils peuvent me tirer dessus. C'est le boulot.» Ancien militaire de carrière, il se retrouve confronté, pour la première fois de son parcours de mercenaire, aux soldats français sur le terrain. L'amertume le gagne parfois : l'impression d'être tombé du mauvais côté de la barrière, le manque de reconnaissance... A l'aéroport de Yamoussoukro, les légionnaires français observent le manège des mercenaires d'un oeil critique. «Nous, on se bat pour un idéal, pour notre drapeau, pour les intérêts de notre nation, tranche un officier français. Ces types-là ne croient plus en rien. Ils ont mal tourné.»
La descente aux enfers de la Côte d'Ivoire, les chiens de guerre la vivent comme une «chance». On peut les accuser de prolonger artificiellement la durée de vie d'un régime qui s'enfonce dans les dérives. Eux peuvent se targuer de travailler pour un Etat légitime. Les mercenaires jouent gros en Côte d'Ivoire. Ils ont un rêve fou : devenir des sous-traitants de l'ONU pour les opérations de maintien de la paix.

«Nous avons le savoir-faire, nous sommes des professionnels, s'enthousiasme un vieux routier sud-africain. C'est toujours un casse-tête lorsqu'on veut mettre sur pied une force de l'ONU. Pourquoi ne pas contracter des entreprises privées et envoyer des observateurs pour surveiller nos activités ?» Alors que la France songe à présenter un texte de loi pour interdire les activités de mercenariat, et que la Côte d'Ivoire plonge doucement dans la guerre civile, leur mirage est encore loin de devenir réalité.

Source: Le Figaro (16/12/2002)

 

La Cote d’Ivoire aux mains des mercenaires ?

De très violents combats font actuellement rage sur la ligne de front à l’Ouest du pays entre les forces rebelles et les troupes loyalistes du président Gbagbo. Ces groupes armés, encadrés par des mercenaires français (loyalistes), ou par des mercenaires sud-africains (rebelles), se sont livrés à des accrochages meurtriers ces derniers jours.

Selon un mercenaire français engagé aux côtés des forces loyalistes, « certaines compagnies ont subi de très lourdes pertes parmi leurs effectifs, et les derniers accrochages ont fait de nom euses victimes ».

Deux combattants européens, un Français et un Tchèque, seraient sur le point d’être rapatriés après avoir été grièvement blessé. Les mercenaires récemment engagés sur le théâtre, ne s’attendaient pas à être impliqués dans une situation aussi violente. Payés 5 000 euros par mois, pour assurer l’encadrement des troupes loyalistes, certains envisageraient désormais de rentrer, le jeu n’en valant plus la chandelle...

Toujours selon nos sources, les rebelles seraient en train de lancer une nouvelle campagne de recrutement de mercenaires Sud Africains. Face à ce processus de désagrégation, la France nie toute implication et pour la première fois, semble ne pas vouloir s’immiscer dans une affaire interne. La position du quai d’Orsay est claire : n’intervenir que pour protéger et sécuriser les ressortissants internationaux.

Des Etats qui refusent de s’impliquer, les Nations-Unies qui restent muettes et des sociétés de mercenaires de plus en plus présentes, tout semble indiquer que l’on glisse vers une privatisation de la guerre.

Les observateurs évoquent déjà une situation à la congolaise ou à la rhodésienne. En 1964, le Congo puis la Rhodésie avaient connu des guerres ou l’intervention des mercenaires blancs avait été massive et prédominante.

Aujourd’hui les sociétés privées de combattants telles que SANDLINE, EXECUTIVE OUTCOME ou le MPRI sont en train de prendre en main le destin de cette partie de l’Afrique longtemps considérée comme la zone d’influence française.

Qui les paie ?

Source: Infoguerre (12/12/2002)

 

Les États-Unis aident à former des militaires nigérians

Le 25 novembre, à l'occasion d'une interview accordée au « Washington File », la directrice pour l'Afrique du Bureau du ministère de la défense chargé des questions internationales de sécurité (ISA), Mme Theresa Whelan, qui s'est rendue au Nigeria du 16 au 20 novembre, s'est réjouie du désir de coopération manifesté par les responsables nigérians qui s'intéressent de près aux questions de sécurité touchant aussi bien les États-Unis que le Nigeria.

« Je pense que nos entretiens avec les responsables nigérians de la défense (notamment avec le ministre de la défense T.Y. Danjuma) ont été fructueux », a-t-elle dit, ajoutant que les chefs de file nigérians se sont déclarés en faveur de plusieurs partenariats militaires que le gouvernement des États-Unis souhaite mettre en œuvre en Afrique.

Le colonel Victor Nelson, ancien attaché militaire des États-Unis auprès du Nigeria aujourd'hui responsable pour l'Afrique occidentale à l'ISA, qui a accompagné Mme Whelan lors de son voyage au Nigeria, s'est déclaré du même avis et a précisé : « Ce fut une visite très réussie. Je dirais même que ce fut une visite historique si vous tenez compte de la participation financière au contrat de la firme MPRI. »

Cette firme, qui se spécialise dans les conseils en matière de sécurité, est dirigée en grande partie par d'anciens officiers militaires américains qui organisent des programmes d'appui à la sécurité pour le compte de gouvernements du monde entier. Au Nigeria, l'entreprise a remporté le marché pour aider les responsables nigérians de la défense à élaborer un plan d'action en matière de défense nationale à la suite du rétablissement de la démocratie en 1999, après la mort du général Sani Abacha. Le gouvernement des États-Unis et le gouvernement du Nigeria se partagent de façon égale le financement des contrats confiés au MPRI.

Pour Mme Whelam, la visite « a été très positive » (...), le président (Olusegun Obasanjo) s'étant engagé à payer les arriérés dus par le Nigeria en ce qui concerne les programmes du MPRI.

À la question de savoir si elle avait personnellement quelque chose à voir avec cette décision du Nigeria, Mme Wheelan a répondu par la négative, une affirmation que M. Nelson a qualifiée de « modeste ». « Je pense que la présence d'une haute responsable du ministère américain de la défense a fait voir aux Nigérians l'importance que nous accordons aux programmes du MPRI. En outre, sa présence lors de l'évaluation de mi-parcours du programme a été remarquée ; elle a encouragé les responsables militaires nigérians à accorder leur appui entier au programme et a décidé le gouvernement nigérian à débloquer les fonds devant couvrir le contrat MPRI.

Un autre élément « positif » de son voyage, a dit Mme Whelan, a été une visite au centre du « Joint Combined Arms Training System » (JCATS) à Abuja. Le MPRI gère cette installation qui a été officiellement inaugurée le 25 novembre.

Les JCATS sont des éléments indispensables du programme ACOTA (« African Contingency Operations Training and Assistance Program »), un partenariat entre le ministère américain de la défense et les militaires africains qui vise à renforcer leur capacité à établir la paix et l'ordre, car, a expliqué Mme Whelan, « ces centres de simulation sont d'excellents outils pour maintenir le niveau de qualification et de préparation militaires ».

M. Nelson a précisé que les JCATS reposaient sur l'utilisation de logiciels sophistiqués de simulation de guerre qui s'inspirent de conditions qui existent véritablement sur les champs de bataille. Ils servent à entraîner les officiers militaires à trouver des solutions aux problèmes liés aux combats. Le Nigeria et le Canada sont les deux seuls pays à avoir des logiciels JCATS.

M. Nelson, qui a organisé des programmes de formation similaires lorsqu'il était attaché à l'ambassade des États-Unis à Abuja, a expliqué : « C'est un moyen bon marché d'assurer la formation de cadres. Même des pays ayant peu de ressources peuvent avoir recours aux JCATS. Il s'agit en fait de rassembler des gens pendant une quinzaine de jours pour des exercices de guerre, ce que les militaires américains du XXIe siècles font déjà. »

Le programme ACOTA fait suite au programme ACRI (Initiative de réaction aux crises en Afrique) et couvre un plus vaste éventail de responsabilités liées à la sécurité, notamment l'entraînement au maniement des armes. Si les forces déployées dans le cadre de l'ACRI n'auraient jamais été mises dans une situation où leur sécurité aurait été menacée, celles qui le seront dans le cadre de l'ACOTA, étant donné qu'elles seront chargées d'instaurer le calme, devront être prêtes à faire face au danger.

Il est prévu que dans le cadre du programme ACOTA, des JCATS seraient mis à la disposition d'autres pays qui se joindront au partenariat. Des fonds sont réservés à une telle expansion et il est question notamment d'ouvrir un centre de simulation au Ghana et peut-être au Kenya.

À propos de la participation du Nigeria au programme ACOTA, M. Nelson a indiqué que le président Obasanjo avait récemment demandé l'aide des Américains pour former plusieurs bataillons de soldats devant faire respecter la paix à l'instar d'un programme qui, l'année dernière, a permis la formation de soldats en Sierra Leone dans le cadre de l'opération « Focus Relief » (OFR).

Contrairement aux programmes mis en œuvre dans le cadre de l'ACRI ou de l'OFR, la formation dans le cadre de l'ACOTA ne s'adresse pas aux simples soldats, mais aux officiers qui transmettront ensuite leur savoir aux soldats sous leurs ordres.

Mme Whelan a précisé que dans le cadre d'un programme de suivi de l'ACOTA, « nous nous livrerons à des exercices avec les soldats, ce qui leur permettra de maintenir le niveau de leur entraînement et nous permettra de vérifier l'efficacité de la formation qui leur aura été donnée ».

« En formant les cadres, nous pouvons nous limiter à un groupe restreint de militaires qui, à leur tour, formeront d'autres soldats », a fait remarquer Mme Whelan, une considération à ne pas négliger étant donné qu'un grand nombre des cadres traditionnels - les membres des forces spéciales des États-Unis - sont occupés à l'heure actuelle à lutter contre le terrorisme dans le monde entier.

« Nous n'avons pas des centaines de forces spéciales pouvant assurer l'entraînement. Elles sont toutes très occupées comme vous le savez (à lutter contre Al-Qaïda et le terrorisme international) ; il nous a donc fallu restreindre nos programmes et la stratégie consistant à 'former le cadre' répond à ces nouvelles circonstances. »

Source: Département d'Etat (02/12/2002)

 

Les mercenaires de Paul Barril font la loi à Bangui

Aéroport Mpoko de Bangui : de notre envoyé spécial Thierry Oberlé

« Arrivée : 17 novem e 2002. » Le policier de la police de l'air et des frontières de l'aéroport de Bangui tamponne le passeport de l'envoyé spécial du Figaro sur la page du visa délivré quelques jours plus tôt par l'ambassade de la République centrafricaine. Le vol Paris-Bangui via N'Djamena déverse sa cargaison hebdomadaire de voyageurs. La présence sur le tarmac d'une automitrailleuse et de nom eux soldats rappelle que la capitale sort à peine d'une tentative de coup d'État raté. Plusieurs mercenaires blancs en civil observent les allées et venues. Mais c'est un policier centrafricain qui harponne le journaliste. « Suivez-nous », ordonne-t-il. L'attente commence dans un petit bureau surveillé par un soldat à béret rouge et à la mine se voulant patibulaire. Un mercenaire de l'équipe de l'ex-gendarme de l'Élysée Paul Barril passe et repasse sans répondre aux questions. Il semble superviser les opérations. Puis arrive celui qu'on suppose être le chef présumé de la police de l'air. L'homme andit une sorte d'arrêté de reconduite à la frontière. Une décision non motivée. « Nous sommes un État souverain », affirme le policier au bas de l'avion. Un pays en piteux état livré à des bandes armées, serait-on tenté de corriger.

Si les autorités centrafricaines renvoient les journalistes trop curieux, elle accueille en revanche à as ouverts des alliés bien encom ants. Affaibli par une série de six mutineries et tentatives de putsch en sept ans, le président Ange-Félix Patassé survit grâce au soutien d'armées étrangères et à la protection de soldats de fortune. Lassés d'être soumis à un chantage financier permanent, les Français ont fermé leurs bases militaires de Bangui et de Bouar en 1997. Le retrait a pris valeur de symbole du désengagement de la France de son pré carré africain. Depuis mai 2001, les Libyens ont pris le relais avec 200 hommes déployés à Bangui la « coquette ». Les troupes du colonel Kadhafi assurent la sécurité personnelle du président Patassé. Elles ont sauvé le chef de l'État en reprenant, avec l'appui de plusieurs centaines de rebelles congolais du Mouvement de libération du Congo de Jean-Pierre Bemba, le contrôle de la capitale aux partisans du général centrafricain François Bozizé. Les combats ont plongé la capitale dans l'anarchie. De nom eux témoignages font état d'exécutions sommaires de civils de nationalité tchadienne et centrafricaine considérés comme complices de Bozizé. La milice privée d'Ange Patassé, dirigée par Abdoulaye Miskine et les rebelles de Jean-Pierre Bemba, le seigneur de la guerre de la forêt congolaise voisine, ont multiplié les razzias. L'insécurité est telle que même les maisons de ministres du gouvernement Patassé ont été pillées. Des militaires centrafricains ont dressé des barrages autour de la ville pour empêcher la soldatesque congolaise de quitter Bangui avec leur butin.

Dispersés dans les environs de la capitale, les mutins pourraient repasser à l'attaque pour s'emparer d'un pays en pleine déliquescence. L'administration a accumulé deux années de retard dans le paiement des salaires de ses fonctionnaires. En ousse sévissent les « coupeurs de route », bandits de grand chemin, et les villageois démontent les lattes des ponts pour bloquer les rares automobilistes. Pris au piège, les véhicules basculent à moitié dans le vide. Leurs passagers sont priés de verser une dîme pour être dépannés par les habitants et voir le pont réparé. Dans ce contexte, les Occidentaux quittent un à un la Centrafrique. À l'exception des mercenaires.

Patron de la société Secrets, Paul Barril fait la pluie et le beau temps à Bangui. Il a la confiance d'un Patassé au comportement souvent ubuesque. Ainsi, dans sa dernière interview, le président centrafricain confiait son désir de construire un aqueduc reliant Bangui au Proche-Orient... Chargé de protéger l'ancien premier ministre de l'empereur Bokassa Ier, Paul Barril a été bombardé par décret responsable de la « lutte antiterroriste », et il déteste être assimilé à un simple mercenaire. Son employeur n'a guère de difficultés pour rémunérer ses services : selon le dernier rapport des Nations unies, la Centrafrique est un pays de transit du trafic organisé autour du pillage des ressources du Congo. Doublé par la concurrence à Abidjan, d'où il a été expulsé en octo e, Paul Barril a veillé tour à tour sur la sécurité du chef d'État du Burundi, Cyprien Ntaryamvia, et du président rwandais Juvénal Habyarimana, tués ensemble en 1994 dans un attentat qui a déclenché le génocide des Tutsis au Rwanda. En France, l'ex-gendarme n'a pas fini de rendre des comptes à la justice : il a été renvoyé devant le tribunal correctionnel pour l'affaire des écoutes téléphoniques de l'Élysée à l'époque de François Mitterrand.

Source: Le Figaro (19/11/2002)

 

Une cinquantaine de mercenaires pour instruire les loyalistes ivoiriens

Entre cinquante et soixante mercenaires étrangers, essentiellement des instructeurs et des pilotes d'hélicoptères, sont actuellement en Côte d'Ivoire pour aider l'armée régulière, confrontée depuis le 19 septem e à une rébellion militaire, a appris lundi l'AFP de sources concordantes. "Les mercenaires loués par le gouvernement sont des instructeurs chargés d'apprendre aux militaires ivoiriens le maniement de certaines armes reçues récemment dans le cadre de l'effort de guerre", a indiqué à l'AFP un proche du régime, sous couvert de l'anonymat.

"Il n'est pas prévu que ces mercenaires participent directement aux combats, mais ils doivent réorganiser les unités et s'occuper de certaines questions de sécurité", a-t-il ajouté.

Un analyste de sécurité d'un Institut de recherche réputé de Pretoria avait affirmé fin octo e qu'environ 40 mercenaires, dont des Sud-Africains, sont récemment arrivés en Côte d'Ivoire pour le compte du gouvernement de Laurent Gbagbo, et que 160 autres devaient les suivre bientôt.

La présidence ivoirienne a démenti ces informations, les qualifiant de "rumeurs".

Selon un haut responsable de l'armée ivoirienne, les Force armées nationales de Côte d'Ivoire (FANCI) "n'accepteront jamais que le gouvernement utilise des mercenaires pour combattre dans cette guerre".

"Ce serait une humiliation pour nous. Les seuls étrangers que nous pouvons accepter sont les équipages d'hélicoptères de combats que nous venons d'acquérir", a-t-il précisé.

Ces équipages, selon des sources aéronautiques, sont essentiellement composés de Bulgares. Ils servent les trois hélicoptères MI-24 Hind (appelés MI-35 à l'export) de fa ication russe, récemment arrivés en Côte d'Ivoire, et deux hélicoptères de transports MI-8.

Les hélicoptères de combat ont été observés par des témoins effectuant des vols et tirs d'essai au large de Bassam, une station balnéaire située à une quarantaine de kilomètres à l'est d'Abidjan.

Selon des sources proches des services de renseignements, certains des mercenaires instructeurs sont employés par la firme Sandline International, enregistrée au Bahamas et disposant de bureaux à Londres et Washington. Sandline a déjà opéré en Sierra Leone (1998) et en Papouasie-Nouvelle Guinée (1997), selon le site internet de cette société "privée de services militaires".

Parmi ces hommes, certains sont de nationalité française, d'autres sud-africaine. Ils doivent enseigner aux Ivoiriens le maniement de certaines armes et véhicules de fa ication russe récemment fournis: mitrailleuses lourdes, transport de troupes blindés (BMP-1 et 2) armés de canons notamment.

Selon le site internet du Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire anche politique de la rébellion), les mercenaires français sont neuf et les plus connus sont d'anciens proches de Bob Denard, aujourd'hui âgé de 75 ans et connu pour ses actions aux Comores, au Biafra et au Congo dans les années 60 70 et 80.

Ces sources proches des services de renseignements indiquent que les mercenaires français seraient dirigés par Dominique Malacrino, 49 ans, alias "Commandant Marquez", également cité par le MPCI. Il a été acquitté par la justice française en mai 1999 dans l'affaire de l'assassinat du président des Comores Ahmed Abdallah, en novem e 1989.

Des mem es de son équipe sont soupçonnés d'avoir été impliqués dans des missions de mercenariat à azzaville et à Madagascar cette année, quand un Falcon 900 a été intercepté à Dar-es Salaam alors qu'il volait vers Antananarivo à la demande de l'ancien président malgache Didier Ratsiraka. Selon des témoins, les mercenaires sont logés, depuis leur arrivée fin octo e, dans deux grands hôtels de la capitale économique ivoirienne, Abidjan.

Source: Netscape Info (11/11/2002)

 

Les sociétés militaires privées

Les Sociétés Militaires Privées (Private Military Companies ou PMCs) ou les Sociétés de Sécurité Privées (Private Security Companies ou PSCs) ont attiré beaucoup de publicité entre 1995 et 2000, principalement en raison des actions entreprises par quelques unes d'entre elles, notamment : Executive Outcomes (siège en Afrique du sud) en Angola et en Sierra Leone, Sandline (UK) en Papouasie-Nouvelle-Guinée, MPRI en Croatie et Bosnie ou Dyncorp en Colombie et Bosnie.

L'éventail de leurs opérations est très large : rares sont celles qui sont impliquées dans des activités de combat, à proprement parler, d'après David Isenberg, un expert en questions de défense. Vinnel (US), par exemple, assure la formation des forces armées saoudiennes tandis que Control Risks (UK), Kroll (US) ou Saladin Security Ltd (UK) font de la collecte du renseignement.

Les données du problèmes

Avec la fin de la Guerre Froide, de nouvelles nécessités sont apparues constate Jack Straw dans l'introduction du document consultatif (Green Paper) que le Ministère des Affaires Etrangères itannique (FCO) a rédigé le 10 février 2002 relativement aux " Sociétés Militaires Privées - Possibilités d'une réglementation " sur la recommandation de la Commission des Affaires Etrangères (Foreign Affairs Committee ou FAC) de la Cham e des Communes suite au rapport de ladite commission sur la Sierra Leone. Le Ministre des Affaires Etrangères écrit :

Nous nous trouvons dans un monde où les guerres sont à petite échelle et où les Etats sont faibles. Nom e de ces Etats ont besoin d'aide extérieure pour maintenir l'ordre chez eux. Il se peut aussi que la communauté internationale ressente le besoin d'intervenir davantage. Dans le même temps, dans les pays développés, le secteur privé est en train de s'impliquer de plus en plus dans des activités militaires et de sécurité.

Jack Straw fait un triple constat : certains Etats ne sont pas ou plus en mesure d'exercer leurs prérogatives régaliennes ; pour agir, l'ONU peut être amenée à se tourner vers d'autres acteurs que les entités étatiques ; enfin, dans les pays avancés eux-mêmes, le libéralisme économique a tendance à conduire de plus en plus l'Etat à externaliser des activités jadis considérées comme son exclusif privilège.

Ce document consultatif résulte directement du scandale connu sous le nom de "des armes pour l'Afrique" (Arms to Africa) en 1998 dans lequel le gouvernement itannique, élu un an plus tôt, se trouva impliqué.

La PMC Sandline fut accusée d'avoir violé l'embargo imposé par les Nations-Unies sur les armes à destination de la Sierra Leone en proie alors à une guerre civile, en livrant au gouvernement en exil 28 tonnes d'armes de petit cali e en provenance de Bulgarie.

Les soupçons se portèrent sur le gouvernement itannique lorsqu'il apparut que le Haut Commissaire itannique en poste en Sierra Leone avait facilité la fourniture des dites armes. L'enquête qui en résulta concerna l'utilisation faite par les gouvernements des PMCs en général, et conclut à la nécessité de moderniser la réglementation de ce type d'organisation.

Les activités des PMCs au cours de la guerre civile en Sierra Leone illustrent parfaitement les avantages et inconvénients de l'emploi d'organisations militaires privées (telles que Executive Outcomes souvent confondue avec Sandline, dans le cas qui nous concerne) dans les zones de conflit.

L'enquêt parlementaire sur Sandline

Le contrat régissant les activités de Sandline en Sierra Leone fit l'objet d'une étude circonstanciée au chapitre 4 dans le rapport sur l'enquête de fourniture d'armes à la Sierra Leone, rendu par Sir Thomas Legg KCB QC et Sir Robin Ibbs KBE devant la Cham e des Communes le 27 juillet 1998.

On y apprend, entre autres choses, que l'ancien lieutenant-colonel des Scots Guards, Tim spicer, comptait parmi ses relations M. Rupert Bowen, ancien employé du FCO et actuel directeur de l'entreprise anch Energy, ainsi que le Général de igade Bert Sachse, ayant appartenu à l'armée sud-africaine et actuel dirigeant de Lifeguard, société prestataire de services de sécurité au profit de certaines entreprises commerciales, dont les mines diamantifères en Sierra Leone.

Grâce aux contacts réguliers que ces personnes ont maintenu avec des personnalités de Sierra Leone, et leur connaissance des évènements et évolutions de la situation, elles ont pu fournir au FCO et aux autres représentants et organismes itanniques sur place de très précieux renseignements à un moment où l'Etat s'effondrait et le pays basculait dans le désordre.

La Commission donne acte à M. Spicer de sa volonté de ne pas contrecarrer les intérêts d'un quelconque gouvernement occidental dans cette région. Elle lui accorde que, dans toutes ses opérations en Sierra Leone, il a toujours coopéré avec les autorités itanniques, et ce dans le plus strict respect de la loi.

Partenaires privilégiés, les fonctionnaires du FCO, du Ministère de la Défense (MoD) et des officiers ont obtenu de fort utiles renseignements en se rendant à des réunions, discussions et exposés régulièrement organisés par Sandline et consorts, dans ses propres locaux (535 Kings Road, Londres SW 10).

Parmi les enseignements que la Commission tire, il en est un qui concerne l'attitude que les fonctionnaires doivent avoir lorsqu'ils traitent avec les PMCs: il s'agit d'une mise en garde destinée à éviter la confusion des genres :

Nous croyons qu'une troisième leçon doive être tirée, à propos des relations avec les sociétés militaires privées. Ces sociétés existent bel et bien et ne sont pas près de disparaître. Elles continueront à chercher à entrer en contact avec des ministères, notamment le FCO et le MoD.Les sociétés militaires privées ont le droit de mener leurs activités dans le cadre de la loi et, à cette fin, de pouvoir avoir accès à des ministères dont la mission est de fournir un soutien aux citoyens et entreprises itanniques. Et des renseignements émanant de tels contacts peuvent servir l'intérêt général. Cependant, les activités entreprises par les sociétés militaires privées peuvent avoir un effet direct et sensible sur la politique suivie par le gouvernement et sur les relations internationales, et sur l'opinion des parlementaires et du public. Nous pensons qu'il faut donner aux fonctionnaires des règles de conduite plus explicites sur la manière de gérer leurs relations avec ces sociétés. De tels principes devrait comprendre une recommandation claire de faire un compte-rendu exhaustif de toutes les relations qu'ils entretiennent avec de telles sociétés.

Difficulté d'une définition

Le document consultatif tente de définir l'objet auquel s'appliquerait sa réglementation.

Les termes de "mercenaires", "sociétés militaires privées" et "sociétés de sécurité privées" recouvrent une grande variété de personnes, d'organisations et d'activités.

Si le document reprend la définition que le dictionnaire d'anglais d'Oxford (OED) donne d'un mercenaire, à savoir "un soldat professionnel au service d'une puissance étrangère", il lui préfère la définition fournie par l'Article 47 du Premier Protocole Additionnel de 1977 aux Conventions de Genève, et, après avoir énuméré les six points qui s'y trouvent, ajoute qu'il s'agit d'une définition cumulative, c'est-à-dire qu'un mercenaire est une personne répondant à l'intégralité des six critères en question.

Le document invoque l'étroitesse de la définition fournie par la Convention de l'Organisation de l'Unité Africaine pour l'Elimination du Mercenariat en Afrique, pour l'écarter.

Ensuite, le document recense et trie les gens et sociétés, " certains respectables et légitimes, d'autres pas ", prestataires de services de nature militaire à l'étranger : il cite les mercenaires, les volontaires, les militaires servant dans les forces régulières étrangères, les sociétés de l'industrie de défense, et, enfin, les sociétés militaires privées.

En revanche, le document éprouve moins de difficulté à dresser la liste des activités ou services fournis par toutes ces PMCs (terme générique retenu ici par commodité) : conseils, formation, soutien logistique, fourniture de personnel de surveillance, et déminage.

Un aperçu des principaux utilisateurs des services offerts par les PMCs est fourni ainsi que les noms et activités des sociétés militaires privées les plus connues. Le document juge " artificielle " la distinction entre les opérations de combat et les autres. Pour le FCO :

Les gens qui acheminent par la voie des airs des soldats et du matériel sur le champ de bataille font autant partie de l'opération militaire que ceux qui font usage de leurs armes…il en va de même pour ceux qui collaborent à l'entretien, à l'entraînement, au renseignement, à la planification et à l'organisation - chacune de ces activités apporte une contribution vitale à la capacité de faire la guerre.

Le FCO n'éprouve aucun état d'âme à souligner le lien entre les PMCs et le monde des affaires, comme c'est le cas pour Executive Outcomes avec anch Heritage Group ou bien own & Root. L'on retrouve ici la même démarche que pour l'Initiative de Financement Privé (PFI/PPP), à savoir l'association, au nom de l'efficacité et du moindre coût (Cost and Benefit Analysis), du secteur privé à des activités jadis exclusivement réservées à l'Etat.

En dernier ressort, faute de mieux, Kevin O' ien (RAND Corp. Europe) propose de retenir comme critère déterminant pour fonder la réglementation non pas l'identité des personnes ou organisations impliquées dans la prestation de services, mais le type de travail qu'elles effectuent.

En tout état de cause, nous constaterons que les PMCs sont souvent des sociétés de droit privé, majoritairement anglo-saxonnes, obéissant à la logique économique du secteur privé, prestataires de services liés à des activités de défense ou de sécurité, et intervenant dans des conditions et lieux où les Etats ou organisations internationales ou ONGs ou encore les grandes entreprises multinationales (MNCs) ne veulent ou ne peuvent s'engager en tant que telles.

La démarche de Jack Straw

Le gouvernement travailliste n'est pas, a priori, doctrinairement hostile à l'emploi des PMCs dans certains cas. Au contraire, il y trouve des avantages majeurs à une époque où les budgets de la défense sont serrés et l'opinion publique fort réticente aux "aventures extérieures".

Tout d'abord, le projet de réglementation voit volontiers les PMCs jouer un rôle actif dans les opérations de maintien de la paix et humanitaires. Lors d'un interview à la télévision, Clare Short, avait soutenu le même point de vue que Jack Straw tel qu'il est exprimé dans son avant-propos :

Une secteur militaire privé robuste et respectable pourrait jouer un rôle pour permettre aux Nations-Unies de réagir plus rapidement et plus efficacement en temps de crise.

Le second secteur où les PMCs du Royaume-Uni sont promises à un bel avenir est celui de l'externalisation (outsourcing) dans le domaine de la logistique, du déminage ou des services de sécurité (gardes du corps, gardiennage, négociations lors de prises d'otages…) tant pour le compte de gouvernements que d'ONGs et entreprises multinationales.

Ainsi, Armor Group (anciennement DSL), filiale itannique de Armor Holdings (US), a déjà fait ses preuves auprès de tels clients. Cette PMC a assuré la sécurité du personnel de l'UNICEF au Pakistan et en Afghanistan. Elle a fourni des conducteurs civils pour les véhicules blindés légers de la FORPRONU en Bosnie, et assuré la sécurité du personnel de deux ONGs à caractère humanitaire (CARE et GOAL) au Rwanda. Le porte-parole de Armor Group accueille favorablement le projet du FCO :

Il renforcera notre position, à savoir que nous poursuivons des activités éthiques. A travers nos contrats, nous donnons toujours la preuve de la légitimité de nos activités. La réglementation permettra d'assainir la profession en éliminant les PMCs dont les activités ne sont pas légitimes.

Jack Straw juge, lui aussi, sain " (...) et souhaitable de distinguer entre les opérateurs du secteur privé qui sont respectables et ceux qui ne le sont pas afin d'encourager et soutenir les premiers, et, autant que faire se peut, éliminer les seconds".

L'externalisation des " tâches non-critiques ", c'est-à-dire non combattantes, permet aux forces armées itanniques souffrant de " surchauffe " (overstretch) de mieux se centrer sur le cœur de leur métier, c'est-à-dire le combat.

JANE'S DEFENCE WEEKLY pense que si la réglementation à venir accroît la transparence du secteur privé militaire, le MoD pourrait externaliser davantage de services en en confiant l'exécution aux PMCs " légitimes et respectables ". La leçon est claire : la transparence confère la légitimité.

En externalisant un nom e toujours croissant de " tâches non-critiques ", le MoD cherche à transférer au secteur privé le fardeau du financement des dites activités et services. Ce faisant, le MoD légitimise l'existence même des PMCs et l'expansion de leur gamme d'activités entreprises pour son compte.

Pour reprendre les titres significatifs de deux ouvrages consacrés à la question (dont l'un est publié par Sandline) : en " externalisant la guerre ", le MoD la " privatise ".

L'externalisation de certaines tâches qui, antérieurement, auraient été assumées par les forces armées itanniques, est devenue " la politique officielle du gouvernement itannique ". Et ce n'est qu'un début car : la demande de services militaires privés est susceptible d'augmenter non seulement de la part des Etats (développés ou non), mais aussi des organisations internationales non-gouvernementales (OINGs).

Cela ne va pas sans soulever des questions de fond quant à la souveraineté nationale, la responsabilité de ces PMCs devant les instances représentatives du pays et le respect des droits de l'Homme, tient à souligner Jack Straw qui aborde toutes ces questions dans le document.

Une troisième raison est d'ordre purement financier : il s'agit de réduire le coût des activités militaires. L'hypothèse envisagée par Jack Straw est que : le coût de l'utilisation de PMCs pour exécuter certaines fonctions dans les opérations des Nations-Unies pourrait être plus bas que celui de nos forces armées nationales.

L'intervention d' Executive Outcomes en Sierra Leone conforte cette hypothèse.

Le FCO n'envisage pas de proposer une politique, mais de susciter un " débat constructif " sur toutes les " dimensions de la question ".

La politique éthique et les mercenaires

The Economist tente de comprendre : "pourquoi le gouvernement envisage-t-il de réglementer les mercenaires ?". L'hebdomadaire ne s'étonne nullement des protestations véhémentes des députés de base du parti travailliste (New Labour), du fait que : après tout, cette nouvelle politique peine à être en harmonie avec la "politique éthique" du parti travailliste.

A la question, "mais que mijote donc le gouvernement ?", The Economist répond que cette réglementation permettrait à Tony Blair de réaliser ses "grandioses ambitions" (grand ambitions) à l'étranger, particulièrement en Afrique. L'opinion publique ne veut pas voir des soldats itanniques mourir en opérations extérieures (OPEX). En revanche, le sort de mercenaires lui indiffère. Electoralement, le calcul est donc bon. D'autant plus qu'en contraignant les PMCs à se conformer à un "Code de conduite", le gouvernement a trouvé le moyen de rendre de telles opérations plus acceptables par son opinion publique .

Le 12 août 2002 était la date butoir à laquelle devaient être rendues toutes les suggestions et réponses au document consultatif.

JANE's DEFENCE WEEKLY rapporte les recommandations et conclusions formulées par la Commission des Affaires Etrangères (Foreign Affairs Committee ou FAC) de la Cham e des Communes.

La Commission ne préconise pas une interdiction totale des activités que les PMCs mènent depuis le sol anglais. Elle croit que : l'utilisation de sociétés militaires privées professionnelles, responsables et bien réglementées pourrait, dans certaines circonstances, contribuer à l'établissement ou au maintien d'une relative stabilité (dans des pays instables), permettant ainsi d'élaborer des solutions durables à des problèmes de cette nature.

La Commission croit également que les PMCs pourraient voir leur champ d'action étendu dans le domaine des opérations humanitaires et de maintien de la paix, réduisant par là même la " surchauffe " des forces armées régulières.

La Commission recommande, par ailleurs, d'établir un régime réglementaire strict pour les PMCs, faisant figurer leurs services dans le Code de Conduite pour les Exportations d'Armes actuellement en vigueur dans l'Union Européenne. En outre, le Parlement devrait pouvoir examiner de près le système d'octroi des licences d'exportations d'armes, et gagnerait beaucoup à s'inspirer du système de réglementation existant aux Etats-Unis.

En revanche, la Commission limite de manière draconienne le champ d'activités des PMCs auxquelles il est expressément interdit de participer directement à des opérations de combat armé et limite leur implication à l'accomplissement de tâches ayant trait à la sécurité, la formation ou l'entraînement ou autres activités de première ligne.

La Commission pense que le Document consultatif n'a pas le droit de ne pas envisager la possibilité que les PMCs pourraient être utilisées pour renverser un gouvernement établi dans un Etat faible. La Commission recommande donc au gouvernement de prendre en considération les implications éventuelles d'un tel scénario avant de légiférer sur les PMCs.

La pratique américaine

Courrier International reprend un article paru dans le Los Angeles Times en mai 2002. Le ef compte-rendu qui suit justifie amplement les craintes et les recommandations des mem es de la Commission des Affaires Etrangères de la Cham e des Communes.

Actuellement, les contractants militaires privés sont actifs dans plus de 40 pays, souvent sous contrat avec l'Etat américain. Selon le Los Angeles Times :

Toutes les interventions militaires américaines de l'après-guerre froide ont fait appel à ces entreprises militaires privées, du Golfe arabo-persique à la Somalie, ainsi qu'au Zaïre (devenu République Démocratique du Congo), en Haïti, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo, ou en Croatie.

Depuis les attentats du 9/11 et le déclenchement de la " guerre mondiale contre le terrorisme ", les valeurs boursières de ces sociétés sont montées en flèche. Des mem es de ces sociétés sont présents en Géorgie où ils participent à la traque des mem es d'Al Quaeda. Des responsables de plusieurs sociétés de sécurité privées ont rencontré des représentants du Pentagone pour débattre de la formation d'autres armées dans les pays d'Asie Centrale, région au cœur du "Grand Jeu" stratégique américain.

La société MPRI (Military Professional Resources Inc.), fondée en 1988 par l'ancien chef d'Etat-Major de l'armée de Terre Carl Vuono, et par sept autres généraux en retraite, a formé des armées partout dans le monde (Croatie, Bosnie-Herzégovine, Macédoine, Colombie…), sous contrat avec le Pentagone. Avec d'autres entreprises sous contrat avec le Département d'Etat, MPRI a créé le Centre africain des Etudes Stratégiques pour enseigner aux démocraties naissantes d'Afrique comment gérer leurs armées de métier.

DynCorp. a été chargée de la formation de la police haïtienne après l'intervention américaine en 1994. Vinnell, BDM International Inc., Armor Holdings Inc. sont d'autres grands acteurs du secteur.

Le Département d'Etat se veut rassurant, explique le Los Angeles Times : lorsque ces sociétés sont commanditées par le Pentagone ou le Département d'Etat (comme en Afghanistan), leurs opérations sont étudiées et parfois supervisées par du personnel militaire américain.

Seul le Département d'Etat est habilité à émettre des licences d'exportations de services de sécurité dans le cadre de la loi sur le contrôle des armements. Le Congrès est informé seulement lorsque les contrats dépassent $ 50 millions. Une fois la licence accordée, aucun suivi du contrat n'est exigé.

D'aucuns ne voudront voir aucune relation de cause à effet entre la prestation de services par la société MPRI au profit des forces croates en 1995 et le renversement de la situation sur le terrain (la Krajina) en défaveur des Serbes. Or, cette offensive croate dénommée " Tempête " amena les deux parties à ouvrir des négociations, ce qui avait toujours été l'objectif des Américains dans ce conflit.

Les mêmes constatent que l'aide fournie par la MPRI aux Croates a permis à Washington d'exercer une influence discrète mais certaine sur le cours de la guerre tout en maintenant officiellement sa position de neutralité, et surtout, (et ce n'est pas là un mince avantage) sans avoir à déployer ni troupes ni conseillers officiels.

En tirant les ficelles dans les coulisses et par société privée interposée, Washington a échappé à un beau guêpier. En effet, l'opération a été suivie par une campagne de nettoyage ethnique. Or, si des troupes américaines avaient été présentes sur le terrain, nous aurions été obligées de rendre des comptes. Avec l'intervention d'une société privée, la connexion est nettement moins évidente.

C'est pour éviter de tels "dérapages" que les députés itanniques "recommandent" au gouvernement d'entourer de garde-fous les activités de ces sociétés. A présent, il appartient au gouvernement Blair de décider.

L'on apprécie mieux aussi la volonté de Washington de soustraire ses citoyens à la juridiction de la Cour Pénale Internationale (CPI) en vertu de l'article 98 du traité l'instituant. L'action diplomatique de grande envergure entreprise tant par Colin Powell que par Richard Armitage, Condoleeza Rice et maints ambassadeurs a porté ses fruits: Paris s'est montré compréhensif, Rome et Londres se sont montrés prêts à accorder à Washington l'immunité demandée.

Source: Net4war (12/09/2002)

 

Mercenaires online

Le roitelet d'un pays ne vous plaît pas? Faites appel à des mercenaires! Moyennant espèces sonnantes et trébuchantes, ces pigistes de la Kalachnikov et de la grenade vous donneront entière satisfaction. D'autant qu'ils sont de plus en plus nombreux. Vous pouvez même les recruter sur le Web.

Lorsque le gouvernement sud-africain a voulu se débarrasser du gouvernement des îles Comores en 1978, il a fait appel à une équipe de mercenaires.

Une bande «d'affreux» dirigés par le célèbre Bob Denard a renversé le gouvernement comorien et pris sa place de facto en dirigeant la garde présidentielle du nouveau chef d'État.

Comme le définit le site Info Mercenaires: «Un mercenaire n'est pas un soldat. Il n'appartient pas à l'armée régulière d'un État. C'est un individu qui reçoit un salaire (nettement supérieur à celui des combattants réguliers) pour participer à un conflit (ou aux multiples actions qui précèdent, accompagnent, influencent, approvisionnent un conflit, ou lui sont consécutives).»

Trop de guerriers

Selon Philippe Chapleau et François Missier, auteurs du livre Mercenaires SA, dont de larges extraits sont disponibles sur le Net, la recrudescence des mercenaires s'explique simplement.

«Elle résulte en partie de l'accroissement de la main-d'oeuvre disponible, consécutif à la fin de la guerre froide et de l'apartheid, provenant du dégraissage massif des armées en Occident, dans les États qui ont appartenu au Pacte de Varsovie et en Afrique du Sud. »

Entre 1987 et 1994, Philippe Chapleau et François Missier estiment que le volume des armées à l'échelle mondiale a fondu de 28,3 à 23,5 millions d'hommes!

Les récents conflits dans les Balkans et dans le Golfe ont fourni une débauche de soldats de fortune dont les nationalités sont souvent liées aux pays en conflits: Serbes, Croates, Russes...

Ces «chiens de guerre» ne se trouvent plus dans les bars louches comme autrefois mais dans des sociétés de sécurité organisées qui ont pignon sur rue et un site Web. Actuellement, la société de mercenaires DynCorp embauche pour son programme international de lutte contre les drogues. La compagnie recherche des pilotes d'hélicoptères, des mécaniciens, afin de les envoyer au Pérou, en Colombie ou en Bolivie pour une année.

Certaines messageries, telles que le groupe Bodyguards sur ICQ, sont le repère des mercenaires en tout genre tel, Jerry, «armée tchèque, forces spéciales russes, entraînement avec les Britanniques, combat» ou encore un militaire qui se présente sous le nom de Parallax: «Forces spéciales de l'armée américaine recherche emploi...»

Des revenus juteux

Certaines de ces entreprises sont de véritables géants. C'est le cas de MPRI (Military Professional Ressources Inc.), Vinnell corporation, Sandline ou encore Executive Outcomes. Le marché de la sécurité internationale est contrôlé pour l'essentiel par les Américains, les Sud-Africains et les Anglais, puis, dans une moindre mesure, par les Français et les Israéliens.

Executive Outcomes, la plus grande compagnie de mercenaires est sud-africaine et a été fondée par les services de renseignement à l'époque de l'apartheid. «Protéger les vies et les biens des personnes dans un monde de violence en hausse est une science inégalable», se targue Executive Outcomes.

De son côté, l'Américain DynCorp revendique 23 000 employés répartis dans 550 endroits et un chiffre d'affaires de 1,8 milliard US (2,7 milliards de dollars canadiens).

Le site Web de la société de mercenaires pourrait être celui de n'importe quelle autre grande corporation. MPRI affirme être en mesure «d'aider votre organisation à atteindre les objectifs fixés par son leader».

Toutes ces firmes peuvent mobiliser rapidement plusieurs centaines d'hommes, qui seront envoyés dans n'importe quel coin du globe pour faire ce qu'un gouvernement ne peut pas faire légalement.

Contre les chiens de guerre

Pourtant, les mercenaires dérangent, et de plus en plus de voix s'élèvent pour voir leurs activités supprimées.

La Commission des droits de l'homme des Nations unies a adopté, le 12 avril 2002, par 36 voix contre 8 et avec 9 abstentions, une résolution visant à condamner les activités des mercenaires (http://www.droitshumains.org/ONU-GE/Commission/58/Somm-58.htm).

Le Canada a voté contre cette résolution dont l'objet principal est « d'adopter les mesures législatives requises pour empêcher que leur territoire et les autres territoires relevant de leur autorité, aussi bien que leurs nationaux, ne soient utilisés pour le recrutement, le rassemblement, le financement, l'instruction et le transit de mercenaires... »

Faire disparaître ces derniers semble plutôt utopique, d'autant, que, comme le fait très justement remarquer le site Mercenaires, la frontière entre le mercenariat et la légalité est mince.

C'est le cas notamment de la Légion étrangère française, du Tercio espagnol ou encore du 32e bataillon sud-africain dont les activités sont rarement celles d'enfants de choeurs. Ces unités sont un peu à part dans la hiérarchie militaire de leurs pays respectifs.

Enfin, si vous désirez en savoir encore plus sur les mercenaires, ne manquez pas Intelligence Stratégique, «l'encyclopédie de l'intelligence stratégique en français et exclusivement en français.»

Vous serez au fait des derniers événements pour vous... engager !

Source: Cyber Presse (22/07/2002)

Le retour des chiens de guerre

Etats et firmes sous-traitent plus que jamais des opérations armées à des mercenaires.Colombie, Tchétchénie, Sierra Leone, destinations des nouveaux «affreux».La guerre se privatise: faut-il interdire ou réglementer?

«La nuit était tombée. Soudain, nous avons entendu des uits d’hélicoptères et des hommes en armes ont envahi le village. Ils ont aligné tous les Indiens devant leurs maisons. Deux villageois ont été emmenés. Nous ne les avons jamais revus. Ce n’était pas les uniformes de l’armée bolivienne. Il y avait des Américains.» Des expéditions semblables à celle décrite par ce prêtre suisse en Bolivie se multiplient en Amérique du Sud.

Qui sinon l’armée régulière ou la police ose se comporter ainsi? Des Rambos de l’US Army? Une guérilla locale? En réalité, un mélange subtil des deux. «En Bolivie, les forces de tâches expéditionnaires sont des paramilitaires payés par les Etats-Unis», dénonce Evo Morales, député bolivien et héros des petits planteurs de coca. Comme d’autres pays, la Bolivie, très endettée et dépendante, a la corde au cou. Elle ne peut s’opposer à la volonté américaine de conduire sa croisade contre les narco-trafiquants chez elle. Ni de la conduire à sa manière. Ce soir-là, dans le petit village d’Amazonie, ce sont bien des mercenaires à la solde de Washington qui sont intervenus: les nouveaux «chiens de guerre».

Le phénomène prend de l’ampleur sur tous les continents. Un renouveau qui «résulte en partie de l’accroissement de la main-d’œuvre disponible, consécutif à la fin de la guerre froide et de l’apartheid» et au «dégraissage massifs des armées», affirment François Misser et Philippe Chapleau, auteurs de «Mercenaires SA» (éd. Desclée de ouwer). Partout dans le monde, pour le compte d’Etats ou de multinationales, le mercenariat prolifère, inquiète ou donne des idées. Le 12 février 2002, le ministre de la Défense itannique Jack Straw remettait au Parlement un rapport favorable aux «armées privées». Le 3 avril, son homologue français, Alain Richard, a fait part en conseil des ministres de son projet de répression de l’activité mercenaire. Et voici un mois, la Commission des droits de l’homme de l’ONU a pris une résolution dénonçant «le danger que les activités de mercenaires constituent pour la paix et la sécurité dans les pays en développement». Une déclaration d’intention dérisoire, si l’on sait que la majorité des pays «fournisseurs» ont voté contre cette résolution ou se sont abstenus. Malgré la récente entrée en vigueur de la «Convention internationale contre le recrutement, l’utilisation, le financement et l’instruction de mercenaires», il y a fort à parier que le mercenariat a de beaux jours devant lui. Rien de contraignant pour la majorité des Etats non signataires, la définition même du mercenaire posant problème.

Sur le terrain, la Colombie est devenue le royaume par excellence du mercenariat: des groupes privés entraînent l’armée gouvernementale (passée de 22 000 à 100 000 hommes depuis 1998), contre les 17 000 guérilleros des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie). Les gros propriétaires et riches industriels, de leur côté, financent leur propre armée: les Autodéfenses unies de Colombie (AUC), 10 000 paramilitaires d’extrême droite, entraînés jadis par un mercenaire israélien, Yair Klein, pour le compte de feu Pablo Escobar. Mêmes méthodes et même financement: respectivement, la terreur et la drogue.

En Colombie, même les entreprises sous-traitent auprès de mercenaires. Le rapporteur spécial de l’ONU rappelait en 1999 les moyens utilisés par la compagnie pétrolière itish Petroleum pour surveiller ses installations. La multinationale a fait appel à un géant de la «sécurité»: la filiale colombienne (DSC) de l’anglo-américaine Defence Systems Ltd (DSL). Selon le rapport, les forces de la DSC se seraient rendues coupables, avec le concours de mercenaires, d’actes planifiés de torture sur les habitants de localités avoisinant l’oléoduc en construction, afin d’obtenir des renseignements sur la guérilla.

«Vider l’aquarium»

La Colombie est exsangue: deux millions de déplacés, quatre millions d’exilés, 3000 morts par an en moyenne depuis trente-sept ans. Et ce n’est pas fini. Tout laisse présager que les massacres vont s’intensifier. Alvaro Uribe, le nouveau président colombien, a été élu le 26 mai sur un programme va-t-en-guerre contre les FARC et pour le renforcement du «Plan Colombie» imposé par Washington. Justement là où, depuis les attentats du 11 septem e, les FARC sont assimilées à Al-Quaïda. Dès lors, tout semble permis pour lutter contre ce suppôt de l’«axe du Mal». La stratégie de la dernière guérilla marxiste révolutionnaire est d’être dans la population «comme un poisson dans l’eau», confondue aux villageois? La stratégie est claire: il faut «vider l’aquarium».

Qui fera ce sale boulot? Qui ûlera la forêt, épuisera les ressources, déportera les habitants, qui va asphyxier le poisson? Certes Washington soutient massivement la Colombie (la plus grosse assistance militaire après Israël et l’Egypte). Et Bogota a reçu plus de 60 hélicoptères de combat de type Black Hawk et Huey 2, payés par le Plan Colombie (1,3 milliard de dollars). Mais engager directement des «boys» de l’US Army dans les maquis entraînerait des pertes que l’opinion américaine ne tolérerait pas. Dès lors, l’Amérique privilégie résolument l’option «mercenaires», 300 à 400 «gringos» instructeurs sur place. Les avantages? Officiellement pas de pertes, et surtout, aucun compte à rendre sur les méthodes.

Ironie de l’histoire, les croisés contre le trafic de drogue, aujourd’hui, sont parfois les mêmes qui ont entretenu ce trafic autrefois. Ainsi, c’est Oliver North qui a reçu la tâche de définir les objectifs du «Plan». Sous-secrétaire de l’om e de Ronald Reagan pendant la guerre froide, c’est sous sa responsabilité que les armes payées avec la cocaïne colombienne étaient fournies clandestinement aux «contras» du Nicaragua (paramilitaires d’extrême droite) contre le gouvernement sandiniste.

Revue d’effectifs

De même, la compagnie aérienne EAST (Eagle Aviation Services and Technology) chargée aujourd’hui de déverser du défoliant sur les champs de coca est la même firme qui transportait les armes et la drogue. Encore deux autres géants américains du mercenariat sont à l’œuvre: DynCorp et MPRI (Military Professional Resources Inc.) fournissent les pilotes et instructeurs, ainsi que des «spécialistes» de guerre «non conventionnels». Le MPRI, très proche du Pentagone, est considéré un peu comme une seconde armée américaine, privée.

Sur le Vieux Continent, le mercenariat bourgeonne également. Le «savoir-faire»des «chiens de guerre» serbes ou croates, employeurs eux-mêmes pendant la guerre en Yougoslavie, se recycle chez les dictateurs africains. Perpétuant le drame de l’Afrique, feu le président Mobutu en avait importé quelques meutes pour appuyer son armée fantôme au Zaïre. Mais les nouveaux venus se sont illustrés par une couardise qui a marqué les esprits. Au Congo- azzaville, les deux rivaux présidentiels Sassou Nguesso et Lissouba se sont livré, en 1997, une guerre par mercenaires interposés: «Lissouba a fait appel au groupe israélien Lev’dan dirigé par un responsable des massacres de Sa a et Chatila au Sud-Liban», rappelle François Misser dans son livre. Pour appuyer l’unité des «Zoulous» de Lissouba contre les «Co as» de Sassou, les Israéliens ont rameuté des Sud-Africains, des Ukrainiens, des Russes, des Croates et quelques Français, qui ont semé la désolation: 6000 morts au moins.

Sur un autre front, plus récent, les rebelles albanais du Kosovo et de Macédoine ont eux aussi enrôlé en Europe. Et jusqu’en Suisse. «A Lausanne, certains bistrots étaient connus pour a iter des bureaux d’embauche de ce type, témoigne Pierre, un ancien légionnaire suisse. Il suffisait de s’adresser au patron et ensuite…» Si le Vaudois a été attentif à ces discrètes manœuvres, c’est que, comme d’autres Suisses autrefois, il a lui-même intégré des groupes mercenaires, après avoir renoncé au képi blanc. Mais pour les anciens de la Légion qui ont pu manger de ce pain-là, c’est l’amnésie: «On ne s’en vante pas. On était des paumés.»

Autrefois, on dénom ait les laissés-pour-compte des armées régulières au compte-gouttes. Rien à voir avec l’énorme réservoir de soldats de fortune aujourd’hui. Rien qu’en 1988 et 1995, 5 millions d’hommes sont concernés et la Russie s’est débarrassée de 500 000 hommes. Difficiles à recycler. Dans le contexte de la guerre en Tchétchénie, le président Poutine leur a pourtant retrouvé un job. Les parents ne veulent plus voir mourir leurs enfants au front? On y enverra les «kontrakniki», des soldats volontaires, prêts à se battre pour des sommes dérisoires: 30 francs par jour. Même s’ils ne sont pas toujours payés, ces hommes ont répondu aux attentes. Les pires exactions commises en Tchétchénie l’ont été par des «kontrakniki». Autrement dit, personne. Pas de matricule, pas d’identité.

Malgré les apparences, les furieux descendants de Bob Denard qui écumèrent l’Afrique, les ramassis de «salopards» partis à l’aventure sur un coup de tête, c’est du passé. Les voici en compétition avec les groupes de mercenaires modernes – à l’image des anciens Executive Outcomes – bien mieux organisés et constitués en véritables entreprises (entre 100 et 1000 hommes). Ici, le col blanc est devenu la meilleure vitrine du kaki. Ces sociétés, «parfaitement en phase avec le discours ultralibéral ambiant», rappelle François Misser, jouent la carte du marché, de la compétition, on y valorise le «know-how», les technologies et une apparente transparence.

A se plonger dans les sites internet des grosses compagnies Vinnell, MPRI, DynCorp, on croirait que la guerre est devenue un «produit» comme les autres. Les pages de garde s’apparentent à celles d’entreprises de conseil ordinaires, offrant des services diversifiés: en stratégie, armement, entraînements, maintien de la paix, gardiennage, appuis logistiques et techniques, etc. On y décrit fièrement les théâtres d’opérations où l’entreprise est engagée. Et puis on soigne l’image en rappelant les bonnes œuvres (aide humanitaire, sanitaire, environnementale), l’éthique et les valeurs. A la ru ique offres d’emploi, on recherche moins des porte-flingues que des ingénieurs. Il suffit de remplir le formulaire…

La banalisation ou la fin du mercenariat? Le débat a commencé (lire encadré). Ce qui est sûr, c’est que le marché explose. On ne sait pas au juste combien de mercenaires sont actifs, mais le montant des affaires est connu: MPRI, par exemple, a conclu un contrat de formation avec l’armée bosniaque de 50 millions de dollars par an. Defence Systems Ltd affichait en 1997 des bénéfices nets de 33 millions de dollars et l’autre itannique, Sandline, a engrangé 30 millions du gouvernement de Papouasie pour liquider les rebelles de Bougainville. Les plus gros contrats viennent du Golfe: DynCorp en a signé deux de 48 millions chacun, à Qatar et au Koweït. Un danger? Une chose semble certaine: on s’achemine vers la «privatisation de la guerre».

Qu’est-ce qu’un mercenaire?

Plusieurs textes tentent d’interdire le mercenariat: une Convention de l’Organisation de l’Unité africaine (1977), l’article 47 du Protocole I additionnel (1977) aux Conventions de Genève et une récente Convention de l’ONU (1989). Les définitions cumulent souvent cinq critères:

1. Un engagement privé et ponctuel.

2. La non-incorporation dans les forces régulières d’un Etat.

3. Ne pas être originaire du pays.

4. Une participation directe aux hostilités.

5. L’espérance d’un gain élevé.

Problème: ces textes sont peu contraignants et la plupart des Etats ne les ont ni signés, ni ratifiés (seul le protocole additionnel a une portée plus large). En outre, la définition du mercenaire, née du contexte des décolonisations, est dépassée. L’argent n’est plus sa seule motivation à l’ère du mercenariat «entrepreneurial». La nationalité est aussi moins pertinente dans certains conflits «intra-étatiques» (comme en ex-Yougoslavie). Et l’idée d’un engagement «ponctuel» est caduque: on signe parfois pour la longue durée. Enfin, que signifie une «participation directe» quand les armées privées privilégient le conseil et l’encadrement?

Interdire le mercenariat ou le réguler?

Jusqu’où peut-on privatiser la guerre? Les mercenaires entrent dans l’ère de l’entreprise et se montrent moins chers et plus efficaces que les forces de l’ONU. «Etant donné la longévité historique des mercenaires, il semble insensé de tenter de les interdire», mieux vaut en faire un usage réglementé. Cette opinion de David Isenberg, mem e du Centre pour l’information sur la défense à Washington, est de plus en plus partagée. Les idées de «mercenariat entrepreneurial» et de «privatisation de la guerre» sont en vogue. On cite volontiers l’idée de créer une armée privée au service de l’ONU, lancée jadis par le futurologue Alvin Toffler.

Le processus est amorcé. En Sierra Leone, ravagée par une guerre atroce dans la plus totale indifférence et l’impuissance de l’ONU, l’intervention en 1997 des mercenaires sud-africains Executive Outcomes (EXO), aura marqué les esprits. Mandatés par le président sierra-léonais, 285 limiers suréquipés ont «nettoyé» l’adversaire (1000 morts) et imposé la paix. Contrat: 20 millions de dollars.

Cher? «En Angola, le maintien d’une force armée internationale a coûté 678 millions», rappelle Jean Marguin, chercheur à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), qui estime que cette «forme nouvelle de mercenariat qui n’a plus rien à voir avec les “affreux”» est non seulement «inéluctable» mais souhaitable là où les Etats se désengagent. Reste à réglementer. Le récent rapport sur les «armées privées» du ministre de la Défense itannique Jack Straw lance des pistes. Il distingue notamment entre Sociétés militaires privées (SMP) et les Sociétés de sécurité privée (SSP).

Peut-on appliquer les règles du marché à la guerre? Très hostile, l’association «Survie» liste les dérives (au nom des impératifs d’efficacité par exemple) et dénonce une réalité: les mercenaires servent avant tout une politique d’ingérence déguisée des Etats. Quant à «la distinction entre SMP et SSP, elle est discutable» estime Aymeric Philipon, spécialiste de la question au FRS. L’africaniste Jean-François Bayart en appelle à la logique: «L’intervention des privés transforme l’enjeu politique de la paix civile en enjeu commercial, ouvert à la concurrence et l’on voit mal l’intérêt que les privés de la sécurité trouveraient dans le maintien d’une paix perpétuelle qui les écarterait d’un marché si lucratif.» On ne voit pas bien, en effet.

Source: Webdo (30/05/2001)

 

MPRI, une US Army-bis

A l'aube du 4 août 1995, les forces croates lancent l'offensive sur la Krajina. En trois jours, la reconquête est terminée, la république que les Serbes y ont installée balayée. Le succès de l'opération « Tempête » est dû au lâchage des Serbes de Krajina par Belgrade. Mais aussi aux capacités nouvelles de l'armée croate, auxquelles une société privée américaine n'est pas étrangère.

C'est l'année précédente que MPRI (Military Professionnal Ressources Inc.) a été sollicité par le gouvernement croate pour doper un peu son armée et lui permettre notamment de postuler au Partenariat pour la paix de l'Otan.

Officiellement, les conseillers américains n'ont fait que de l'instruction. Pourtant, nom e d'experts identifieront la « patte » de l'US Army dans la planification des opérations croates.

Us Army car la totalité des mem es de MPRI sont des anciens de l'armée américaine. Des anciens prestigieux pour certains. La société compte en son sein des constellations entières d'étoilés, certains généraux ayant même commandé au plus haut niveau. Proche de Washington géographiquement, MPRI l'est aussi organiquement et politiquement. Elle est en fait le as armé du Pentagone pour toutes sortes d'opérations que les forces armées ne peuvent accomplir directement.

On retrouve encore les spécialistes de MPRI en Bosnie, où ils sont chargés d'équiper et d'entraîner la jeune armée de la fédération. « Tout ceci se faisait en parfaite coordination avec Washington, raconte un diplomate français, on croisait à l'ambassade américaine les cadres de MPRI venus prendre leurs directives. » On les croise aussi en Angola. « MPRI y a gagné un contrat en 1995, grâce aux pressions de l'administration Clinton pour que Luanda renonce à recourir aux services d'Executive Outcomes, entreprise militaire privée sud-africaine », précise Olivier Hubac. La société a aussi été mandatée par le Département d'Etat pour aider à la mise sur pied d'une force africaine de maintien de la paix dans le cadre de l'Acri (African Crisis Response Initiative).

Pour le gouvernement fédéral américain, MPRI présente un avantage inestimable.Celui de pouvoir mener des opérations en se passant de l'aval du Congrès.

Source: Le Figaro (02/04/2002)

 

Le général Heinrich : «Les entreprises de sûreté sont une nécessité économique»

Tournant le dos à la trouble image des mercenaires des conflits post-coloniaux, de nouveaux acteurs de la sécurité privée apparaissent en France. Geos se veut l'archétype de ces nouvelles sociétés, très différentes des obscures officines du passé et s'inscrivant dans une logique d'entreprise « normale ». Ancien patron du renseignement militaire français (DRM), le général Jean Heinrich est le président du comité de surveillance de Geos, qui affiche une « charte d'éthique » sur son site Internet.

LE FIGARO. – Les sociétés privées offrant des prestations de sécurité souffrent en France d'une image sulfureuse. Pourquoi ?

Général Jean HEINRICH. – C'est un problème culturel. En France, on confond le mercenariat et la sûreté. Or la sûreté est une nécessité économique, une activité indispensable à nos entreprises qui s'exportent. Les zones grises, de forte insécurité, se développent. Il serait ridicule de se replier économiquement sur le monde « sûr », de refuser d'y travailler. Il faut juste y travailler autrement, être accompagné. Les entreprises ne peuvent envoyer des gens dans des zones à risques sans protection. C'est même une question de responsabilité juridique.

Quels sont les services proposés par une société comme Geos ?

Ils sont multiples, de la fourniture d'information spécialisée à la sécurisation d'un site à l'étranger. Nous faisons des plans de prévention et de sécurité, pour un industriel qui voudrait s'installer en Algérie par exemple. De l'assistance opérationnelle aussi, en accompagnant par exemple quelqu'un qui va en Colombie. L'intervention peut être plus vaste : dans des pays comme le Nigeria ou l'Angola, le consultant peut se charger de l'ensemble des questions de sécurité, en créant une vraie « bulle sécuritaire » pour que l'entreprise puisse travailler. Enfin, nous avons des équipes spécialisées dans la gestion de crise, qu'il s'agisse d'extorsion de fonds, de pillages ou d'enlèvements.

Vos prestations armées ne peuvent-elles se rapprocher du mercenariat ?

Non, c'est très différent. Par exemple, nous ne menons pas d'activité proprement militaire. Pour sécuriser un site, nous nous contenterons de proposer des plans et d'encadrer des personnels locaux.

Votre recrutement en France est pourtant assez typé...

C'est vrai qu'il y a beaucoup d'ex-militaires ou d'anciens des services spéciaux. Tout simplement parce que le métier de la sûreté nécessite une vraie expertise.Mais la société est plus cosmopolite qu'on le pense, avec d'anciens diplomates, des universitaires...

L'émergence de sociétés comme Geos marque-t-elle une nouvelle ère, un virage à l'anglo-saxonne ?

Les choses ont beaucoup changé. Et c'est vrai que l'esprit qui préside à une société comme Geos se rapproche de celui des Anglo-Saxons. Geos se veut une entreprise totalement ouverte, transparente, avec une charte d'éthique et un comité de surveillance, qui compte en son sein un ancien secrétaire général du Quai d'Orsay, un ancien procureur général... ef, une entreprise normale au service d'autres entreprises et de l'exportation française.

Source: Le Figaro (02/04/2002)

 

Le nouvel âge d'or des mercenaires

En rupture avec l'histoire mouvementée des soldats de fortune, un mercenariat moderne se développe. Les Anglo-Saxons ont pris acte de ce nouveau marché privé de la sécurité, en choisissant de l'autoriser en l'encadrant. En France, le débat est ouvert et un texte législatif à l'étude. Enquête sur ces nouveaux acteurs. Les « affreux » se refont une beauté. Les mercenaires des décennies passées ont remisé leur tenue léopard au placard de l'histoire postcoloniale. L'épopée a cédé la place au marché. Quand ils évoquent des bilans, les héritiers de Bob Denard et autres soldats de fortune parlent plus de comptes financiers que d'inventaires d'après-bataille.

Des Balkans au Pacifique, en passant – et en s'arrêtant beaucoup – par l'Afrique, l'activité armée privée a explosé tout au long des années 90. Sur bien des théâtres de conflits, la démission des Etats et l'embourbement des interventions internationales ont favorisé l'apparition de nouveaux acteurs. La geste très controversée des mercenaires sud-africains d'Executive Outcomes en Angola dans les années 90 est un cas d'école. Le mercenariat s'est diversifié, professionnalisé. Du coup, les Etats occidentaux ont compris qu'il ne pouvait plus être considéré comme la résurgence folklorique d'une vieille activité ou un phénomène marginal. Les Anglo-Saxons, les premiers. La France, plus récemment.

Le débat vient d'être relancé par la publication en Grande- etagne, il y a un mois, d'un livre blanc sur les « sociétés militaires privées » (*). Un travail effectué par le Foreign Office, à la suite du tonitruant scandale de Sierra Leone. La découverte, en 1998, d'un vaste trafic d'armes à destination de ce pays d'Afrique, alors sous embargo de l'ONU, avait en effet é anlé le gouvernement de Tony Blair. D'autant que la société en cause, Sandline, avait pignon sur rue à Londres et était dirigée par un ancien officier de l'armée itannique. L'affirmation par Sandline que son exportation d'armes avait reçu l'aval du Foreign Office avait mobilisé une commission parlementaire. Une enquête aux conclusions pour le moins embarrassantes puisqu'il est apparu que, non seulement la diplomatie itannique avait fermé les yeux, mais que les agents secrets du MI6 avaient apporté leur soutien à l'opération...

Echaudé, le gouvernement itannique aurait pu choisir la voie de l'interdiction. Son livre blanc témoigne d'un mouvement inverse. Jacques Straw y fait preuve d'un remarquable pragmatisme, estimant que la « privatisation » d'activités militaires « est appelée à se développer ». L'armée itannique sous-traite depuis longtemps la surveillance de certaines de ses bases à des sociétés privées. Donc, plutôt que de tenter d'interdire ce marché ou de le laisser grandir de manière anarchique, autant l'encadrer. Avec, pratiquement, un système de licences.

Tout ceci rappelle étrangement le système en vigueur outre-Atlantique. Depuis le milieu des années 90, les Etats-Unis ont en effet compris tout le parti qu'ils pouvaient tirer d'un as armé non officiel pour certaines opérations. Les entreprises créées par d'anciens officiers supérieurs du Pentagone ont fleuri. « Les rapports qui lient l'Etat américain à ces sociétés de mercenariat moderne prennent la forme d'une délégation de service public, le cahier des charges écrit en moins », commente Olivier Hubac, doctorant en géopolitique et spécialiste du sujet.

Pour pouvoir opérer à l'étranger, toute société doit obtenir une licence du Department Office of Defense Trade Controls. Voilà pour l'amont. En aval, le contrôle s'effectue discrètement, par le biais de structures moins visibles. « Depuis 1997, la Defense Intelligence Agency (DIA) (NDLR : l'organe de renseignement du Pentagone) réunit tous les six mois au sein du cabinet Cohen & Woods les acteurs de la scène africaine, explique encore Olivier Hubac, l'objectif consiste à s'assurer que ces sociétés de mercenariat moderne soient loyales et efficaces envers les intérêts américains dans la région. » Le cas le plus éclairant est celui de MPRI (Military Professionnal Ressources Inc.). Dans les Balkans notamment, cette US Army bis est intervenue comme un véritable instrument de politique étrangère (voir article ci-dessous).

En France comme à Londres, le sujet fait plancher ministères et législateurs. En France, comme à Londres, quelques troubles affaires ont rendu la clarification nécessaire. La malheureuse aventure des « chiens de guerre » partis au secours du maréchal Mobutu au Zaïre en 1997. Et quelques épisodes confus au Congo- azzaville ou en Côte d'Ivoire. « Un texte sur le mercenariat est actuellement au Conseil d'Etat avant d'être examiné en Conseil des ministres pour être transmis au Parlement avant les élections », explique-t-on à la Défense.

Cette saine intention de clarifier les choses ne fait pas l'unanimité. « Certains s'inquiètent d'une logique française d'interdiction qui irait à contre-courant du mouvement itannique vers l'autorisation encadrée », explique ainsi Jean-Phillipe Daniel, l'un des meilleurs spécialistes français de la question, « cela serait hypocrite car on continuerait à tolérer les opérations discrètes, avec tous les risques de dérives qui en découlent ».

Hypocrite et pénalisant. Jean-Philippe Daniel, qui rédige une thèse sur le sujet, fait ainsi remarquer que Londres considère sans fausse pudeur ces sociétés de sécurité privées comme un instrument d'influence. « Il serait donc dommage, poursuit-il, en faisant l'amalgame entre des officines recruteuses de soldats de fortune et des sociétés de sécurité respectables, de nous priver d'un moyen utilisé sans états d'âme par les Anglo-Saxons. »

Au ministère de la Défense, on se défend d'une telle intention. « Nous voulons juste organiser ce marché et les sociétés honnêtes pourront bien sûr assurer des missions pour des entreprises, explique un expert, par contre, nous ne sommes pas pour la privatisation de ce qui ressort de la coopération d'Etat et qui revient à déléguer une fonction de souveraineté. » Sur ce dernier point, les Français sont clairement en retrait des itanniques, qui n'excluent pas que des opérations de l'ONU soient confiées à des sociétés privées. « Pas dans les premières phases militaires, précise Jean-Philippe Daniel, mais par exemple pour toutes les missions de sécurisation des infrastructures ou d'escorte de l'aide humanitaire. » Cette privatisation de certaines missions ONU a fait l'objet de débats au sein même de l'organisation. Notamment lorsque la question de la sécurité dans les camps de réfugiés rwandais au Congo démocratique se posait. Kofi Annan a déjà exprimé son hostilité de principe.

Américains et itanniques d'un côté, Français de l'autre semblent donc défendre deux écoles. Deux philosophies différentes du contrôle de l'action armée. Les uns prônent une sous-traitance très encadrée. Les autres craignent de voir l'Etat dépossédé d'un de ses pouvoirs régaliens. Et font remarquer que si les Etats se sont dotés au XIXe d'armées nationales, ce n'est pas pour se payer aujourd'hui de nouveaux condottieres.

Source: Le Figaro (02/04/2002)

 

La multinationale des mercenaires

Defense Systems Limited (DSL) est présentée comme une entreprise un peu spéciale, une "compagnie militaire privée". Il serait beaucoup plus honnête de dire qu'il s'agit en fait d'une horde de mercenaires! Elle a été fondée par un ancien officier supérieur des SAS (Special Air Services, les commandos d'élite de l'armée itannique), Alistair Morrison, qui y avait enrôlé bon nom e de ses anciens compagnons d'armes.

En 1997, DSL a été rachetée par la société Armor Holdings, inc. Cette multinationale américaine ne s'occupe que d'un seul domaine: la sécurité. Toute la gamme y passe, des "produits" anti-émeute, gaz lacrymogènes, matraques ou véhicules blindés, en passant par des outils de défense: gilets pare-balles, systèmes d'alarme ou limousines blindées, jusqu'à l'enrôlement d'escadrons de mercenaires pour des opérations de renseignement ou de protection (notamment au service des compagnies pétrolières dans des endroits "à risques": Angola, Colombie...)... ef, que vous ayez un souci concernant votre sécurité, ou que vous ayez envie de vous offrir une milice privée, Armor Holdings, inc. possède la solution. Il suffit de payer et... d'avoir le profil libéral. Cette société "de services" vous offre même un contact près de chez vous. En France, par exemple, Armor Holdings possède la société Labbé, spécialiste de la construction des fourgons blindés pour le transport de fonds, comme ceux qu'utilise la compagnie " ink's"...

Malgré son absorption par Armor Holdings, DSL a gardé son "quartier général" à Londres. La capitale itannique est une adresse bien pratique quand on souhaite embaucher des effectifs provenant majoritairement des SAS... "qualité oblige". Il en va de soi que DSL est la "compagnie militaire privée" préférée du gouvernement de Sa Gracieuse Majesté. Dans le rapport officiel du ministre des Affaires étrangères Jack Straw traitant de la réglementation des "compagnies militaires privées" (voir notre article "Blair-Berlusconi: mercenaires de tous les pays..."), on retrouve bien évidemment DSL. Elle est citée comme étant une société de confiance. Selon les dires du Foreign Office, DSL fait partie des compagnies qui "ont une expérience dans des opérations humanitaires ou le travail de l'ONU" et, si ca ne suffisait pas pour se forger une opinion, le rapport spécifie clairement que... "DSL a pourvu des services de sécurité pour une large palette d'organisations internationales".

En mai 2000, l'hebdomadaire The Observer, dévoila qu'un contrat de plus d'un million de livres avait été signé entre le gouvernement itannique et DSL. C'est ainsi que la société préférée du Royaume emporta le marché concernant le déminage au Kosovo. La députée travailliste Ann Clwyd a émis de sérieux doutes: "Pourquoi devons-nous donner l'argent du contribuable à une compagnie avec un curriculum comme DSL?" Sa question resta sans réponse.

C'est que le dossier de DSL est lourd. Une synthèse de 1998 du rapporteur spécial de l'ONU Enrique Ballesteros parle de "supposées activités mercenaires en République démocratique du Congo". Toujours en 1998, la compagnie fut expulsée d'Angola accusée d'"activités illégales". Mais c'est pour ses agissements en Colombie que les accusations sont les plus retentissantes (voir notre article "Colombie: une cible privilégiée de l'Oncle Sam"). A travers sa filiale de Bogota, Defence Systems Colombia, DSL veille sur la sécurité des puits et des oléoducs pour le compte de la itish Petroleum. Elle ne se limite pas seulement à assurer la protection des biens et personnes, mais accomplit une véritable action de milice privée et de renseignement. Un exemple? C'est DSL qui a fourni de "précieuses" informations concernant des dirigeants communistes et des militants écologistes. A cette occasion son "client" n'était autre que la "14e igade" colombienne. Une unité de l'armée tristement célè e en raison des innom ables atrocités commises par ses mem es.

Source: Amnistia (27/03/2002)

 

Blair-Berlusconi: mercenaires de tous les pays...

Le 12 février 2002, le ministre des Affaires étrangères Jack Straw remettait au Parlement itannique un rapport sur la nécessité de réglementer les "compagnies militaires privées". Le Premier ministre itannique Tony Blair et le président du Conseil italien Silvio Berlusconi se sont rencontrés à Rome le 15 février 2002, dans le cadre d'un sommet italo- itannique. Au cours de leurs entretiens, le libéral-"travailliste" Blair et le libéral-conservateur Berlusconi ont pu vérifier la convergence de leurs idées dans le domaine économique: flexibilité de l'emploi accentuée, privatisations, déréglementation et libéralisation du marché de l'énergie, baisse de la fiscalité... Un axe ultra libéral Rome-Londres s'est ainsi constitué, avec l'ambition de servir de modèle lors de la réunion du Conseil de l'Union européenne, en mars prochain à Barcelone. Mais le chef de l'exécutif itannique a peut-être mis à profit sa visite pour demander des précieux conseils à son homologue italien Silvio Berlusconi. Ce dernier, véritable expert du mélange des genres entre business personnel et pouvoir politique, a désormais une longue expérience dans l'art de se tirer d'affaire. Quitte à faire voter au Parlement italien des lois "ad hoc" pour blanchir ses activités, tout en manipulant l'opinion publique grâce à son emprise sur les médias publics et privés. Une expérience dont Tony Blair a un besoin urgent. En effet, coup sur coup, deux polémiques viennent d'éclater au Royaume-Uni concernant les liens incestueux entre monde politique et profit privé.

Au centre de la première on trouve une lettre que Tony Blair avait adressée le 23 juillet 2001 au Premier ministre roumain Adrian Nastase. Son contenu a été révélé le 10 février dernier par le quotidien itannique The Telegraph. Dans sa missive Blair se disait heureux pour la prochaine vente de l'entreprise d'Etat Sidex, colosse roumain de la production d'acier, à la société itannique LNM Holdings. Blair affirmait aussi que l'opération permettait de "positionner encore plus fermement la Roumanie sur la route pour devenir mem e de l'Union européenne". Une entrée dans l'UE qui est l'objectif politique principal pour l'actuel gouvernement de Bucarest... Le message se révélera décisif pour convaincre le Premier ministre roumain, qui doutait encore de la solidité de l'acquéreur, la société LNM. Le 25 juillet, deux jours après la lettre de Blair, un projet de contrat de vente sera ainsi signé à Bucarest pour un montant de 37 millions de livres. Et c'est là que les ennuis commencent pour Tony Blair.

Il se trouve en effet que le milliardaire indien Lakshmi Mittal, patron de la société LNM, avait "donné" 125.000 livres au parti travailliste de Tony Blair, un mois auparavant... Ensuite, contrairement aux affirmations insistantes du Premier ministre anglais, LNM n'est pas une compagnie itannique: elle est enregistrée dans le paradis fiscal offshore des Antilles hollandaises. Mais il y a pire encore. Lakshmi Mittal, le patron de LNM, a versé 600.000 dollars au groupe de pression "Stand up for steel" (debout pour l'acier), qui fait du lobbying aux Etats-Unis pour convaincre le président Bush d'augmenter de 40% les tarifs de l'acier importé. Le but étant de protéger les producteurs d'acier US, dont fait partie Lakshmi Mittal avec ses usines américaines. Si la mesure était approuvée par l'administration Bush, ce serait un désastre pour les exportations d'acier itannique vers les USA. Avec, comme effet, la perte de milliers de postes de travail supplémentaires, après les 6.000 déjà supprimés l'année dernière par la sidérurgie d'outre-Manche... Pour couronner le tout, The Telegraph révélait aussi que pour acheter l'usine d'acier roumaine Sidex, Lakshmi Mittal a obtenu un prêt de 70 millions de livres de la Banque Européenne de Reconstruction et Développement (BERD). Le prêt avait été accordé suite à la pressante intervention du cabinet de Claire Short, ministre travailliste du Développement international. Dans ces conditions, Blair s'est-il senti " obligé " d'intervenir en faveur du "généreux" Lakshmi Mittal ou a-t-il été tenu dans l'ignorance des détails du marché par le parti travailliste?

La tempête du "money for favour" (argent contre faveur) venait juste de s'abattre sur Tony Blair et le parti travailliste, qu'une nouvelle polémique éclatait le 12 février 2002. A cette date, le ministre des Affaires étrangères Jack Straw présentait au Parlement itannique un rapport sur les "sociétés militaires privées". Ces "entreprises" qui de plus en plus souvent interviennent sur les théâtres de guerre du monde entier, fournissant des "services" aussi variés que discutables: de la fourniture d'armes et troupes mercenaires aux parties en conflit, jusqu'à l'activité de renseignement, entraînement de troupes, logistique, déminage, conseil, protection armée des installations civiles et militaires... Comme l'américaine Vinnel qui entraîne la Garde royale saoudienne ou la itannique Watchguard, qui dans les années 70 s'occupait de la protection des dirigeants moyen-orientaux. Ou encore l'américaine own&Root qui assure toute la logistique des troupes US dans les Balkans, de la construction des bases militaires, au traitement des eaux jusqu'au rapatriement des cadavres!

Parfois cela ne va pas sans bavures. Il y a quatre ans, le gouvernement travailliste de Tony Blair avait été accusé d'avoir fermé l'œil sur les exportations illégales d'armes de la société itannique Sandline International vers le Sierra Leone. Un trafic qui s'est déroulé malgré le blocus décrété par les Nations Unies, pour mettre fin à la féroce guerre civile dans ce pays africain. Après cette affaire on s'attendait à ce que le rapport du ministre Jack Straw préconise d'interdire ou de limiter fortement le champ d'activité de ces "sociétés militaires privées". Il n'en a été rien. Bien au contraire, partant du principe que 80% de l'entraînement des troupes anglaises est déjà l'apanage de prestataires externes à l'armée, Straw prévoit une présence du secteur privé encore plus massive. Car dans l'après-guerre froide "nous nous trouvons dans un monde de petites guerres et d'Etats faibles", dont les besoins grandissants de sécurité ne peuvent plus, selon lui, être satisfaits par les armées traditionnelles. Ce sera donc aux société privées d'occuper la place, contre rétribution bien entendu. D'autre part, le ministre se prend à rêver à l'utilisation qu'on pourrait faire des "sociétés privées militaires" dans le cadre des opérations de paix de l'ONU. Plus souples, plus rapides, "un secteur militaire privé fort et fiable pourrait avoir un rôle dans l'avenir, en permettant aux Nations Unies de répondre plus rapidement et efficacement aux situations de crise". Et surtout moins chères.

Pragmatique, Jack Straw fait remarquer que "le coût de l'emploi de sociétés militaires privées pour certaines fonctions dans les opérations de l'ONU, pourrait être beaucoup plus bas que celui des armées nationales". Comme dans le cas de la guerre civile au Sierra Leone. Où, entre 1995 et 1997, la "compagnie de guerre" sud-africaine Executive Outcomes est intervenue à côté du régime militaire en place pendant 21 mois. Pour un prix de seulement 35 millions de dollars. Comparé aux 47 millions qu'ont coûté 8 mois de mission de la force de paix de l'ONU au Sierra Leone, pour Jack Straw le choix est vite fait. Il faut privatiser... Il suffira pour le gouvernement itannique, propose Straw, de distinguer entre "les sociétés qui sont respectables et légitimes" et celles "qui ne le sont pas". Une respectabilité pour les sociétés de mercenaires qui fait grincer les dents au député travailliste Andrew Mackinlay, mem e de la commission Affaires étrangères de la Cham e des Communes. "Une idée répugnante" déclare-t-il, avant d'ajouter "je ne comprends pas que le ministre Straw puisse seulement prendre en considération la possibilité d'attribuer aux compagnies militaires privées cette aura de respectabilité". On comprend son désarroi. Après la privatisation de la guerre, l'ultra-libéralisme risque de nous imposer aussi la privatisation de la paix. Pas celle des aves: celle des mercenaires.

Source: Amnistia (27/02/2002)

 

 

Les mercenaires des forces multinationales

A une époque révolue, quand il s'agissait de combattre l'invasion soviétique de l'Afghanistan, "ils" étaient des "combattants de la liberté" financés, armés et entraînés par la CIA et son homologue pakistanais de l'ISI. Après les massacres de New York du 11.09.01, le milliardaire saoudien Oussama Ben Laden et son réseau de combattants d'Al-Qaeda représentent, pour l'Occident, le mal absolu qu'il faut extirper à tout prix. Ce renversement d'attitude n'est pas isolé.

En Europe, au Kosovo, l'essor de l'UCK (l'armée de libération du Kosovo) n'est pas moins entaché d'ambiguïté. Dans une enquête publiée le 31 août dernier, l'hebdomadaire italien Panorama nous en donne un exemple troublant. Il se fait appeler Jean Voudrec et il a été officier dans l'armée belge. L'homme qui est interwievé a été conseiller militaire auprès du régime de Mobutu au Congo pour le compte de l'Union Minière, il s'est battu en Angola et en Libye. Il s'est spécialisé dans la "formation" de troupes. C'est pour cela qu'il y a deux ans "quelqu'un" l'a contacté pour une "mission": entraîner les bataillons de l'UCK. Lui et son équipe, une douzaine d'hommes, passent en Slovénie, ex-république Yougoslave. De là deux hélicoptères les embarquent. Il affirme au magazine que les appareils appartenaient à... la KFOR, la force multinationale censée s'interposer entre combattants albanais et troupes serbes. "Vous voulez dire que vos commanditaires appartiennent aux mêmes forces multinationales?" lui demande le journaliste Cristiano Bortone. "Je ne veux pas suggérer de conclusions. Je raconte seulement ce qui s'est passé" coupe court Jean Voudrec...

Son petit groupe se retrouve dans un camp d'entraînement, une centaine de tentes, au sud du Kosovo. En deux ans, un millier d'hommes y a été formé. Les nouvelles recrues arrivaient et repartaient en hélicoptère. "Plusieurs d'entre eux étaient des vrais psychopathes, motivés seulement par le saccage et le meurtre" reconnaît le mercenaire belge. Avant de s'en laver les mains: "Je ne sais pas où ils allaient. Ca ne m'intéressait pas. Notre job se terminait là". Puis, au fil du temps, les choses se sont compliquées. Les soldats de l'UCK ne respectaient pas le cessez-le-feu. Les protégés d'hier sont-ils devenus des gêneurs? Le fait est que les "commanditaires" ordonnent au groupe de l'ancien officier belge de se transformer en police parallèle. Jean Voudrec obtempère, mais apprécie modérément ce nouveau rôle. Il décrit la mainmise des mafias italiennes sur les trafics en tous genres: la drogue, la prostitution organisée dans les camps des forces multinationales, les armes séquestrées aux guérilleros de l'UCK et revendues sur le marché noir en Afrique.

Heureusement pour lui les "employeurs" sont des gens sérieux. Ils payent régulièrement les salaires en avance, à chaque début de mois, sur des comptes... en Suisse. 24.000 FF environ chacun. Qui sont "ils", ces mystérieux employeurs? Cette question reste sans réponse. Jean Voudrec explique seulement que "Quand nous acceptons un travail nous ne demandons jamais d'où vient l'argent". Tout de même quelque temps après, il se dit dégoûté de la situation. "C'était devenu un conflit sans règles... Je ne suis pas un killer... mais un soldat de profession. Au Kosovo j'ai accompli une mission. C'est à ceux qui l'ont ordonnée et payée qu'incombe la responsabilité". Avec ses hommes, il demande à être relevé de sa "mission" et rentre à la maison. Aujourd'hui il le jure : son rêve est de changer de vie. Il veut se rendre utile, en Afrique par exemple: forage de puits d'eau, installation de groupes électrogènes, de pompes.

A moins que ses "commanditaires" ne lui confient une nouvelle "mission", à 24.000 Fr. par mois (3.659 euros) plus une petite prime d'ancienneté.

Source: Amnistia (22 octo e 2001)

 

"Le Boom du mercenariat", une publication de la revue Damoclès

La recrudescence des opérations mercenaires et le développement de la privatisation de la guerre sont au coeur de la réflexion du colloque sur le mercenariat, dont les actes viennent d'être publiés par la revue Damoclès du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits (CDRPC).

Ce colloque, organisé à l'automne 2000 par Survie, une organisation non-gouvernementale entendant combattre notamment "le risque de banalisation du génocide et des crimes contre l'humanité", a étudié les aspect modernes du mercenariat, phénomène sans doute aussi vieux que la guerre elle-même.

Partant du constat que "la sécurité, domaine réservé de l'Etat, est devenue un secteur florissant du marché", le colloque a passé en revue le mercenariat aujourd'hui : de Bob Denard, figure liée à la répression des luttes anti-coloniales, aux sociétés commerciales comme Sandline ou Executive Outcomes, qui procurent à la demande et clés en main des armées disposées à peu prés à toutes les besognes.

Ces sociétés, note l'un des intervenants (François Misser), arguent du désengagement de l'ONU et de l'échec de ses opérations mettant en parallèle leur meilleur coût-efficacité et leur plus grande flexibilité et rapidité d'intervention.

Et si leurs clients traditionnels restent les grandes sociétés internationales, notamment pétrolières, il peut aussi arriver que des organisations humanitaires fassent appel à elles pour protéger leurs opérations et leurs mem es dans des zones d'insécurité.

Plusieurs des intervenants ont également décrit ce qu'ils appellent "la privatisation" des aides militaires que les gouvernements - la France, les Etats-Unis et la Grande- etagne - ont de plus en plus tendance à confier à des structures de type commercial dont les employés sont souvent des soldats d'active mis en disponibilité pour la durée de leur mission.

Les liens, notamment en France, entre l'extrême droite et les mercenaires font également l'objet d'une présentation (Thierry Meyssan) très détaillée, qui les font remonter aux premières années de François Mitterrand à l'Elysée.

"Le boom du mercenariat : défi ou fatalité ?", Les documents de Damoclès, 87 p, 60 F (9.15 EURO) - CDRPC, 187 montée des Choulans, 69005 LYON.

Source: AFP (07/09/2001)

 

USA: la privatisation de la guerre

Bondsteel Camp, au sud du Kosovo, est la plus grande base militaire US jamais construite à l'étranger depuis la guerre du Vietnam. Les travaux d'un montant de 36,6 millions de dollars ont été effectués par la société own & Root, filiale de la société américaine Halliburton Company. Cette dernière se définit comme "le plus grand fournisseur du monde de produits et services aux industries du pétrole et de l'énergie". Son savoir avait déjà été précieux pour le gouvernement US lors de la guerre du Koweit. A l'époque il avait fait appel à Halliburton Company pour éteindre les puits d'or noir enflammés par l'armée de Saddam avant la retraite. Mais que fait maintenant cette compagnie à travers sa filiale, own & Root (spécialiste en logistique militaire) au beau milieu des Balkans? Là où flotte la moindre odeur de pétrole, Halliburton intervient en fournissant installations pétrolières et militaires en kit. Le contrôle du ut de la mer Caspienne qui pourrait être acheminé via un nouvel oléoduc traversant la Macédoine et l'Albanie est désormais un enjeu stratégique. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si Dick Cheney l'actuel vice-président américain, était le directeur général de Halliburton Company, lors de la guerre en ex-Yougoslavie (tout comme il était secrétaire à la Défense de papa Bush quand Halliburton intervenait au Koweit). Au moment de son départ pour la Maison-Blanche Cheney a reçu de son ancien employeur la coquette indemnité de 33 millions de dollars... de quoi raviver les souvenirs du nouveau vice-président lors des attributions de contrats du gigantesque programme d'approvisionnement énergétique US. Là aussi Halliburton Company compte bien rafler la mise.

D'autres importantes sociétés, pour lesquelles la frontière entre intérêt d'Etat et profit privé est de plus en plus floue agissent, en étroite connexion avec l'Etat, sa représentation politique et son armée. Parmi ces nouveaux prestataires de services, si spéciaux, MPRI (Military Professional Resources Inc., fondée en 1987 par le général à la retraite Vernon Lewis) vante sur ses dépliants publicitaires "d'offrir la meilleure expérience d'entreprise militaire du monde, disposant d'unités opérationnelles et/ou représentants locaux auprès des sièges militaires dans tous les USA et à l'étranger". Et ce n'est pas du bluff, dans ses fichiers, MPRI, dispose des noms de 2000 officiers à la retraite du service de l'armée mais immédiatement opérationnels pour les besoins de la firme privée. Carl Vuono, ex-général 4 étoiles, ancien chef d'état-major de l'armée dans les opérations de Panama et du Golfe est aujourd'hui le patron de cette entreprise si particulière. Le général Ed Soyster, ex-chef de la DIA et le général Frederick Kroesen, ancien commandant des forces US en Europe ont fait partie de son staff de managers.

Croatie, avril 1995. MPRI est là. Les ex-généraux Vuono, Griffits et Crosbie Saint ont la charge d'organiser, former, entraîner l'armée croate mal en point face aux troupes serbes. Quelques mois après, les Croates lancent victorieusement leur offensive dans la région de la Krajina: pillages, incendies, déplacement de 170.000 personnes, des centaines de morts, avec une belle coordination d'infanterie, artillerie et chars de combat. Les conseils de MPRI ont porté leurs fruits...

En 1996, MPRI arrachera aussi un contrat de 400 millions de dollars du gouvernement bosniaque pour l' aider à structurer son armée. Cette mission a été presque intégralement financée par l'Arabie Saoudite, le Koweit, le unei et la Malésie, "alliés-clients" habituels des USA. Plus récemment, en Colombie, MPRI vient d'honorer un "petit" contrat de 3 millions de dollars pour améliorer les performances de l'armée dans la lutte contre les narco-trafiquants. D'une certaine façon le résultat est probant: le flux de cocaïne vers l'étranger ne s'est pas arrêté, mais les milices paramilitaires du pays, soudainement galvanisées, ont accru leurs atrocités sous les yeux indifférents des forces gouvernementales colombiennes.

Pourquoi des sociétés privées, s'occupent-elles de logistique et formation militaire suivant les intérêts US dans les différentes régions du monde?

Premier avantage: le coût. Depuis la fin de la guerre froide le nom e des soldats US a chuté de 30%. mais, grâce aux sociétés privées l'Amérique a augmenté son exportation de logistique et de savoir-faire à l'étranger. Sans compter que certaines "missions" politiquement délicates pour les gouvernants américains pourront être exécutées, à moindre coût, par ces "entreprises commerciales" interposées. Et voilà un autre avantage de taille: un écran d'opacité s'interpose entre les opérations exécutées par ces milices privées et les intérêts stratégiques des USA qui les subventionnent.

Les entraves légalistes, le contrôle du Parlement ou du Sénat, les critiques de la presse... tout ça c'est du passé! La CIA pourra souffler un peu et n'aura plus l'obligation de se compromettre directement.

L'éclosion de ces "agences de guerre" ( souvent installées près des bases militaires US) donne l'impression qu'on glisse lentement du concept de "pays allié" à celui de "pays client". Et de clients à prendre, dans l'après-guerre froide, il y en a de plus en plus.

Parfois il y a même 2 clients pour un même "coup". MPRI, sous contrat avec le Pentagone, a formé et entraîné l'Armée de Libération du Kosovo, encourageant de ce fait le projet de Grande Albanie, en fonction d'une stratégie anti-Grande Serbie. Mais elle a entraîné aussi l'armée Macédonienne aujourd'hui aux prises avec la même déstabilisation armée. Comme si ni MPRI et ni le gouvernement américain, n'avaient intérêt à ce que cette guerre ait une fin, le service après-vente étant souvent plus rentable que la vente elle-même.

Aux dernières nouvelles MPRI s'est récemment installée au Nigeria et en Guinée, deux pays ravagés par de sanglantes luttes intestines. "Tant qu'il y a de la guerre il y a de l'espoir... de profit privé". Tel pourrait être son slogan.

Source: Amnestia (15/05/2001)

 

MPRI pour la sécurité de la ville de Malabo?

Après un première contrat d'assistance technique avec la Guinée Équatoriale pour la lutte contre la piraterie maritime, MPRI tente d'obtenir du maire de Malobo, Ga iel Mba Bella, beau-frère du Président, un contrat pour la sécurité de la capitale. MPRI est en compétition avec une société de sécurité française...

Source: La Lettre du Continent (18/01/2001)

 

France: un engagement contre le mercenariat

L'Assemblée va examiner le projet de loi d'adhésion de la France au protocole (du 8 juillet 1977) additionnel aux conventions de Genève sur la protection des victimes des conflits

Le texte codifie une série de principes pour les populations (interdiction des représailles, etc.), les personnels sanitaires; il précise le statut des combattants et des prisonniers, des unités paramilitaires... Dix-huit réserves interprétatives annoncent toutefois une belle empoignade pour la rédaction de la loi d'application. Une observation valable pour l'article 47 relatif aux "mercenaires" dont le statut est ici qualifié avec précision: des combattants, non ressortissants ou non résidents d'une partie en conflit,rémunérés et bénéficiant d'avantages personnels . Les premières réunions interministérielles d'adaptation du code pénal le montrent déjà, en l'absence notoire de l'Intérieur. Il s'agit d'imposer un contrôle a priori des "équipes". Un paragraphe, (passé inaperçu?) du rapport de la Défense sur les exportations d'armes dela France en 1999, l'a déjà indiqué, en décem e : "l'utilisation de mercenaires dans les conflits ou dans les situations troublées aggrave la violence, destabilise les Etats, et génère des atteintes aux droits de l'homme par le recours à des traffics illicites d'armement. Les moyens légaux pour combattre ces pratiques sont lacunaires en droit français. Il convient de prévenir , mais aussi de réprimer toute implication de ressortissants français. Le gouvernement soumettra donc au Parlement dans les meilleurs délais des dispositions permettant l'identification et la répression des activités de mercenariat commises par des Français. Elles associeront un mécanisme de police administrative et des sanctions pénales."

Source: TTU (n° 348 - 18 janvier 2001)

 

Cachez ce mercenaire...

A l'heure où le gouvernement belge parle de recruter hors de ses frontières, évitant ainsi de bousculer les quotas de flamands et de wallons, plusieurs ONG francophones, liées à l'association Survie, ont décidé de soutenir la campagne qui vient d'être lancée à Paris pour la ratification par la France de la convention internationale contre l'utilisation et l'instruction de mercenaires. Cette convention a été votée le 4 décem e 1989 par l'Assemblée générale de l'ONU. A ce jour, 19 États , dont l'Italie, ont reconnu ce texte, sa mise en oeuvre ne pouvant intervenir qu'avec la ratification de 22 pays.

Source: TTU (n° 340 - 16 novem e 2000)

 

Mercenaires S.A.

Extrait de l'ouvrage de Philippe Chapleau et François Missier, paru aux éditions Desclée de ower

Depuis le début de la décennie, on assiste à une recrudescence des opérations mercenaires sur tous les continents. Elle résulte en partie de l’accroissement de la main-d’œuvre disponible, consécutif à la fin de la guerre froide et de l’apartheid, provenant du dégraissage massif des armées en Occident, dans les Etats qui ont appartenu au Pacte de Varsovie et en Afrique du Sud. Parallèlement le dépérissement de nom e d’Etats, surtout en Afrique mais aussi sous d’autres latitudes, a suscité une explosion de la demande provenant de dirigeants aux abois mais aussi d’autres commanditaires, désireux d’opérer à tout prix dans ces zones de haute insécurité : entreprises, organisations internationales ou humanitaires .

Dans cet univers en mutation, les soldats de fortune d’aujourd’hui n’ont plus grand chose à voir avec les " affreux " des années 60, proscrits et hors-la-loi. Ils ont donné naissance à de véritables empires de la guerre privée, qui concluent des contrats en bonne et due forme avec des Etats ou d’autres firmes, agissant comme les as armés de multinationales ou se profilant comme le fer de lance d’empires multisectoriels en devenir. Qui plus est, ils reçoivent parfois l’onction des establishments militaires des pays mem es de l’OTAN. Qui va contrôler ces nouveaux condottieres et ces " soldats du futur " pour qui la sécurité individuelle et collective n’est qu’une marchandise ? La démission ou la complicité des Etats face au phénomène inquiète jusqu’à l’ONU.

Paradoxalement, le colonel Bob paraît " grillé " alors que la profession n'a jamais connu un tel engouement. La main d'oeuvre de par le monde, se presse au portillon. "Pour le recrutement des mercenaires, il y a eu pendant longtemps un phénomène de vagues. Ainsi, après la vague de l'après-Vietnam, on a vu apparaître sur le marché de nom eux Anglais à l'issue de la guerre des Malouines; après la guerre du Golfe, l'offre s'est un peu diversifiée : des Anglais toujours, des Américains, des Français dont le nom e a augmente après l'intervention en ex-Yougoslavie. Plus récemment, de nom eux anciens soldats du bloc de l'Est sont apparus sur le marché; eux ce qui les intéresse, c'est le fric. Depuis deux ou trois ans, des filières serbes ou croates ont été mises sur pied. Mais ce qui est le plus frappant, c'est qu'il y a de plus en plus de gens disponibles et qu'il n'y a aucun mal à recruter ", résumait un officier de renseignement français au milieu de l'année 1997.

L'expérience zaïroise venait de montrer qu'il était aisé d'expédier rapidement quelques dizaines d'hommes sur le terrain; les Sud-Africains d'Executive Outcomes prouvaient de leur côté que ce chiffre pouvait facilement être porté à quelques centaines. Aujourd'hui s'il est impossible de quantifier le vivier mondial de mercenaires, force est d'admettre qu'il n'y a jamais eu autant d'hommes prêts au service armé de pays étrangers ou de structures entrepreneuriales engagées dans des tâches de protection ou de défense. "Phénomène de fin de siècle", lâchait le même officier français. Peut-être, mais il est aussi des conditions objectives à cette résurgence et à l'arrivée sur le marché de cohortes d'hommes aguerris, motivés et disponibles.

Démobiliser qu'ils disaient

Il est clair que la tendance mondiale à la démobilisation a constitué le facteur déclencheur. Entre 1987 et 1994, à l'échelle mondiale, les effectifs militaires ont fondu de 28,3 millions à 23,5 millions d'hommes (David ISENBERG, Soldiers of fortune Ltd: a profile oftoday's private sector corporate mercenary firms, Center for Defense Information, Washington, novem e 1997).

De surcroît, en dix ans, les plus grandes armées du monde ont perdu de vue leurs ennemis habituels. Depuis la chute du Mur, qui craint encore un déferlement de chars rouges sur l'Europe occidentale ? Aux bons gros bataillons - " divisions ", aurait dit Staline ! -, les stratèges préfèrent désormais les " combattants du futur " furtifs, chirurgicaux, bardés d'électronique, moins nom eux et surtout moins coûteux. Mais avant même l'avènement de cette race de guerriers du XXI° siècle, le couperet est tombé : désormais, la défense d'un État n'est plus que du ressort d'une minorité; la Nation en armes a vécu. Il suffit, pour mesurer l'ampleur de cette démobilisation, de se pencher sur le chevet de l'armée française qui vient de subir une véritable hémorragie. Entre 1988 et 1995, l'armée de terre (pour ne parler que d'elle) a perdu 30 % de ses effectifs, soit 53 régiments. D'ici à l'an 2002, elle en perdra 45 autres. Partant d'un effectif global de 230 000 (militaires et civils) en 1997, l'armée de terre n'alignera plus que 136 000 soldats professionnels et 34 000 civils en 2002. Que vont devenir les démobilisés ?

Les opérations extérieures conduites par la France en Afrique et dans les Balkans ont également contribué à convaincre certains militaires français que le recyclage dans le mercenariat pouvait constituer un palliatif à leurs frustrations. " J'ai fait deux séjours en ex-Yougoslavie, raconte François, un ancien sous-officier de l'infanterie de marine. On a pris des coups sur la gueule; on a vu des copains se faire tuer; et pour riposter, il fallait presque que ça remonte jusqu'à New York! On a passé des semaines à attendre, à rentrer la tête dans les épaules. Ras Je bol d'assister aux tueries sans pouvoir intervenir ! Alors, terminé ! Pas question de rempiler Si c'est pour repartir en Opex (opération extérieure) et tenir la chandelle ! Il y a pas mal de copains qui pensent la même chose que moi. De mon côté, je vais essayer de trouver un contrat à l'étranger... "

Tendance similaire aux États-Unis. En mai 1997, William Cohen a présenté son plan quadriannuel dedéfense. Tout en affichant une claire volonté de préserver la capacité opérationnelle des forces armées américaines, le secrétaire d'État à la défense a annoncé son intention de poursuivre le programme de fermeture de bases. Entre 1988 et 1997, 98 des 495 bases US ont été fermées ; simultanément, les effectifs passaient de 2,1 millions d'hommes à 1,45 million. Les dernières propositions de William Cohen s'apparentaient à de nouvelles coupes claires 62 000 autres soldats démobilisés, 54 000 postes de réservistes supprimés et 70 000 emplois de civils de la défense rayés des effectifs

Même dégraissage en Russie. En octo e 1997, le général Manilov confirmait, dans une interview au Figaro, que l'armée russe allait se séparer d'un demi-million de ses soldats et que les effectifs allaient chuter de 1,7 million d'hommes à 1,2 million : "Il s'agit de trouver le format optimal des forces armées en fonction du nouvel environnement stratégique et de ressources extrêmement limitées ", expliquait l'adjoint du chef d'état-major des armées russes.

Les Sud-Africains, ainsi qu'on l'a vu, disposaient au cours des années 1980 d'une formidable armée. Entre ses professionnels, ses conscrits et ses réservistes, le pays de l'apartheid disposait d'un effectif de 500 000 hommes, dont 180 000 pour la " standing operational force ". Avec la Pretoriastroika, l'une des innom ables conséquences planétaires de la chute du Mur, les menaces pesant sur l'Afrique du Sud se sont estompées; Nelson Mandela et les chefs historiques de la lutte anti-apartheid ont été libérés; les mouvements de libération ont mis fin à la lutte armée et la guerre d'agression régionale menée par l'Afrique du Sud a pris fin. " Quel avenir pour nous ? Je me suis battu pendant quinze ans. Et maintenant je m'occupe de l'auto-école du bataillon. Je vais quitter l'armée et rentrer dans le privé ", se lamentait en 1992, un vieux lieutenant du 32° bataillon

Bien sûr, cette démobilisation planétaire n'a pas jeté sur les chemins du mercenariat tous les laissés-pour-compte des armées occidentales, soviétiques ou africaines. Mais parmi les milliers d'hommes qui ont dû quitter la vie militaire et tenter de réintégrer une existence pacifiée, nom eux ont été les déçus. L'éclatement des sociétés militaires a été trop usque; les mesures d'accompagnement généralement insignifiantes; enfin dans un contexte de crise endémique, le retour à l'emploi a été rude pour des hommes dont l'expérience professionnelle n'est pas aisément monnayable sur le marché civil du travail. Ironie du sort, nous allons le voir dans les prochains chapitres, la démobilisation générale n'a pas toujours engendré les dividendes de la paix escomptés.

" Qu'est-ce qu'on peut faire d’autre quand on ne sait faire que la guerre ? " se demandait un capitaine sud-africain des Recces (commandos de reconnaissance) en 1995. Cet officier a depuis réussi à rejoindre Executive Outcomes dont le patron n'a jamais caché que le besoin d'emplois en phase avec leurs compétences militaires constituait la principale motivation des hommes qui servaient dans sa société. En juin 1993, Jean-Paul Mari publiait dans Le Nouvel Observateur un article sur les " nouveaux mercenaires ". " Naïfs, purs, idéalistes, salauds ou assassins, faux romantiques ou vrais néonazis, résumait le journaliste, ils ont souvent en commun de ne pas supporter l'inactivité ou l'ennui ".

L'époque des cycles, où l'offre était liée aux fluctuations politiques dans un État ou à la fin d'un conflit régional, est bien révolue. Sur les grandes places de recrutement se côtoient désormais des candidats mercenaires de l'ancien bloc de l'Est (Russes, Ukrainiens, Polonais...), des Anglais, des Sud-Africains, des Israéliens, des Américains, des Belges, des Croates, des Serbes et des Français pour ne citer que les cohortes les plus importantes. Leurs profils psychologiques sont Si variés qu'il est impossible de dresser la typologie du mercenaire de cette fin de siècle les extrémistes de droite ou de gauche et les rêveurs généreux qui se lancent à corps perdu dans une cause sont de moins en moins nom eux; la tendance est au professionnalisme et à la maîtrise des armes modernes. Difficile également d'estimer le nom e actuel de mercenaires. Jean Paul Mari s'en tenait, en 1993, à un " probablement quelques dizaines de milliers dans le monde " avant d'énumérer " peut-être 4 000 en ex-Yougoslavie, 5 000 Pakistanais mercenaires de luxe en Arabie Saoudite, 6 000 à 7 000 croyants musulmans pendant la guerre en Afghanistan... ". En fait, peu importe leur effectif. L'important, pour les observateurs et les services de renseignements, reste de pouvoir identifier les filières de recrutement, de les activer ou de les neutraliser selon l'option politique du moment. Pour les employeurs, l'essentiel, c'est de s'assurer des services d'hommes compétents, disponibles et... bon marché! Depuis l'estimation de Mari, de nouveaux et très forts contingents sont venus grossir le nom e des candidats. Parmi eux, des Serbes dont la présence n'est pas passée inaperçue sur les théâtres africains. Recrutés par une filière mise en place par la DST française (Direction de la surveillance du territoire), ces quelques dizaines de Serbes, dont la discrétion n'est pas la principale qualité, ont beaucoup fait parler d'eux lors de la crise zaïroise qui a provoqué la chute de Mobutu. Thierry Charlier, le photographe belge qui a accompagné les mercenaires de Christian Tavernier sur le terrain, n'est pas tendre avec eux. Selon l'article qu'il a rédigé pour le mensuel Raids et paru dans le numéro de mai 1997, la centaine de mercenaires serbes arrivée en janvier 1997 a été " le plus souvent aux abonnés absents ". Depuis cet épisode, la filière semble avoir été activée à plusieurs autres reprises pour des projets d'opération en Afrique. Un déploiement était prévu au Congo- azzaville mais il a tourné court puisqu'une autre opération de mercenaires, français cette fois, a pris de vitesse les commanditaires des Serbes (voir chapitres 6 et 8). La présence de mercenaires serbes a également été annoncée dans l'océan Indien à l'automne 1997. Positionné dans le nord de Madagascar, un groupe de 20 hommes s'est préparé à intervenir aux Comores et plus précisément sur l'île sécessionniste d'Anjouan. Rappelons que les Anjouanais ont tenté de s 'émanciper de la tutelle de Moroni au cours de l'été 1997 pour réintégrer le giron de la République française. Alors que Paris faisait le gros dos, certains milieux financiers ont vu l'intérêt d'une émancipation d'Anjouan. Avec son port en eau profonde, l'île peut constituer une escale à l'entrée du canal du Mozambique. En outre, a resurgi la vieille idée de Bob Denard de créer une zone franche dans l'archipel. Anjouan indépendante et li e de traiter directement des contrats, c'était surtout pour les instigateurs du projet une sérieuse économie : plus besoin de soudoyer les grandes familles commerçantes de Grande Comore ou de s'entendre avec le gouvernement chroniquement désargenté de Mohamed Taki. Selon des sources militaires françaises, des armes de poing auraient également transité par Madagascar avant de disparaître dans l'archipel comorien. Les Serbes auraient- ils été positionnés pour appuyer, le cas échéant, les sécessionnistes ? Possible. A moins qu'un opposant comorien n' ait tenté de profiter de l'instabilité du moment pour évincer Taki en lançant une opération directement sur Moroni avec l'appui des Serbes ? " Les Serbes, c'est comme les Russes, ils travaillent avant tout pour l'argent, se plaignent les militaires français. Certains espèrent aussi se refaire une virginité après quelques affaires sca euses pendant leur guerre. Mais on se demande quand même à quoi joue la DST en traitant avec ces gars qui ne sont absolument pas fiables. "

Le mercenaire en réserve

Puisqu'il faut bien vivre, que les contrats ne se succèdent pas à un rythme effréné et que les soldes des mercenaires en font bien souvent des " soldats d'infortune ", le milieu s'est ménagé quelques voies d'attente.

Un rapport du Centre des hautes études de l'armement (CHEar) sur les " nouveaux défis et nouveaux moyens ", daté de 1995, revient de façon pertinente sur le phénomène de la démobilisation. Ce rapport avertit de l'émergence d'un " lumpen-prolétariat militarisé qui se regroupe en ANPE criminelles informelles, prêtes à tous les mercenariats ", et disposées à fournir des hommes à des organisations criminelles transnationales (OCT). Et les rédacteurs du rapport du CHEar de dresser la liste (non exhaustive) de ces OCT à " la capacité de mutation foudroyante " : mafias italiennes, turques et russes, cartels colombiens et mexicains, yakuzas du Japon, triades de Chine... " Quelle que soit l'OCT en cause, il est assuré que ces demandeurs d'emploi provenant d'ANPE criminelles fourniront encore aux équipes de base du narcotrafic des ouvriers formés, aguerris et dangereux, comme le sont les groupes de feu des organisations criminelles de l'ex-URSS recrutés au sein des commandos spetsnaz... " On se souviendra qu'à la fin des années 1980, des mercenaires israéliens n'avaient pas hésité à vendre leurs services aux parrains du cartel de Medellin. Mike Harari, un temps au Mossad, a été pendant dix ans le conseiller de Manuel Noriega, le dictateur panaméen évincé par les Américains. Yaïr Klein, un ancien colonel des troupes aéroportées de Tsahal a commencé sa deuxième carrière dans le trafic d'armes au profit des phalangistes libanais; Klein a par la suite poursuivi ses activités en Colombie en entraînant des hommes pour le compte du cartel de Medellin.

Autre voie d'attente plus classique : les sociétés de sécurité qui, parfois, servent en fait de paravents à de véritables officines de recrutement. Cas typique, celui de l'Afrique du Sud d'avant mais aussi d'après l'apartheid. Dans ce pays où la criminalité est endémique, le besoin de sécurité est quotidien; comme on l'a vu au chapitre 3, de nom eux combattants de la SADF se sont recyclés dans une industrie en boom perpétuel. Dans l'attente de jours meilleurs ou d'un contrat avec Executive Outcomes.

En France aussi, la sécurité est une industrie florissante : " La sécurité privée, assure Paul Barril, c'est plus de 10 milliards de chiffre d'affaires et 90 000 hommes : autant que la gendarmerie, mais bien plus que les polices municipales qui ne totalisent que 10 000 personnes. " Selon le syndicat national des entreprises de sécurité, le nom e des sociétés est passe de 500 en 1984 à 1100 dix ans plus tard ; elles employaient alors 66 200 personnes.

Un consultant basé à Nice ajoute : " La plupart des sociétés de vigiles n'ont rien à voir avec le mercenariat. Elles font pour les particuliers et les entreprises un excellent boulot de protection et de sécurité. Reste que leur main-d'oeuvre est relativement instable; les gars cherchent toujours mieux. Pour des raisons financières bien sûr, mais aussi pour l'action. Par contre certaines sociétés qui travaillent à l'international annoncent clairement la couleur et recrutent pour des contrats à l'étranger: on tombe fatalement dans la définition classique du mercenaire; ce recrutement est trèsciblé : ex-légionnaires, parachutistes, commandos de marine, pilotes de l'Alat. Mais leur staff permanent est extrêmement réduit. Si besoin, il faut sous-traiter et recourir aux filières plus classiques. "

Depuis dix ans, le nom e de ces officines spécialisées dans les contrats à l'étranger a considérablement augmenté en métropole. A leur tête, de nom eux anciens des forces armées et de la police nationale. Ainsi, de nom eux anciens de la cellule anti-terroriste de l'Élysée, se sont recyclés dans la sécurité : reste que leurs ambitions et leur marge de manoeuvre sont souvent inversement proportionnelles à leur taux de réussite à décrocher de beaux contrats durables. Les Barril, Legorjus et autres chefs d'entreprise français ont bien des difficultés à rivaliser avec leurs concurrents anglo-saxons. " En gros, ils icolent dans ce qui reste de pré carré ", ironise un négociant parisien en matériel aéronautique.

L'explosion de la demande

Cette offre pléthorique coïncide avec un accroissement utal de la demande pour aboutir au cours de ces années 1990 à une recrudescence sans précédent des opérations mercenaires sous toutes les latitudes. La demande en soldats de fortune est d'autant plus forte que se dessine une tendance au désengagement des théâtres exotiques de la part des armées des États industrialisés. Sauf quand, comme durant la guerre du Golfe, leur approvisionnement pétrolier est en jeu.

Pour Steven Metz, professeur à l'US Army War College, cette tendance procède du fait qu'au Nord comme au Sud, les États sont en train d'abandonner de façon ordonnée ou anarchique leur monopole d'exercice de la violence (Steven METZ, " Strategic Horizons, the rnilitary implication of alternatives futures ", mars 1997 (communication au Strategic Studies Institute de l'US War Army College).

Un peu partout, l'Etat-providence n'est plus en mesure de garantir à lui seul la sécurité avec efficacité face à la prolifération des menaces (terrorisme, fondamentalisme religieux, vert, rouge ou noir, résurgence de d'ethnisme, cartels criminels en tous genre, délinquance urbaine, skinheads, etc.), constate Metz. Parallèlement à ces menaces nouvelles, se produit une dissémination du savoir concernant les moyens et les méthodes terroristes sur les réseaux Internet, dans les li airies ou ailleurs, affirme Metz.

Dans le monde industrialisé et dans la société de l'information, l'accélération des changements dépasse les capacités des institutions au point qu'elle rend les structures politiques obsolètes, observe le futurologue Alvin Toffler . C'est la fin du processus de concentration des pouvoirs entre les mains des États qui avait commencé après le traité de Wesphalie en 1648, estime de son côté Jessica T. Matthews.

Cette évolution et ces menaces nouvelles, de moins en moins conventionnelles, sont en train d'engendrer une mutation de la pensée militaire. Notamment aux États-Unis. Le sentiment se répand que le coût d'extinction de la violence endémique dans beaucoup de pays est prohibitif par rapport aux moyens que les États-Unis et les autres puissances nucléaires voudraient ou pourraient lui consacrer. Le corollaire est que les courants isolationnistes en Amérique pourraient s'en trouver renforcés, avertit Metz. Celui-ci discerne d'ailleurs une tentation générale à laisser pourrir les conflits non stratégiques dans les zones périphériques et à ne réagir que de façon limitée soutien à l'aide humanitaire ou frappes de rétorsion Si des intérêts stratégiques ou des citoyens américains sont directement pris pour cibles. L'idée inavouable qu'on puisse accepter un certain seuil de tolérance kilométrique à la violence et au dépérissement de l'État, semble faire son chemin. Ce qui n'est pas acceptable en ex-Yougoslavie ou au Mexique, le devient davantage en Somalie ou au Rwanda.

Il est un fait que le coût élevé des opérations de maintien ou d'imposition de la paix des Nations unies ainsi que leur faible rapport coût/efficacité du à des règJes d'engagement castratrices ou à une interprétation restrictives de celles-ci, a dissuadé ces dernières années les principales puissances militaires étatiques de recourir à ce genre d'intervention.

L'ex-Yougoslavie constitue une exception notable. Quoique pour infléchir le rapport de forces dans le sens qui lui convenait, le Pentagone ait recouru massivement aux services de privés pour soutenir les armées croates et bosniaques. Le fiasco politico-militaire somalien, est aussi en bonne partie à l'origine de ce repli. Les images d'un boy dépecé par une foule en colère et le renvoi de seize bodybags vers les États-Unis ont eu un effet désastreux sur l'opinion américaine. Ces scènes ont sans doute largement contribué à l'abstention américaine concernant l'engagement de troupes pour la mission des Nations unies d'assistance au Rwanda et le renforcement de la MINUAR au moment où s'est enclenché le génocide de 1994.

Toujours est-il que le fiasco rwandais a dissuadé par la suite la Belgique, la France, les autres États européens et les Américains d'intervenir seuls à nouveau dans la région des Grands Lacs, notamment lors de la crise des réfugiés rwandais au Zaïre, en octo e 1996. Et quand, après la République Centrafricaine, le Congo- azzaville s'est em asé une nouvelle fois en 1997, la France officielle, échaudée par l'échec de sa politique de soutien au régime d'Habyarimana au Rwanda, a décidé cette fois de ne s'en tenir qu'à la protection et à l'évacuation de ses ressortissants avant d'amorcer un désengagement de ses troupes hors des bourbiers africains.

Tous ces éléments expliquent pourquoi, les Occidentaux, Américains en tête, ont tenté de déléguer à d'autres la tâche de prévention des conflits et d'imposition de la paix. Par exemple, en mettant sur orbite l'African Crisis Intervention Response Force (ACRI) composée de troupes exclusivement africaines, encadrées par quelques instructeurs américains. Mais là encore, cette initiative n'a pas empêché les Américains de chercher à influencer le sens de la guerre sur les théâtres angolais ou zaïrois, en recourant ou en tolérant le recours à des " privés " de la guerre.

Les entrepreneurs de guerre

La résurgence du mercenariat à laquelle l'on assiste depuis plusieurs années, encouragée par la passivité objective de la communauté internationale, a permis en quelques années à de vrais empires de la guerre privée de se constituer. Avec une puissance financière et militaire supérieure à celles de certains États et avec une idéologie propre, adaptée aux " guerres du futur ", de la troisième vague technologique : celle de l'ère du savoir et de l'information, succédant aux ères dites primaire et industrielle.

L'idéologie émanant de ces nouvelles structures militaires privées, dont nous avons évoqué quelques opérations, est parfaitement en phase avec le discours ultra-libéral ambiant. Nul dans le monde du mercenariat ne l'incarne avec autant d' aplomb qu ' Eeben Barlow, le patron d'Executive Outcomes, un homme né en Rhodésie du Nord, avant la décolonisation.

Après un long séjour en Afrique du Sud où on le retrouve dans les rangs du 32e bataillon, à la tête d'une unité de reconnaissance en profondeur, la déconfiture de nom eux autres États africains lui donne l'occasion de retourner en maître dans cette partie du continent où les lois de la " nouvelle Afrique du Sud " ne s'appliquent pas

Rêve de liberté et de puissance sans frein déguisé par un discours rationnel. L'homme raisonne en effet en terme de rapport " coût-efficacité ".

Capable de calquer son discours sur celui des ONG spécialistes en prévention des conflits qui prolifèrent de toutes parts, Barlow, qui a fait des études de relations internationales, présente son organisation comme un facteur de "stabilisation " à l'échelle du continent. A l'en croire, sa compagnie ne travaillerait qu'avec des gouvernements " légitimes " et, malgré son passé sulfureux, encouragerait l'évolution démocratique là où elle intervient. Si Barlow fait la guerre en Afrique, c'est, explique-t-il à la journaliste Angella Johnson, parce qu'il a identifié une " niche " dans le marché. Selon Barlow, la démocratie a été imposée en Afrique sans égard pour les frontières tribales. Elle n'a jamais été un système naturel et ne fait pas partie de la culture autochtone. Dès lors, la guerre et l'anarchie sont appelées à y régner en raison de la rupture de l'équili e instauré par la guerre froide. Barlow admet vendre son expertise pour enseigner à tuer, mais dit ne concevoir le recours à la force qu'" en dernier ressort ". Ce savoir-faire, précisent les prospectus d'Executive Outcomes (EO ou Exo pour les intimes), ne consiste pas en un menu de programmes tout préparés. Chaque contrat fait au préalable l'objet d'une étude de faisabilité. Qu'il s'agisse d'organiser des évasions, la guerre clandestine ou la formation d'artilleurs, EO ne propose que du " sur-mesure ".

La société américaine Military Professional Resources Inc. (MPRI), fondée en 1987 par le major général Vernon B. Lewis et une ochette d'autres retraités du Pentagone, est encore plus soucieuse de respectabilité. Elle met un point d'honneur à souligner que ses contrats de formation doivent au préalable obtenir le feu vert du département d'État.

Mais revenons à Barlow, un quadra au look de cadre dynamique, cheveux mi-longs et blazer, qui sert le thé dans des tasses en porcelaine à ses visiteurs, mais arbore en permanence un pistolet tchèque holster car il recevrait sans cesse des menaces de mort. Son discours thatchérien tranche donc avec celui, émotionnel, des baroudeurs des générations antérieures. Le vocabulaire de l'aventure ou de l'honneur cède la place aux ochures luxueuses de la compagnie vantant les services offerts : opérations clandestines, opérations aéroportées, formation au tir de précision (sniper training), à la tactique et à la stratégie militaire. Les ochures d'EO mettent aussi en exergue les performances de l'entreprise, l'une des plus importantes de sa catégorie dans le monde.

EO comme MPRI vantent leurs mérites sur leurs sites Internet (http://www.eo.com et http://www.mpri.com respectivement). On peut y lire outre la publicité prodomo, des textes de plumes amies comme celle du chroniqueur de défense américain Herb Howe qui encense EO en décrivant l'organisation comme le " police secours de l'Afrique du Sud ". Executive Outcomes se présente comme l'avant-garde des casques bleus dans les missions d'imposition de la paix. "Vous ne pouvez pas maintenir la paix, là où il n'y en a pas, comme on a pu le voir en Bosnie "confie-t-il à notre consoeur Elizabeth Rubin du Harper's Magazine. Ce disant, Barlow partage pleinement l'analyse d'un autre chroniqueur américain de défense, Glenn W. Goodman Jr. qui soutient que les conflits ethniques requièrent l'intervention de forces d'imposition de la paix non onusiennes . En outre, l'organisation de Barlow se présente comme celle des " soldats du futur " appelée à instaurer la paix mondiale. Logiquement, l'ancien lieutenant-colonel du 32e Buffalo incite donc ses hommes à lire l'ouvrage Guerre et contre-guerre des futurologues américains Alvin et Heidi Toffler (Alvin et Heidi TOFFLER, Guerre et contre-guerre, survivre a l'aube du XXI' siècle, Pluriel, Paris 1994). Les auteurs y émettent des suggestions qui apportent volontairement ou non une caution intellectuelle à la démarche des soldats de fortune high-tech : " Pourquoi ne pas envisager de créer des forces de mercenaires volontaires organisées par des entreprises privées pour mener des guerres sur une base contractuelle pour le compte des Nations unies ? " proposent les époux Toffler. Et de poursuivre " On pourrait imaginer la création [...] de " sociétés de paix " à charte internationale, chacune étant assignée à quelque région du globe. Au lieu d'être payées pour faire la guerre, leur unique source de profit viendrait de leur capacité de limiter la guerre dans leur région [...]. On pourrait même trouver des investisseurs privés pour capitaliser ce genre d'entreprises Si metions la communauté internationale ou des groupes régionaux consentaient à les dédommager de leurs services ou à leur verser des primes exceptionnelles les années où le nom e de leurs victimes décline."

Dans ce monde en devenir, régi par la seule recherche du profit, " le soldat du futur devra être compétitif ", confie le chef mercenaire sud-africain à la journaliste américaine Elizabeth Rubin . " Dans l'ancienne armée sud-africaine, déclare Barlow, vous étiez payé, que vous fassiez le boulot ou non. Notre approche est que si vous ne pouvez pas prouver ou démontrer que vous faites votre travail, vous ne faites plus partie de notre groupe. Une force militaire au service d'un drapeau national ne peut pas opérer de cette manière, seule une entité commerciale comme Executive Outcomes peut le faire. "

Non seulement la guerre menée par les privés serait plus efficace mais le but recherché par les entrepreneurs de guerre, à savoir le profit, est légitimé, puisqu'il coïncide avec la finalité recherchée par les détenteurs du pouvoir dans la société. Du coup, l'on comprend que les nouveaux mercenaires n'aient plus besoin de s'embarrasser des idéaux politiques divers (socialisme, anticommunisme, antifascisme, restauration coloniale) invoqués sincèrement ou non par leurs prédécesseurs

Tout cela n'a rien d'un scénario de science fiction ces dernières années, le privé a empiété sur maintes fonctions jadis dévolues au seul État-nation. En France, " les écoutes téléphoniques judiciaires sont annexées par des officines privées ". L'ancien ministre français, Albin Chalandon, envisageait bien de privatiser dans l'hexagone la gestion des prisons comme aux États-Unis où Wackenhut, la première entreprise privée mondiale de matons, affiche un chiffre d'affaires annuel de 700 millions de dollars. L'armée française elle-même demande au privé de lui apprendre la guérilla urbaine. Aux États-Unis, certains élus du parti démocrate s'inquiètent que le Pentagone ait entamé la privatisation de la maintenance de ses arsenaux.

Tout cela participe d'une évolution générale décrite dès 1991 par le polémologue américain, Martin Van Creveld dans son ouvrage The Transformation of War. " La plus grande part du fardeau consistant à défendre la société contre la menace de conflits à basse intensité, sera transférée au secteur de ]a sécurité en pleine expansion ", écrit Van Creveld pour qui les guerres conventionnelles entre États-nations sont en passe de disparaître. Elles céderont de plus en plus la place, dit-il, à des conflits orchestrés par des entités guerrières du type de, l'ère prémoderne telles que les tribus, les ethnies, les Etats-cités, les associations religieuses, les bandes de mercenaires et les grandes sociétés commerciales qui ont succédé à la Compagnie des Indes orientales itannique.

Un indice irréfutable de cette évolution est fourni par l'importance croissante des contrats de sécurité conclus au cours des cinq dernières années. Le montant total de ceux que nous avons pu identifier tourne autour du milliard de dollars, soit l'équivalent du tiers du budget militaire annuel d'une puissance militaire régionale comme l'Afrique du Sud.

Executive Outcomes aurait engrangé 40 millions de dollars pour son premier contrat angolais conclu en 1993, puis 95 autres millions lors d'un second contrai conclu l'année suivante avec le gouvernement de Luanda et environ 20 millions pour son contrat sierra-léonais. Si impressionnants soient ces scores, ils sont en deçà des montants enregistrés par certaines des majors américaines : le contrat de formation de l'armée bosniaque conclu en 1996 avec Military Professional Resources Inc (MPRI) se monte à quelque 50 millions de dollars par an. MPRI se targuait en outre a l'automne 1997 d'avoir un carnet de commandes de 90 millions de dollars et d'afficher un chiffre d'affaires de 26 millions de dollars pour la seule année 1996.

L'un des leaders du marché, Vinnell Corporation, basée à Fairfax (Virginie), a remporté en mai 1997 un contrat de 163 millions de dollars, pour le programme de modernisation de la Garde nationale d'Arabie Saoudite forte de 75 000 hommes. L'an dernier, une autre compagnie basée en Virginie, à Reston, Dyncorp Leadership s'est vu confier deux contrats d'une valeur totale de 48 millions de dollars. Le premier consiste en un programme de quatre ans pour assurer la sécurité des installations militaires au Qatar et le second en un contrat de trois ans pour la maintenance des appareils de l'armée de l'air du Koweit et la formation des pilotes.

Le groupe itannique Defence Systems Ltd (DSL) affichait l'année précédente des bénéfices nets de l'ordre de 33 millions de dollars. Et l'autre société itannique, Sandime International dirigée par le comparse du tandem Barlow-Buckingham, Tim Spicer, aurait dû, si tout s'était bien passé, engranger un total de 30 millions de dollars de la part du gouvernement de Papouasie-Nouvelle-Guinée, pour liquider la rébellion sur l'île de Bougainville. Le groupe israélien Lev'dan selon la presse de l'État hé eu, avait vendu ses services en 1994 au gouvernement du Congo- azzaville pour 50 millions de dollars. En regard, avec son contrat de 800 000 dollars conclu à la fin des années 1980 par sa société de conseil militaire, " Hod Hahanit " (fer de lance), pour entraîner les tueurs du cartel de Medellin en Colombie, l'ancien officier de Tsahal, Yaïr Klein, fait piètre figure.

Face aux condottieres, la démission des États

Eu égard à la puissance accumulée par les armées privées, l'assertion des nouveaux condottieres selon laquelle la privatisation de la sécurité et de la défense constituerait un gage de stabilité, mérite examen.

Sans doute, en apparence et dans le court terme, les sociétés de " niche " comme Executive Outcomes font-elles probablement montre de plus d'efficacité dans le domaine de l'imposition de la paix, dans des conflits intérieurs que les structures de type onusien. Sans doute aussi, au nom de cette même efficacité, certains États en viennent-ils à privatiser la composante militaire de leur sécurité. Mais cela pourrait bien sonner leur propre glas, avertit le scrutateur des horizons stratégiques, Steven Metz (Steven METZ, Strategic Horizons the Military Implications of Alternative Futures, communication présentée au Strategic Studies Institute, US Army War College, mars 1997). Conscients du risque, d'autres dirigeants ne sont pas prêts eux, à abdiquer de leurs prérogatives sans résistance. Aussi, il n'est pas impossible que cette évolution ne débouche sur de nouveaux conflits, suggère Metz.

L'Organisation de l'unité africaine (OUA) elle-même, qui fut à J'origine des textes les plus sévères à l'encontre des activités mercenaires (voir annexe 1), recourt d'ailleurs elle-même aujourd'hui à l'expertise de conseillers privés extérieurs au continent. Le plus prestigieux n'est autre que le général français Jeannou Lacaze, qui a reçu pour mission de mettre sur pied une commission africaine de sécurité. Avec le soutien du président togotais Gnassingbé Eyadéma, chargé du projet de création d'une force de paix interafricaine 16 On observera également qu'à la fin 1997, 22 États mem es de l'OIJA seulement sur 51 avaient signé la Convention anti-mercenaires de l'organisation, datant de 1977 .

ONU : une convention inopérante

Définition contenue dans l'article premier de la Convention internationale contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction de mercenaires de 1989 Aux fins de la présente Convention, 1. Le terme mercenaire s’entend de toute personne a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l'étranger pour combattre dans un conflit armé; b) qui prend part aux hostilités essentiellement en vue d'obtenir un avantage personnel et à laquelle est effectivement promise, par une partie au conflit ou en son nom, une rémunération matérielle nettement supérieure à celle qui est promise ou payée à des combattants ayant un rang et une fonction analogues dans les forces armées de cette partie; c) qui n'est ni ressortissante d'une partie au conflit, ni résidente du territoire contrôlé par une partie au conflit; et d) qui n'est pas mem e des forces armées d'une partie au conflit e) qui n'a pas été envoyée par un Etat autre qu'une partie au conflit en mission officielle e n tant que mem e des forces armées dudit État. 2) Le terme " mercenaire s'entend également, dans toute autre situation, de toute personne a) qui est spécialement recrutée dans le pays ou à l'étranger pour prendre part à un acte concerté de violence visant a i) renverser un gouvernement, ou de quelque autre manière, porter atteinte à l'ordre constitutionnel d'un Etat; ou h) porter atteinte à l'intégrité territoriale d'un État b) qui prend part à un tel acte essentiellement en vue d'obtenir un avantage personnel significatif et est poussée à agir par la promesse ou par le paiement d'une rémunération matérielle c) qui n'est ni ressortissante ni résidente de l'État contre lequel un tel acte est dirigé d) qui n'a pas été envoyée par un État n mission officielle; et e) qui n'est pas mem e des forces armées de l'État sur le territoire duquel l'acre a eu lieu.

Le manque de volonté politique des États apparaît de façon encore plus flagrante aux Nations unies. Dans la foulée de l'indignation générale qui a accueilli l'assassinat du président comorien, Ahmed Abdallah le 26 novem e 1989, pour lequel les mercenaires de Denard furent mis en cause, l'assemblée générale de l'ONU adopte, le 4 décem e de la même année, une convention contre le recrutement, l'utilisation, le financement et l'instruction des mercenaires.

Déjà, au départ, selon le rapporteur spécial Enrique Bernales, le texte qui reprend la définition de l'article 47 du premier protocole additionnel de 1977 aux conventions de Genève de 1949, n'est pas sans lacunes.

Il se contente de donner la définition du mercenaire sans pour autant définir l'acte lui-même. En outre, relève Bernales dans un rapport de février 1997, pour qu’un individu soit catégorisé comme mercenaire, toutes les conditions énumérées dans l'article premier de la convention de 1989 doivent être remplies. En soi cette condition est difficile à remplir. De surcroît, estime Bernales, la législation internationale est inadaptée aux nouvelles situations qui découlent de l'irruption massive de compagnies privées sur le marché de l'offre en personnel de sécurité. Si, par bien des aspects, le personnel d'Executive Outcomes correspond à la définition de la convention de 1989 (personnel largement rémunéré pour exercer des tâches militaires dans un autre pays tiers), les contrats conclus par cette entreprise avec des États échappent à la sphère des activités décrites par ce texte, admet Bernales.

Passons sur le fait que la définition de la convention de 1989 exclut les personnes envoyées par un Etat en mission officielle, comme les légionnaires français ou espagnols. Le texte qui, prévoit des mesures d'entraide judiciaire entre les Etats parties, ne prévoit aucune sanction contre les États qui ne sont pas liés par la Convention.

De plus, Si imparfaite Soit cette convention, elle n'est toujours pas d'application. A ce jour, onze pays seulement ont exprimé leur souhait d'être lié par ce texte : les Barbades, le Cameroun, Chypre, la Georgie, l'Italie, les Maldives, les Seychelles, le Surinam, le Togo, le Turkménistan et l'Ukraine. Or, pour que cette convention puisse entrer en vigueur, il faut que 22 États au minimum aient déposé leurs instruments de ratification. Onze autre États ont cependant signé la convention: l'Angola, la Belarus, le Congo- azzaville, la République démocratique du Congo, l'Allemagne, le Maroc, le Nigéria, la Pologne, la Roumanie, l'Uruguay, et la Yougoslave. Non sans hypocrisie : au moins quatre d'entre eux ont, depuis le début de la décennie, recouru aux services des soldats de fortune.

En outre, certains des États traditionnellement exportateurs de mercenaires ne montrent aucun zèle à renforcer la législation internationale anti-mercenaire.

La France, qui a accordé (comme l'Espagne) aux volontaires des igades internationales de la guerre d'Espagne, le statut d'ancien combattant, a refondu son Code pénal sans se pencher sur la question du mercenariat. Selon l'article 85 du Code pénal, " sera puni d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de 3 000 francs à 40 000 francs, quiconque, en temps de paix, enrôlera des soldats pour le compte d'une puissance étrangère, en territoire français ". L'article 89 relatif à la sûreté de l'État menace de la détention criminelle à perpétuité " ceux qui auront levé ou fait lever des troupes armées, engagé ou enrôlé, fait engager ou enrôler des soldats ".

Mais autant que nous le sachions cet article n'a jamais été utilisé pour intenter des poursuites, pas même dans la procédure engagée contre Denard pour sa participation au coup d'Etat de 1977 au Bénin (le " vieux " fut d'ailleurs poursuivi pour " association de malfaiteurs "). De même, à notre connaissance, il n'y guère eu de cas récents de poursuites aux Etats -Unis contre des personnes s'étant rendues coupables d'infractions à l'article 959 du code américain, en vertu duquel " quiconque, à l'intérieur du territoire américain, s'enrôle, s'engage, se loue ou invite un autre a s'enrôler ou à s'engager ou à enfreindre la loi américaine avec l'intention de s'enrôler ou de s'engager au service d'un quelconque prince, État, colonie, région ou peuple étrangers, [...], sera passible d'une amende d'un montant maximum de 1 000 dollars, ou d'une peine de prison pouvant aller jusqu'à trois ans ou des deux. "

Dans son courrier daté du 31 janvier 1996 au rapporteur spécial, l'ambassadeur itannique à Genève, Nigel Williams écrit : " Le recrutement de mercenaires au Royaume-Uni n'est illégal que dans un nom e très limité de cas (notamment si des citoyens itanniques font partie des forces d'un État étranger en guerre avec un autre État étranger qui est lui-même en état de paix avec le Royaume-Uni). La mise en place d'une législation susceptible de rendre effectives les conventions des Nations unies sur les mercenaires a été considérée, mais, d'un point de vue légal, elle serait très difficile à exécuter.

Mais le Royaume-Uni, siège de certaines des principales multinationales de la sécurité, ne se contente pas d'évoquer les difficultés de transcription des conventions onusiennes. I] a aussi voté avec 16 autres États dont la Belgique et les États-Unis, le 15 novem e 1996, contre un projet de résolution déposé par le Nigéria et adopté par 96 voix pour, 37 abstentions (dont la France) et des absences significatives (Comores, Sierra Leone et Zaïre) appelant les États mem es à empêcher que leur territoire ne soit utilisé pour des activités mercenaires, conformément à la convention de 1989 (18. La liste complète des États ayant voté contre cette résolution comprend l'Autnche, la Belgique, le Canada, le Danemark, les États-Unis, la Finlande, l'Allemagne, la Hongrie, l'Islande, l'Italie, le Japon, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, le Portugal, le Royaume-Uni et la Suède. ). Peut-on exclure que certains articles de la convention prévoyant notamment l'entraide judiciaire entre les États-parties de la Convention, l'arbitrage de la Cour internationale de justice dans les conflits entre États-parties ait rebuté des États dont les ressortissants ou des entreprises sont impliquées de façon récurrente dans des opérations mercenaires ?

En tout cas, au ministère belge des Affaires étrangères, on nous explique que le vote de uxelles ne constitue en rien un refus de sanctionner les activités mercenaires. L'Assemblée générale de l'ONU ayant adopté sans vote la convention de 1989 condamnant les activités mercenaires, il était dès lors " inutile " de voter une nouvelle résolution, dit-on à uxelles. On rappelle que la législation belge punit d'emprisonnement quiconque aura recruté des hommes au profit d'une armée ou d'une troupe étrangère sans l'autorisation du roi (loi du 15 juin 1951, article 99) et qu'un autre texte datant de 1979, condamne l'engagement de nationaux belges dans une troupe étrangère. On constate cependant qu'à l'issue de son aventure zaïroise, le Belge Tavernier n'a nullement été inquiété. Non seulement, comme le démontre le cas belge, les législations nationales ne sont guère appliquées mais, dans beaucoup de cas, note Bernales, elles ne contiennent pas de dispositions définissant de manière specifique les activités mercenaires comme des crimes punissables.

La trop grande publicité autour des " exploits " des mercenaires sud-africains d'Executive Outcomes (EO) contre les rebelles angolais de l'UNITA et sierra-léonais du Revolutionary United Front a abouti à un projet de loi présenté devant le parlement sud-africain par le ministre de la Défense Joe Modise, en février 1998. Le texte interdit le recrutement, l'instruction et le financement de personnes à des fins d'activités mercenaires. Celles-ci sont définies comme la participation directe à des combats à des fins lucratives. La loi prévoit un maximum de 10 ans de prison et une amende d'un million de rands pour les contrevenants.

Toutefois, une lecture attentive du texte qui vise à " réglementer l'assistance militaire à l'étranger par des personnes morales ou juridiques ", nous apprend que la vente de ce genre de services est possible, pour autant qu'elle reçoive l'autorisation du ministre de la Défense après l'avis du Comité de contrôle sur les armes conventionnelles.

Selon ce projet de loi, le feu vert aux compagnies sollicitant un tel agrément dépend de critères comme le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans le pays où ce service doit être rendu. Se dirige-t-on dès lors vers un mercenariat accrédité ? Si tel était le cas, se confirmeraient les appréhensions des pays voisins de voir des privés sud-africains recoloniser l'Afrique au nord du Limpopo.

Toujours est-il que la journaliste sud-africiane, Khareen Pech, qui a longuement exploré la galaxie d'EO, estime que la nouvelle législation ne va guère affecter ses activités. La compagnie, dit-elle, s'est préparée de longue date à cette échéance en faisant mine de mettre sur la touche l’ icône mercenaire que représente Barlow devenu d'ailleurs... consultant de EO. Ensuite, tant qu'il y aura de la demande à l' étranger, il y a peu de choses que le gouvernement sud-africain puisse faire pour entraver les activités d'EO, quand on sait qu' EO est enregistrée comme compagnie itannique offshore, ce qui rend difficile la saisie de ses avoirs, poursuit Khareen Pech. Enfin, il ne sera guère facile pour la police et les services de renseignements qui ont déjà tant à faire pour combattre le crime et les trafics d'armes à l'intérieur du pays, de sévir. De surcroît, conclut la journaliste sud-africaine, " les preuves de l'activité mercenaire au sens où l'entend la loi ne sont pas faciles à réunir ". Même s'il existe des documents filmés tournés par la maison de production itannique Journeyman Pictures qui démontrent qu'EO a effectivement participé à des combats en Angola.

D'une façon générale, l'apathie (pour ne pas dire la complaisance) de nom eux États inquiète Bernales qui dans son rapport de septem e 1996 prévient: " Si persistent certaines tendances perceptibles dans la conduite de certains cercles de mercenaires opérant en Afrique, qui tentent d'y implanter des compagnies légalement enregistrées procurant des services de sécurité et investissements dans plusieurs secteurs, il pourrait naître une situation dans laquelle des armées mercenaires légalement protégées par des contrats entre la compagnie qui les emploie et l'État qui les embauche, accompliraient des tâches de police, d'imposition de la loi et des fonctions punitives. Si cette tendance est confirmée, le concept de sécurité et nature des relations internationales basées sur le principe de la souveraineté des États [...] pourraient être grandement altérés. " Et l'on sent grandir les appréhensions de Bernales dans son rapport de février 1997, lorsqu'il écrit : " Les pays faibles qui pourraient, à cause de leurs problèmes institutionnels, être tentés de devenir les clients de ces puissantes compagnies, pourraient bien avoir donné le premier coup de grâce à leur propre État."

Les mercenaires au Pentagone

Ce scénario pourrait n'avoir rien d'une fiction, tant les progrès vers l'institutionnalisation du nouveau mercenariat sont fulgurants. Un mois plus tard, en mars 1997, la question des rapports entre les multinationales de la sécurité et le pouvoir fait l'objet d'une communication au centre d'études stratégiques de l'US Army War College, par le polémologue Steven Metz. Ce dernier évoque une option considérée encore quatre ans auparavant par le futurologue Alvin Toffler comme une virtualité. Metz lance ces questions " Les États-Unis devraient-ils envisager de signer des traités, peut-être même des pactes de non-agression avec de puissantes sociétés ? Et Si des sociétés apparaissent constituer un défi réel au pouvoir de l'État, le gouvernement des États-Unis doit-il poursuivre une stratégie ayant pour objet spécifique la prévention de l'accumulation de pouvoir non économique par ces sociétés? Et quelle devrait être la politique américaine envers des sociétés transnationales de sécurité (alias mercenaires) aussi couronnées de succès qu ' Executive Outcomes qui est composée d'anciens soldats sud-africains ? En clair, Si le pouvoir continue à s'accumuler entre les mains des sociétés transnationales, les États-Unis vont devoir repenser les dogmes de base de leur approche en termes de sécurité et de politique mondiales ( Steven METZ, Strategic Horizons: the Military Implications of Alternative Futures, op at.) "

A défaut de pacte, c'est la consécration trois mois plus tard pour les nouveaux mercenaires avec l'organisation le 24 juin 1997, à Washington par la Defense Intelligence Agency (DIA), l'agence de renseignements du Pentagone, d'un symposium à huis clos sur la privatisation de la sécurité en Afrique sub-saharienne ". Parmi les invités figurent plusieurs vedettes du nouveau mercenariat, dont Eeben Barlow, son complice itannique Tim Spicer, le patron de Sandline et le lieutenant-général en retraite Ed Soyster pour la firme américaine MPRI. A leurs côtés, l'homme qui fut à l'origine du contrat de MPRI avec l'Angola, l'ancien secrétaire d'État adjoint de George Bush aux affaires africaines, Herman Cohen, directeur de la firme de lobbying Cohen & Woods. Naturellement, est aussi présent le gratin des Special Forces américaines avec Matthew van Konynburg, responsable du renseignement chez les marines, une vieille connaissance de Barlow, ainsi que Mohamed Said, un caïd de la DIA qui a eu recours au fondateur de EO pour enquêter sur la " menace de l'intégrisme musulman "en Afrique du Sud.

Clients potentiels ou observateurs, des représentants des sociét0.és pétrolières Texaco et Exxon se pressent aussi à Washington aux côtés des attachés militaires de pays qui recourent à l'expertise militaire privée étrangère comme l'Angola ou l'Ouganda mais aussi de Guinée et de Zambie. A leurs côtés se trouvaient aussi des représentants d'organisations humanitaires (World Vision, l'UNICEF et le Haut Commissariat aux réfugiés) qui ont déjà franchi le Rubicon en recourant aux services de la sécurité privée pour assurer le bon succès de leurs opérations d'urgence.

Dans une synthèse adressée aux participants, l'organisateur du symposium, William Thom, responsable de la DIA pour l'Afrique, justifie de la sorte l'émergence du nouveau mercenariat : " Pouvons-nous tirer des leçons du passé ? " demande-t-il. " Historiquement, l'Afrique, avant et pendant l'ère coloniale, puis après les indépendances, a eu une longue tradition de recours à des troupes étrangères chargées d'assurer, contre finances, la sécurité nationale pour le compte d'une petite élite au pouvoir ", poursuit Thom pour qui la demande va se développer en Afrique. A son avis, rien ne sert d'enrayer cette évolution, d'autant moins qu'il n'existe aucun " consensus international fort " sur l'attitude à adopter envers les compagnies de sécurité privées. Au demeurant, Washington par ses votes négatifs à l'ONU n'a rien fait pour bâtir un tel consensus susceptible de nuire aux intérêts des multinationales américaines de la sécurité.

Quoi qu'il en soit, selon Thom, il faut seulement que les forces privées soient " efficaces et loyales ". Envers les États-Unis bien sûr. Le problème ne serait pas le mercenariat comme tel mais la nécessité d'écarter du marché " les compagnies non enregistrées " ou les " Etats voyous " qui vendent leurs services à des États en proie à des convulsions. Cela n'est pas écrit, mais on imagine aisément que ce sont, naturellement, le Pentagone et le département d'État qui auront à décider quels sont les États fréquentables et les autres. Tout indique qu'en fait, les hommes de la DIA veulent réglementer le marché au bénéfice de sociétés où travaillent leurs anciens collègues, comme MPRI, et qui les emploieront dès lors qu'ils prendront leur retraite. D'aucuns n'excluent pas d'ailleurs qu'une compagnie du genre de MPRI se voie attribuer un contrat d'assistance pour l'African Crisis Response Force, que mettent sur pied les États-Unis. Enfin, la synthèse de Thom laisse percer plus qu'une compréhension envers les privés de la sécurité lorsqu'il évoque le conflit entre les objectifs politiques des gouvernements désireux de contrôler les " Etats voyous " et le besoin pour les firmes privées de réaliser des profits de façon " légitime ".

L'approche américaine est largement partagée au Royaume-Uni, quoique plus discrètement. Ainsi, un récent rapport " top secret " intitulé " UK Eyes Alpha" du service de contre-espionnage itannique, le M16, énonce tranquillement l'opinion que les opérations de l'ONU sont " encom antes et lentes " et que l'Organisation de l'unité africaine jusqu ici s’est montrée " inefficace en général sauf comme lieu de bavardage ". De façon subliminale, on a le sentiment que le M16 est bien prêt de partager l'aversion pour les opérations de l'ONU de Soldiers of Fortune, qui lors de sa convention de 1994, avait intitulé un pannel de discussions : " Est-ce que vous placeriez votre fils sous le commandement d'un Nigérian ? " Il y a toutes les chances que les services d'Executive Outcomes, qui déjà s'étendent au delà du domaine de ]a sécurité vers l'import-export et l'administration, continueront à être de plus en plus recherchés, prévoit au demeurant ce rapport (Khareen PECH, " Africa's New Look Dogs of War ", Mad and Guardian, 24 janvier 1997). Loin de s'en offusquer, le Foreign Office lui-même a dressé une liste des compagnies de sécurité susceptibles de mener à bien des tâches " trop sensibles politiquement " pour le ministère de la Défense.

Cette inclination envers les " privés " du secteur ne date pas d'hier chez les officiers de Sa Majesté en 1989, à la Cham e des communes, le député travailliste Ken Livingstone s'était étonné que dans un catalogue publié par le ministère de la Défense, figure une page de publicité de la firme Keeni Mini Services (KMS) fondée par l'ex-SAS, décrivant ainsi son rôle " Servir des gouvernements d'outre-mer... pour la fourniture de matériel et de services aux forces militaires, para-militaires et de police. "

Un " kriegspiel " franco-congolais

Les auteurs ont également établi qu'une partie de l'establishment militaire français envisage maintenant de " clarifier " les rapports entre l'armée et les privés de la sécurité, dont la légitimité est de facto reconnue. Un " kriegspiel " grandeur nature aurait été monté lors des affrontements au Congo- azzaville, entre les milices de Sassou Nguesso et celles de Pascal Lissouba. Alors que le gouvernement français tentait de " clarifier " sa politique et de choisir son camp, un recrutement de mercenaires français a été lancé, par la DGSE. Pour l'occasion, l'officier français qui a monté l'opération a pris contact avec les réseaux Denard. Un ancien cadre de la garde présidentielle des Comores, blessé pendant son séjour aux îles et évacué en Afrique du Sud a servi d'intermédiaire entre le colonel Bob et le militaire français en question.

D'ailleurs, cet ancien de la GP pourrait bien s'imposer comme le dauphin du " Vieux ", un titre revendiqué sans succès par bien des hommes du milieu mercenaire hexagonal (Paul Barril a un temps tenté sa chance). Pour l'opération au Congo- azza, moins de vingt hommes ont été impliqués. Un petit groupe expédié sur place suite à l'intervention pressante de Bob Denard s'est retrouvé isolé . Reprise en main, l'opération a été conduite sous la surveillance serrée de l'officier traitant français, qui a fait équiper les mercenaires en tenues américaines et les a mis à disposition du parti de Sassou. En début d'année 1998, un élément d'une dizaine d'hommes stationnait toujours à azzaville, où le général Sassou Nguesso faisait savoir qu'il était prêt à renouer des liens militaires avec la France. En clair, l'objectif était atteint : les mercenaires de Denard ont été employés comme de véritables corsaires; ils ont travaillé en privé pour le compte de l'État français. Leur intervention a fait tourner court certains projets français ou étrangers, en direction de azzaville.

Ce " kriegspiel " franco-congolais montre que la théorie de l'autogestion des crises un temps préconisée par Paris, Washington ou Londres, a vécu. A l'encontre des conclusions d'un séminaire de l'Institut des hautes études de la défense nationale qui préconisaient de renforcer les capacités africaines de maintien de la paix, une autre tendance semble privilégier la sous-traitance d'opérations occidentales. Paris a en fait été pris de vitesse par Londres et Washington qui ont passé la main aux sociétés de sécurité. Les " forces mercenaires de déploiement rapide " des Anglo-Saxons cherchent à occuper le terrain africain. Déjà, les milieux militaires français s'inquiètent du désengagement tricolore en République centrafricaine. Le lâchage des bases de Bouar et de Bangui laissera bientôt la porte ouverte à EO, MPRI ou à d'autres, qui auraient tôt fait de négocier avec le pouvoir et ses opposants. Info ou intox ? Fin janvier, la rumeur courait avec persistance à Paris comme à Londres, de tractations secrètes entre le gouvernement centrafricain et Executive Outcomes.

Ces menaces et l'urgence d'une réaction de la part de la France ont en tout cas poussé certains cercles à initier une réflexion sur l'option " mercenaires ". Un document circule depuis janvier 1998 : l'étude préconiserait le recours aux privés, leur guidage par la services français et l'élaboration d'une tactique adaptée qui privilégie la défense des intérêts français.

En définitive, dans les États-majors, mais aussi dans d'autres cercles, l'on voit poindre sinon une adhésion au principe de la dévolution au privé d'une partie du monopole de l'exercice de la violence réservé à l'État, la nécessité d'une sous-traitance. Dans les deux cas, domine une sorte de fatalisme grandissant : le sentiment que cette évolution est inéluctable. Fatalisme ou conditionnement ? Dans un cas comme dans l'autre, faut-il accepter une dérive simplement parce qu'elle est dans l'air du temps ?

L'illusion contre l'utopie

Le consensus n'est pas trop difficile à réunir entre mercenaires, militaires, experts en matière de défense et journalistes pour identifier ces tendances que nous avons décrites : le boom du marché de la sécurité privée, la privatisation des tâches de défense ainsi que l'acceptation grandissante de ces phénomènes de la part des États.

Mais à l'heure d'en tirer les conclusions, apparaissent de sérieuses divergences annonciatrices de débats houleux. Ceux-ci opposent et vont continuer d'opposer ceux qui considèrent l'évolution observée comme inéluctable et ceux qui estiment nécessaire d'y mettre un frein...

David Isenberg, du Centre pour l'information sur la défense de Washington, fait partie de la première catégorie. " Étant donné la longévité historique des mercenaires, il semble insensé de tenter de les interdire ", écrit-il. Il serait plus raisonnable selon ce chercheur américain de considérer les mercenaires comme des " armes de guerre " susceptibles d'être utilisées dans des conflits et dont l'usage doit être réglementé. On pourrait introduire la transparence dans les activités mercenaires en établissant un registre international des sociétés de sécurité dont le modèle pourrait être le registre des Nations unies sur les armes conventionnelles qui rassemble les déclarations d'importations et d'exportations des États, suggère Isenberg. Ce dernier propose également que les sociétés mercenaires soient tenues de respecter les protocoles de Genève et les différents instruments de la législation internationale en matière de protection des droits de l'homme. Les contrevenants seraient punis par des amendes et par la suspension voire l'interdiction, de leurs activités.

Le directeur de l'International Peace Information Service d'Anvers (IPIS), Johan Peleman, se montre sceptique quant à l'efficacité d'un registre onusien des contrats d'assistance militaire privée. Peleman fonde son opinion sur l'expérience observée depuis la création en 1992 du registre du commerce des armes conventionnelles. Lors d'une audition devant la commission du développement du Parlement européen, le 25 novem e 1997, sur les exportations d'armes et la prévention des conflits dans les pays en voie de développement, le chercheur italien Rafael Mariano Grossi rappelle que ce registre repose sur la " participation volontaire " des États. Ceux-ci décident souverainement d'inscrire leurs importations et leurs exportations d'armes. Il s'agit exclusivement d'armes lourdes : chars de bataille, véhicules blindés de combat, systèmes d'artillerie de gros cali e, avions de combat, hélicoptères d'attaque, navires de guerre, missiles et lanceurs de missiles. Ce registre, censé introduire la transparence sur le commerce des armes, constitue un cadre qui, à défaut d'être normatif, est efficacement informatif, estime Grossi, selon qui " le registre tel qu'il a été établi, capte la plus grande partie du commerce international d'armes dans l'ordre de 90 % à 95 0/o selon les différentes estimations ".

Néanmoins, Grossi lui-même reconnaît que ce système comporte des failles. " L'objectif de l'universalité dans la participation n'a pas encore été atteint ", dit-il. " Les dernières données disponibles, relatives à l'année 1996, comprennent les statistiques fournies par les dix premiers exportateurs, mais n'incluent que les statistiques des cinq premiers importateurs. Ainsi, des importateurs de premier rang comme l'Égypte ou l'Arabie Saoudite (5 % du total des importations d'armes enregistrées en 1996) n'ont communiqué aucune donnée. Les pays africains sont pratiquement totalement absents du registre. Si un chercheur comme moi-même devait compter sur ce registre comme instrument valable d'analyse, il pourrait conclure qu'aucune des parties engagées dans les conflits de l'après guerre froide en Afrique ou en ex-Yougoslavie n'a effectué d'achats d'armes depuis 1992 ", commente Peleman.

Ensuite, le registre en question ne tient aucun compte du commerce des armes légères. Or, sur plus d'une trentaine de conflits qui ont fait rage au cours de la dernière décennie, de l'Afghanistan à la Tchéchénie, en passant par l'Angola, le Mozambique et la Colombie, la plupart ont été menés grâce à l'accès facile des belligérants à des armes de petit cali e résultant de transferts internationaux, constate Edmund Cairns, responsable d'Oxfam. Qui plus est, dans pratiquement chacune des guerres en cours depuis 1990, hormis celle du Golfe, les armes légères ou de petit cali e, ont été responsable de neuf morts sur dix, assène Cairns.

De son côté, Liz Clegg, de l'ONG Saferworld, craint que les directives du ministre itannique des Affaires étrangères, le travailliste Robin Cook, annoncées en juillet 1997 en vue d'instaurer un code de conduite européen pour les exportations d'armes, ne soient guère suivies d'effets. Les directives Cook énoncent sans doute que le gouvernement de Sa Majesté " ne délivrera pas de licence d'exportation S'il y a un risque clairement identifiable que l'exportation proposée puisse être utilisée dans le cadre d'une répression interne ". Mais, note sans pitié Liz Clegg, cela n'a pas empêché le gouvernement travailliste du Royaume-Uni d'exporter des munitions, des bombes et des équipements de surveillance au régime indonésien, opprimant depuis des décennies la population de l'ancienne colonie portugaise de Timor-Est, qui clame son droit à l'indépendance. Face à un tel exemple, on ne voit guère pourquoi le Royaume-Uni et ses concurrents feraient preuve de plus de cohérence en matière d'exportation d'assistance militaire privée.

En effet, relève Peleman, le registre de l'ONU sur le commerce des armes conventionelles n'inclut que les données que les fournisseurs et les clients veulent bien communiquer au reste du monde. Or, bien que la plupart des échanges en la matière fassent l'objet de contrats officiels entre gouvernements ou establishments militaires, tant les Etats que les marchands d'armes privés se montrent tout à fait réticents à communiquer des informations sur ces contrats, étant donné leur caractère sensible sur les plans diplomatiques et stratégiques, poursuit le chercheur belge.

Celui-ci relève en outre que le registre n'inclut nullement le commerce clandestin qui s'est rapidement développé depuis la fin de la guerre froide, alors que le commerce officiel des armements est en déclin.

En outre, observe-t-il, le déploiement de compagnies privées de sécurité dans des zones sensibles, où leur présence fait naturellement problème, doit demeurer secret. " N'oublions pas que la motivation la plus importante de la privatisation des contrats d'assistance militaire est la faculté offerte à leurs véritables commanditaires d'opposer un démenti plausible à leur implication ", prévient Peleman.

Et de poursuivre " Le sale boulot perpétré par les services secrets et les forces spéciales des grandes puissances durant la guerre froide, est maintenant sous-traité à des compagnies privées de sécurité. " Dans d'autres cas, l’industrie de la sécurité opère de façon tout à fait " privée " et les questions d'auto-régulation, de comptes à rendre ou de transparence ne sont absolument pas réglées. Je pense personnellement que c'est un voeu pieux que d'espérer que l'industrie privée de la sécurité va rendre compte de ses opérations de façon volontaire ", estime Peleman.

" Il est tout à fait naïf d'espérer que l'autorégulation puisse être l'objet d'un débat sérieux, en l'absence d'une ligne de démarcation claire entre le conseil ou l'assistance militaire d'une part et le mercenariat considéré comme une activité criminelle par les conventions de Genève d'autre part. "

Aux yeux du chercheur belge, la question de l'extraterritorialité en droit international qui sanctionnerait l'emploi de mercenaires étrangers semble un instrument plus susceptible de dissuader l'industrie privée de la sécurité de s'impliquer dans des conflits. Excepté un nom e limité de cas (ceux d'Angola en 1977, Bob Denard en France […]), aucun des mercenaires impliqués dans des opérations clandestines et illégales n'a été puni pour ses méfaits ou même empêché de les commettre, constate Peleman.

Les États dont les citoyens ont été le plus souvent les plus impliqués dans des opérations mercenaires au cours de ce siècle (Royaume-Uni, États-Unis, Israël, France, Belgique, Allemagne, Portugal, Russie, Afrique du Sud notamment) n'ont jamais ou Si peu, fait preuve de transparence à propos de ces activités, y compris vis-à-vis de leurs propres parlements.

" Dans un domaine où la stratégie et la géopolique sont de plus en plus dictées par des intérêts économiques, je ne vois pas pourquoi des opérations spéciales financées par des gouvernements ou des intérêts privés, disparaîtraient du jour au lendemain ou deviendraient tout à coup transparentes. Par conséquent, un instrument de régulation a posteriori du type du registre sur le commerce des armes conventionnelles, ne constitue pas la solution pour empêcher des armées, des États ou des acteurs privés de soutenir leurs favoris, qu'il s'agisse de chefs de guerre, d'intermédiaires ou de dictateurs, dans leurs entreprises guerrières. La seule solution est une interprétation stricte du droit international et la punition de ceux qui sont impliqués dans des opérations de guerre illégales. N'oublions pas que le mercenariat est une activité criminelle au regard du droit international. Citez-moi l'un des pays auxquels j'ai fait référence, où l'on considère que l'autorégulation est un instrument préventif véritable contre la criminalité ! " défie Peleman.

Toutefois, nous l'avons dit, les États ne semblent guère disposés à adopter cette ligne intransigeante. Face à l'illusion de l'autorégulation et du mercenariat assermenté défendue par Isenberg, le contrôle de la situation par les Nations unies, ferait-il figure d'utopie? Une utopie comprise comme une Ithaque dont les Ulysses que nous sommes voudraient se rapprocher, même Si les sirènes du tout libéralisme concourrent aujourd'hui à nous en éloigner.

Est-ce parce qu'un courant puissant nous entraîne à la dérive, qu'il ne faut plus chercher à rallier le port, quand se lève la tempête ? En se gardant de tout manichéisme : le contrôle étatique en soi n’est pas une panacée. Nous devons cette justice aux mercenaires de rappeler que les plus grands crimes de guerre ne sont pas à mettre à leur passif. Hiroshima, Dresden, les génocides juifs et rwandais perpétrés grâce aux boucliers d'armées régulières sont là pour nous le rappeler à jamais.

Car la question demeure, lancinante : celle du contrôle, déjà nécessaire dans le cas des armées régulières. A fortiori dans celui de ces multinationales dont la seule légitimité repose sur la recherche du profit. Qui donc les contrôlera ? Les États affaiblis qui les appellent à la rescousse, dont la démarche trahit soit leur impopularité, soit leur incapacité à maîtriser la situation, quand les deux causes ne sont pas réunies ? Les États d'où Sont originaires ces entreprises au risque d'entraver l'exportation d'armes et de savoir-faire militaires ? Les paradis fiscaux comme les Bahamas, Jersey et Guernesey où les sociétés de Barlow et de Buckingham ont établi leur siège ?

Les citoyens, les politiques, les diplomates et les militaires qui se réclament de l'éthique du service public et non de la loi de la jungle ont pris un retard considérable dans ce débat qui les concernent tous. Une chose est sûre : plus le temps passe, plus les réseaux deviennent inextricables, se concilient des appuis au sein même des appareils d'État, des hiérarchies militaires et du monde des affaires. Les frontières commerciales sont en passe d'être abolies, les États qui les défendent passent pour les hérétiques de la nouvelle religion de la globalisation défendue par les États les plus puissants, déjà profondément infiltrés par les nouveaux condottieres.

L'Europe éprouve déjà des difficultés considérables à défendre ses modèles de protection et d'entraide sociale, face au dumping d'outre-Atlantique et d'Asie. La dernière des prérogatives des États, le monopole de la violence, est-elle sur le point de leur échapper ? Sommes-nous si sûrs que les exemples de Mathô ou de Rocafort, qui ont su é anler des empires comme ceux de Carthage ou de Byzance, ne peuvent pas se répéter?

La première scène du James Bond sorti en 1997, Demain ne meurt jamais, qui montre un supermarché d'armements de tous cali es quelque part dans l'ex-URSS est-elle Si éloignée de la réalité ? Sans doute, le scénario pousse-t-il le bouchon assez loin avec le personnage de Carver, ce magnat de la presse mégalomane qui pour faire de l'audimat, est sur le point de déclencher un conflit entre Londres et Beijing, mercenaires et sous-marin furtif à la clé. Rappelons tout de même que CBS fut à deux doigts de financer une opération mercenaire en Haïti...

En 1991, le polémologue américain Martin Van Creveld prévoyait que les guerres entre États céderaient de plus en plus la place à des conflits orchestrés par des entités guerrières du type de l'ère prémoderne comme les tribus, les ethnies, les États-cités, des associations religieuses, les bandes de mercenaires et les grandes sociétés commerciales comme la Compagnie des Indes orientales itannique. Les événements que le monde a traversés depuis lors, rendent-ils ces proiections si ridicules ou invraisemblables ? Pourquoi les Etats-majors et les centres de recherche sur les thèmes de défense planchent-ils de plus en plus sur ces scénarios de nouveaux conflits. Pour le simple plaisir de la simulation ? Bahamas, Jersey et Guernesey où les sociétés de Barlow et de Buckingham ont établi leur siège ?

Source: Repenser l'ONU (janvier 1998)

 

Les nouveaux mercenaires

Mercenaire : « soldat recruté à prix d'argent et pour un conflit ponctuel par un gouvernement dont il n'est pas ressortissant ». Déjà dans l'Antiquité, Xénophon loue ses 10 00 hommes au roi de Perse. Plus tard, dans les rangs de Sparte, lui, l'Athénien, fait la guerre contre les siens. Soudards des grandes compagnies, condottiere de la Renaissance, gardes-suisses, tous se vendent au plus offrant, et quand plus personne ne paie ils pillent et dévastent.

La rationalisation du mercenariat

Le passé est proche, mais en même temps les mercenaires ont évolué, se sont modernisés et adaptés au monde contemporain. Le temps des derniers « soldats perdus », des « chiens de guerre » épris d'aventure et qui se retrouvent par petits groupes dans les cafés de Paris ou uxelles est révolu. Depuis six ans tout a changé: les mercenaires sont des professionnels sous contrat, mensualisés, très cher payés pour leurs qualifications militaires et l'expérience acquise sur certains théâtres d'opération.

Ils sont sur Internet et leurs offres de service proviennent du monde entier. Ils disposent d'une revue spécialisée, Soldiers of fortune, forte de 25 000 abonnés et de 300 000 lecteurs. Le fondateur de la revue, Robert own, un ancien vétéran du Viêt-nam, a créé d'autres organisations paramilitaires coiffées par une puissante organisation, Oméga Group, dont le but affiché est de « résister à la tyrannie où qu'elle soit dans le monde ». Oméga a ainsi soutenu et encadré les chrétiens Karens en Birmanie, les Mmongs au Laos, les moudjjahidines en Afghanistan, les contras au Nicaragua et les Kurdes en Irak.

Le leader mondial de la location de mercenaires est la puissante société Executive Outcome, au palmarès impressionnant : prise en 1994 des champs pétrolifères de Soyo au Cabinda, puis occupation de l'énorme champs de diamants de Kafunfo ; en Sierra Leone, éjection des rebelles installés à Freetown et reprise de contrôle des concessions diamantifères de Koldu, du gisement de bauxite et des mines de titane de Gbangbatok. Executive Outcome, c'est une armée privée de 2000 hommes dont 70% de Noirs, très bien entraînés, obéissant à une discipline stricte, instruits et encadrés par des officiers expérimentés, des escadrons blindés, des hélicoptères-canons et même un Boeing 727 pour les transports de troupes urgents.

Autre pôle de mercenaires en relations étroites avec EXO, la firme itannique Sandline International, dont le siège se trouve à Londres dans le quartier de Chelsea. C'est une des armées privées les plus efficaces du monde recrutée parmi les anciens des troupes d'élite itannique - parachutistes SAS, Gurkhas et commandos marines. Le patron est Tim Spicer, un ancien officier supérieur de la garde royale.

Les mercenaires aujourd’hui répondent donc à un besoin classique de soldats expérimentés exprimé par des pays en guerre : ils combattent là où on a besoin d’eux. Mais la nouveauté vient du caractère rationalisé de l’offre de soldats, monopolisée de fait par quelques grandes sociétés spécialisées. Ceci facilite le contrôle et l’instrumentalisation du mercenariat, qui, si elle n’est pas systématique, existe parfois en privé sous le manteau pudique de la condamnation publique

L’instrumentalisation du mercenariat

Ainsi, la crise du Zaïre et la surprenante victoire de Laurent-Désiré Kabila ont vu l’entrée n scène d'une nouvelle organisation, américaine cette fois : la société Military Professionnal Ressources Inc. Basée en Virginie, elle entretient des liens étroits avec le Pentagone et opère avec l'accord du Département d'Etat. Elle a été créée en 1987 par le major-général Vernon Lewis, assisté par 5 officiers généraux et entouré de 170 cadres militaires permanents. Ses moyens sont considérables et ses effectifs capables de monter en puissance à la demande. Avant d'opérer au Zaïre, MPRI avait obtenu un contrat gouvernemental de 800 millions de dollars pour armer et entraîner l'armée de la fédération croato-musulmane. En quelques mois les instructeurs de la MPRI ont réussi à transformer les « milices de chiffonniers » croates en une formidable force combattante. Au Zaïre, le Blietzkrieg minier organisé par des officiers de MPRI a balayé en quelques semaines le pouvoir déla é de Mobutu. Sans l'appui technique des mercenaires américains présents aux abords des lignes de feu, l'artillerie, le support logistique d'avions géants Galaxie, Kabila n'aurait pu lancer son action victorieuse sur Kisangani et Kinshasa. La reconquête du nouveau Congo a permis aux grandes compagnies minières de prendre le contrôle des prodigieuses richesses du sous-sol zaïrois: diamants, cuivre, cobalt, manganèse, uranium.

Des contrats d'exploitation exclusive ont été signés avant même la chute de Kinshasa entre Kabila et les consortiums miniers. Le donneur d'ordres aux unités de mercenaires était le géant américain Barrick Gold Corporation, dont l'étonnant triumvirat est constitué de l'ancien président américain George Bush, de l'ex-directeur de la CIA William Gate et de l'ancien premier ministre canadien ian Mulroney, reconvertis dans les affaires. Les sociétés de mercenaires privatisent ainsi la diplomatie et la guerre pour reprendre le contrôle des ressources et des matières premières. En cela, elles s’inscrivent donc parfois dans une lutte géopolitique pour le contrôle des points névralgiques de la planète au profit de puissances plus importantes qui les instrumentalisent.

La diversification des champs d’action : les mercenaires du savoir

Mais le champs d’action des mercenaires ne couvre plus seulement les guerres conventionnelles et les théâtres effectifs des opérations meurtrières.

La demande de mercenaires est aussi technologique, et non plus seulement logistique. Depuis l'effondrement de l'empire soviétique, les Etats du monde entier s'arrachent ses experts de l'armement et du nucléaire au chômage. La prolifération de marchés parallèles de l'emploi pour savants et techniciens russes au chômage pourrait constituer une menace sérieuse sur le contrôle des armements : 2000 savants capables de maîtriser la chaîne nécessaire pour fa iquer une bombe atomique sont susceptibles d'y évoluer. Téhéran aurait déjà engagé une cinquantaine d'experts payés 5000 dollars par mois pour assembler des têtes nucléaires achetées au Kazakhstan. Des recruteurs libyens auraient tenté de débaucher des spécialistes de l'Institut Kourtchatov de Moscou. Des mercenaires en blouse blanche venus d'Ukraine participeraient au développement d'une centrale nucléaire en Algérie. La Corée du sud exploite systématiquement les documents techniques russes dans les domaines des composants spatiaux.

Les mercenaires se sont donc adaptés au monde de l’après-guerre froide, même s’ils conservent des caractéristiques classiques. L’offre a été rationalisée pour faire face à une demande exigeante. Dans un monde où la menace est diffuse, aléatoire mais omniprésente, le mercenariat est une composante essentielle de la nouvelle géopolitique. Les mercenaires sont présents dans quasiment tous les points chauds de la planète. C’est la logique du marché, de l’offre et de la demande qui règle cette marchandise particulière que sont le soldat et le savant militaire, et c’est pour cela qu’ils peuvent opérer partout sur le globe : instruments de règlements de comptes régionaux (Guatemala, Honduras, Birmanie), partisans de guerres civiles dont ils profitent et qu’ils nourrissent, les mercenaires semblent aussi parfois constituer un moyen pour les grandes puissances de mener une guerre par procuration, inavouée mais si utile aux intérêts nationaux. Mais on approche alors des secrets d’Etat, et les certitudes laissent ici place aux présomptions : que penser tout de même de la victoire de Kabila au Zaïre grâce à une société américaine ? Si cette instrumentalisation du mercenariat n’est pas la règle, elle est un aspect important de la nouvelle géopolitique : sa discrétion rend toutefois son évaluation tant quantitative que qualitative difficile.

Source: Bibelec (janvier 1998)

 

Les nouveaux chiens de guerre

Mis en examen pour l’assassinat de l’ancien président comorien Abdallah, Bob Denard sera jugé le 4 mai à Paris. Son procès sera aussi celui de tous les « affreux ». Tour d’horizon d’une profession en pleine mutation.

C’était une légende. Peut-être la dernière image d’Epina de ces baroudeurs qui partaient au bout du monde avec une poignée d’hommes faire ou défaire des gouvernements quand les grands Etats ne pouvaient intervenir ouvertement. Pendant des années, il a servi de modèle à des centaines de marginaux « fana mili ». l’alibi des opérations spéciales menées pour le compte des « services » aura pendant des années entretenu un mythe. Son procès qui s’ouvre ce 4 mai devant les assises de Paris en sera l’épilogue. La fin des dinosaures. Reste que depuis plus de vingt ans déjà le « métier » n’était plus ce qu’il fut. Les missions ont changé. Tour à tour idéologiques, politiques, idéalistes ou commerciales elles ont été conduites par des hommes hors du commun ou très banals. Mercenaires, oies sauvages, soldats de fortune, volontaires ou chiens de guerre, c’est une galerie d’ »affreux » qui ne se ressemblent pas, mais qui ont tous en commun le goût de l’aventure et de l’odeur de la poudre. « Des hommes, selon l’expression de Jean Lartéguy dans les Chimères noires, qui ont choisi de risquer leur mort pour donner un sens à leur vie. »

Les croisés

Creuset du mercenariat moderne, le Congo belge fut aux mercenaires ce que le Viet Nam a été aux photographes. Une aventure qui a rapporté de la gloire, de l’argent et des médailles. Ceux qui se sont battus au Congo, au Yémen ou au Biafra poursuivaient les combats perdus par leur propre pays. Ils menaient une sorte de croisade. Pas étonnant que le public ait rapidement retenu leurs noms : Denard, Faulkes, Schramme, Steiner, Key, Hoare, Banks Anciens militaires pour la plupart, ils avaient formé une grande famille qui avaient pris le relais des régiments réglementaires où ils avaient servi et fonctionnaient en vase clos. Ce ne sera pas le cas des générations suivantes.

Les soldats de fortune

Au début des années soixante-dix, la Rhodésie plonge dans la guerre d’indépendance. Pour contrer les forces de Robert Mugabe, les Blancs doivent monter de toutes pièces une armée. Désormais, ce sont les Anglo-saxons qui commandent. Les méthodes sont différentes de celles des Belges et des Français. Finis les harkas et les prétoriens. Incorporés pour trois ans dans le First Regiment of Light Infantry, ceux qui rejoignent la Rhodésie sont rapidement déçus. Entraînement draconien, discipline de fer et engagements très durs. En outre, la solde promise a été divisée par trois. Quand ça grogne dans les rangs, les récalcitrants sont jetés en prison.

Les volontaires

A la même époque, une nouvelle catégorie de mercenaires voit le jour. C’est le Liban qui servira de théâtre à leurs exploits. Ils sont une poignée d’étudiants, militants d’extrême droite ou trotskistes. Les premiers rejoignent les Phalanges, les seconds les Palestiniens. Ils ont une cause à défendre. Gratuitement. Pourtant l’expérience tourne court. Lorsque s’ouvrent les sessions d’examens, il sont de retour sur leur campus.

Sans doute, le Liban, comme la Rhodésie, ne se prêterait-il pas à l’aventure personnelle. Les volontaires ont dans la tête des images ou des récits de batailles entrés dans l’histoire : Berlin, Diên Biên Phu, Khe Sanh. Ça tombe bien : au milieu des années quatre-vingt, les fronts d’Asie du Sud-est se rallument. Des dizaines de volontaires -français pour la grande majorité - débarquent en Birmanie, au Cambodge. Deux d’entre eux réussiront même le tour de force de raviver, l’espace de quelques mois, la guérilla hmong au Laos qui se bat contre les bo doi de Hanoi.

Commencée en 1947 avec la décolonisation anglaise, la guérilla des Karens était jusqu’alors totalement confidentielle. En 1984 un premier volontaire se fait tuer au feu. Il est français. La cause karen est tout à coup révélée au grand public, qui découvre en même temps l’horreur de la dictature des généraux birmans. Les volontaires affluent par dizaine des quatre coins du monde.

Certains vont rester sur place deux ou trois ans. Sans solde. Pour le seul plaisir du commandement et de la liberté qu’offre ce type de guérilla. Ils ont tous le même profil : recrutés dans des bars ou à la sortie de pelotons d’élèves gradés. Capables d’admirer à la fois le REP, les SAS, les Waffen SS ou les commandos israéliens. Pour tous ce que ces régiments ont en commun : le professionnalisme, combativité et camaraderie d’armes.

Les oies sauvages

Pendant que des jeunes gens traquent l’aventure au long cours dans les rizières asiatiques ou sur les plateaux de l’Afghanistan, d’autres n’imaginent toujours pas travailler autrement que dans l’om e de Bob Denard. Ils ont besoin d’un chef et d’un contrat de travail. Il s’ »accrochent encore à l’image des croisés du Congo. Peut-être n’ont-ils pas compris que cette époque était morte au Biafra, en 1968. Désormais, ces tenants du mercenariat pur et dur livrent leur dernier baroud d’honneur, de missions de sécurité de la garde présidentielle aux Comores en petits putschs (souvent ratés). L’expérience de la reconquête ratée de Moroni en 1995 en est la mesure exacte. Les dernières oies sauvages volent maintenant vers d’autres horizons, là où sont les groupes pétroliers à risque (en Birmanie, en Algérie), espérant toujours un gros coup, rapide et rémunérateur… On en retrouvera épisodiquement au Zaïre avec Mobutu, puis au Congo avec les miliciens co as de Sassou N’Guesso. Mais l’Afrique boude les mercenaires français. Sud-Africains, israéliens et Slave les ont remplacés.

Les chiens de guerre

Dernier théâtre d’opérations des affreux : l’ex-Yougoslavie. Ce sera une guerre sans panache. Cette fois-ci, la dernière cuvée des traîneurs de sa e est radicalement différente. Ils sont venus sur les champs de bataille de Slavonie, puis de Bosnie, poussés par les médias, aussi paradoxal que cela puisse paraître. Parce que, pour la première fois depuis des années, politiques, intellectuels et journalistes s’entendent pour définir le camp du Bien et celui du Mal. C’est du moins la version officielle. Mostar, Vinkowski, Karlovac, Vukovar, Sarajevo deviennent le rendez-vous de gosses perdus qui confondent engagement humanitaire et militaire. Et le Kosovo en sera bientôt le prolongement. Mais pour bon nom e d’Européens, c’est simplement une vraie guerre qui a éclaté à leurs portes. On peut y aller en train ou en voiture. On y découvre des mercenaires de banlieue - véritable légion de paumés, fanatiques politiques ou religieux - qui passent sans s’en rendre vraiment compte du virtuel du poste de télévision au réel du terrain. Et qui ne se battent pas pour autre chose que le retour du tribalisme en Europe.

Source: Valeurs Actuelles (n° 3257 30 avril au 7 mai 1999)

 

Missions : commandos et bonnes affaires

Les nouveaux mercenaires sont à la tête de sociétés multinationales qui couvrent toute la gamme du « conseil en sécurité ». les Etats les utilisent de plus en plus pour des besognes discrètes.

Les missions des « chiens de guerre » modernes n’ont plus grand chose à voir avec les équipées tragi-comiques, et parfois héroïques, des as cassés de « colonel Papa » (Bob Denard).   

Les zones d’activités sont les marchés préférentiels des multiples sociétés de « services » qui fonctionnent en étroite symbiose avec les entreprises minières en Afrique. Il y a aux premières places les « coffres-forts géologiques » du continent noir, des pays riches en minerais précieux, mais aussi en guerre permanente (Angola, Congo, Sierra Leone), avec de gros besoins de sécurité. Les sociétés de « conseil stratégique » auxquelles ces pays font appel assent des millions de dollars et des kilos de diamants. Elles mobilisent autant de financiers que de commandos et travaillent de plus en plus souvent avec un mandat discret accordé par une puissance extérieure.

L’entreprise privée Sandline International, société privée de « conseil militaire » installé à Londres, a bâti sa fortune en Sierra Leone, en remettant en selle Ahmed Tejan Kabbah, son président élu, chassé du pouvoir en mai 1997. Contactée par l’ambassadeur itannique à Freetown, Sandline dépêcha sur place l’un de ses dirigeants, le lieutenant-colonel Tim Spicer, ancien de Sandhurst et des Scot Guards, passé par les Malouines, la Bosnie et Belfast, où il fut décoré de l’ordre de l’Empire itannique. Spicer contourna l’embargo sur les armes imposé par l’ONU, équipa et entraîna les partisans de Kabbah restés à l’intérieur du pays et réinstalla finalement Kabbah au pouvoir en février 1998, avec quelques solides anciens des SAS itanniques. Les armes furent cachés en Bulgarie, grâce à un financier indien, Raskehs Saaxena, propriétaire de mines dans le pays. Honoraires de Sandline International : 15 millions de dollars. Le prix pour remettre la main sur les fabuleuses richesses minières de la Sierra Leone.

Executive Outcomes (EO), la célè e société sud-africaine de mercenariat post-apartheid, a aussi « servi » en Sierra Leone, mandatée par des entreprises minières itanniques. EO eut son heure de gloire en Angola (jusqu’en 1996), au côté du pouvoir, contre l’Unita de Jonas Savimbi : cinq cents hommes engagés en trente mois de combat (une vingtaine de mercenaires tués). Montant du contrat : 60 millions de dollars. Là où l’ONU avait dépensé en vain près de 700 millions de dollars pour ses opérations de « maintien de la paix ». Ses mercenaires (mille cinq cents hommes, dont 80% de Noirs) continueraient à entraîner l’armée nationale angolaise sur les Mig-23 et les Sukhoï. Ce sont encore des hommes d’Executive Outcomes, mais employés par Sandline, qui ont rétabli l’ordre sur l’île de Bougainville (Papouasie-Nouvelle Guinée) en 1997, à l’appel du gouvernement confronté à une révolte des Mélanésiens. Coût de cette mission de pacification d’un an : 40 millions de dollars. On retrouvera dans cette aventure le colonel Spicer, arrêté (puis expulsé) avec 4 millions de dollars sur lui…

Aux Etats-Unis, on ne compte plus ces « multinationales de guerre », selon le terme du lieutenant-colonel Grégoire de Saint-Quentin, auteur d’une remarquable étude sur la « privatisation de la violence », parue dans la revue Défense nationale (avril 1998) : « Conjuguant capacité d’organisation transnationale et prestation de services au profits d’Etats instables, les entrepreneurs de guerre d’aujourd’hui (…) sont un moyen supplémentaire au service des puissances qui, devant recourir à l’action militaire, ne le peuvent que de façon indirecte. » Cette logique de la « décharge de puissance » sur une société écran a notamment conduit la France à « fermer les yeux » sur l’envoi au Zaïre d’une centaine de mercenaires serbes venus au secours de Mobutu, quelques mois avant sa chute.

Quelques entreprises américaines dominent ce marché très lucratif, avec le soutien implicite de l’administration fédérale. Armor Holdings, née en 1996 à Jacksonville (Floride), est l’un des spécialistes mondiaux de la fourniture d’équipements de sécurité, à travers un réseau de trente sociétés, itish Petroleum est l’un de ses plus gros clients en Algérie, en Colombie et en Angola. Armor entraîne les forces de police en Arabie saoudite, au Bostwana, à unei et à Singapour.

Airscan, dont le siège est à Tutsville (Floride) depuis 1989, offre à ses clients des activités privées de transport et de surveillance aérienne, de jour comme de nuit, et des équipements infrarouge et radar de sécurité, montés à bord de ses Cessna 337 bimoteurs. Truffée d’anciens pilotes de l’armée de l’air américaine, Airscan répond aussi bien à des missions de surveillance de l’environnement qu’à des situations de catastrophe naturelle. Elle est sous contrat avec le département américain de la Défense et des compagnies pétrolières privées (Chevron au Cabinda).

MPRI (Military Professional Resources Incorporated), installée à Alexandria (Virginie), est probablement l’une des premières « boîtes à mercenaires » actuelles dans le monde. Créée en 1987, cette société emploie quatre cents permanents. Elle offre un fichier de six mille anciens militaires, sélectionnés pour leur savoir-faire. Elle se présente elle-même comme « la plus grande entreprise d’expertise militaire du monde, capitalisant l’expérience et l’intelligence des meilleurs professionnels américains. » Pas moins de quatorze généraux à la retraite siègent à son bureau directeur. Du simple conseil au combat totale, sur terre, en l’air ou en mer, de la formation des officiers de réserve aux Etats-Unis à l’envoi par bateau de 900 millions de dollars de fret humanitaire dans les pays de l’est, MPRI affirme pouvoir offrir toutes sortes « d’alternatives stratégiques » à ses clients.

Assistance armée à l’UCK au Kosovo

MPRI est en réalité le as armé de l’administration américaine pour la fourniture de personnels, de conseils, de services, là où les agents officiels ne peuvent pas aller. Ces « coopérants » sont à l’œuvre, en ce moment, en Albanie et en Turquie pour aider la guérilla de l’UCK à refaire ses forces avant de retourner au combat au Kosovo. Selon le magazine spécialisé Soldier of Fortune, le gouvernement américain utilise aussi pour cette mission les services d’une autre société de mercenaires, Dyncorp. Dans les Balkans, MPRI a négocié directement avec les Etats, sous « licence officielle du gouvernement américain ». ses spécialistes forment, équipent et entraînent les militaires bosniaques et croates. Ils ont ouvert des centres d’entraînement au combat :4 milliards de francs. Nom du programme : « assistance à la transition démocratique ».

Source: Valeurs Actuelles (n° 3257 30 avril au 7 mai 1999)

 

Profil: Bob Denard, roi des « affreux »

Résistant à seize ans, marin à dix-neuf, policier à vingt-deux, Denard commence sa carrière de soldat de fortune dix ans plus tard dans la gendarmerie katangaise. Ensuite : le Yémen pour tenter de restaurer la monarchie de l’émir El-Badr, de nouveau le Congo où il sert Mobutu après avoir soutenu la cause de Tschombé. Il finir par organiser une mutinerie contre Mobutu. Ce sera la fin de l’aventure congolaise et celle de la « première génération d’affreux ».

On le retrouve ensuite à proximité du Biafra où il coopère avec les services de Foccart. Premier signe d’une évolution de la profession…Il est ensuite au Kurdistan, puis au Gabon, en Côte d’Ivoire et, en 1975, aux Comores qui deviendront plus tard sa véritable base arrière, lorsqu’il se sera débarrassé du dictateur Ali Soilih qu’il a lui-même porté au pouvoir. En attendant, il mène des actions en Angola, au Cabinda, et au Bénin où il connaît en 1997 son premier échec notable.

 Quand il revient aux Comores le 13 mai 1978 pour déposer Soilih, il est accueilli en libérateur. Il vient de mettre fin à trois années de terreur marxiste. Il montera encore plusieurs opérations bancales au Tchad en faveur d’Hissène Ha é. Mais sa place est à Moroni. Il est obligé d’en partir en 1989 après l’assassinat du président Abdallah. Exil à Pretoria, retour en Gironde, puis il repart pour les Comores. Nouvelle opération rocambolesque pour rétablir une fois de plus la « démocratie ». Mais cette fois « le vieux » a été lâché par Paris. La France intervient militairement. Denard et ses hommes sont arrêtés. Verdict le 4 mai, premier candidat à sa succession, Emmanuel Pochet, alias commandant Charles, n’a pas su s’imposer au zaïre ni au Congo.

 Autre candidat : le capitaine Barril, qui aurait déjà essayé d’écarter Denard des Comores. Peut-être aussi Bernard Courcelles, ancien patron du DPS (le service d’ordre du front national) et actuel chef de la garde présidentielle au Congo depuis sa rupture avec Jean-Marie Le Pen.

« En fait, beaucoup de personnalités attachantes et pittoresques, mais pas d’élément fédérateur, déplore un jeune mercenaire. Denard voulait des mecs dociles. Il a divisé pour mieux régner. »

Source: Valeurs Actuelles (n° 3257 30 avril au 7 mai 1999)

 

Relève : les petits-fils de Bob Denard

Du Kosovo à l’Asie du Sud-Est et d’Afrique en Afghanistan, les petits-fils de Bob Denard sont partout…Si la plupart savent pourquoi ils se battent, tous ne savent pas toujours pour qui…

 Du soldat professionnel à l’aventurier romantique en passant par les « gros as » en quête d’une mission exotique - bien payée et, si possible au soleil - tous ont leurs raisons, et chacun son discours. Il y aura toujours celui qui se bat pour une cause (ou se présente comme tel) et celui qui avoue ne se battre que pour l’argent. Mais même entre eux, la frontière est ténue : le meilleur moyen d’acquérir un savoir-faire pour le monnayer au mieux restera d’aller se faire la main dans un véritable conflit !

De l’avis unanime, l’ex-Yougoslavie et la guérilla karen de Birmanie sont les théâtres d’opération les plus durs et les plus formateurs. « Ceux qui sont allés chez les karen forment une espèce d’amicale, déclare l’un d’eux. On sait que c’et un gage de qualité. »

Il y a parmi les candidats au voyage beaucoup d’idéalistes bercés par leurs lectures et que le contact avec la réalité refroidit rapidement. L’ex-Yougoslavie a profondément marqué ceux qui s’y sont battus. Erich a servi deux ans dans l’armée croate : « Il faut longtemps pour s’en remettre. Tu vis dans des trous, par - 30° dans les montagnes. Il nous est arrivé de passer deux mois et demi sans nous laver ni nous raser, avec une boîte de sardines par jour. La seule chose que nous avions à volonté, c’étaient les cigarettes et les munitions. Pour ne pas dormir, on prenait des amphétamines et du Captagon. Au bout d’un moment, on avait des hallucinations, on voyait des fantômes, nos dents se déchaussaient. Trois jours après une attaque très violente, nous nous sommes aperçus qu’il y avait des morceaux de cadavres disséminés dans les ar es et dans le bunker où nous dormions. Pour nous l’extérieur, c’était « le monde » et notre univers la twilight zone (comprendre : la quatrième dimension). Il y a eu beaucoup de suicides après cette guerre, des types qui se sont flingués entre eux, des accidents de voitures, des hold-up… »

Quoi de commun entre les volontaires rescapés de cet univers de cauchemar, et les vigiles recrutés dans les salles de musculation ou dans les bars aux aptitudes limitées et qu’on emploie sur des « coups » bien préparés ?

Au Zaïre, lors de la guerre civile de 1997, les mercenaires recrutés par Christian Tavernier, vieille connaissance du maréchal Mobutu, issu en partie du DPS, le service d’ordre du front national, comptaient peu d’éléments qualifiés dans leurs rangs : « Je faisais partie d’une première équipe, qui a dû être remplacée en partie quelques jours après notre arrivée, raconte l’un des participants. Nous étions à Kisangani, la région la plus exposée aux risques de paludisme. Les types n’avaient aucune préparation médicale, il y a eu des cas de coma. L’un d’eux est parti parce qu’il n’avait pas assez manger… »

Et d’ajouter : « Peu sont attachés aux véritables « valeurs et traditions » du milieu. Ils confondent ça avec un boulot de sécurité bien payé. » Une équipe d’anciens de l’armée croate avait d’ailleurs été contactée pour cette opération. Efficaces certes, mais constituée d’éléments trop indépendants, pas assez malléables, pour un Tavernier avant tout soucieux d’exploiter la concession minière que lui avait cédée Mobutu.

« Le mercenariat est une course aux illusions perdues »

Quand une partie des hommes de Tavernier se retrouve encerclée pendant trois jours par des combattants rwandais, alliés de l’AFDL de Laurent-Désiré Kabila, sur un pont au nord de Du a, leur quartier général, il refuse par trois fois d’organiser une récupération. Les mercenaires ne devront leur salut qu’à la désobéissance d’un chef d’équipe qui part les recueillir dans des conditions rocambolesques. Le groupe soudé des anciens de la Croatie n’aurait peut-être pas admis ce genre de « négligence ». D’autant qu’une opération parallèle était montée, via la DST et l’entreprise de communication satellitaire Geolink, avec des mercenaires serbes…peu faits pour s’entendre avec les Croates.

Alain, ancien militaire qui n’a pas connu les missions dont il rêvait dans l’armée française, ne regrette pas, malgré tout, l’opération Tavernier : « Le mercenariat est pour moi une course aux illusions perdues. Après l’armée, le mercenariat signifiait pour moi l’aventure, l’absence de cadre rigide, ef l’expérience du feu sans les contraintes. »

D’autres sont plus catégoriques : « La France ne propose plus grand-chose à ceux qui veulent se battre. Les missions de type « casque bleu » ne m’intéresse pas. L’armée m’a donné une formation, mais je savais en y entrant ce que je ferais après. Il y a une grande hypocrisie de la part des militaires qui nous critiquent. Nous nous battons contre de l’argent, comme eux, en faisant un métier qui nous plaît. »

D’autres encore sont de purs aventuriers. Opérant depuis longtemps en Asie du Sud-est, où il a monté des unités de commandos puis des réseaux de renseignement, Pierre s’est peu à peu tourné vers le reportage. Il travaille en dehors des structures. « Si tu vas dans un pays il faut le connaître. Le but du jeu c’est de faire avancer les choses. Je préfère, même si c’est une chimère, réaliser quelque chose de solide, plutôt que d’être contacté sur un « coup » sans savoir où je vais, pour ensuite boire des bières, en ruminant ma nostalgie dans les cafés parisiens. Beaucoup de types se font exploiter. Et même sacrifier, comme ceux qui sont partis aux Comores en 1995. »

Principes qui vont à l’encontre d’une des règles du mercenariat, qui veut que l’on connaisse à l’avance la nature du travail, le degré de risque, mais pas nécessairement la destination…

Tous ne se soucient pas de savoir qui les emploie véritablement, qui commandite. Et même, le flou continue, pour beaucoup, à faire partie du jeu. Un ancien reconnaît qu’à son époque, dans les années soixante, les missions s’enchaînaient, très souvent avec l’accord tacite de l’Etat français. Le recul de la France en Afrique et surtout la concurrence redoutable des sociétés anglo-saxonnes obligent les jeunes mercenaires à passer une bonne partie de leur temps dans des emplois de sécurité peu enthousiasmants en attendant d’être recrutés.

« Les Anglais et les Américains prennent leur boulot à cœur »

Beaucoup de ces sociétés sont connues pour être des viviers, où piocher le moment venu. Certaines s’en défient, comme PHL, l’entreprise de Philippe Legorjus, ancien patron du GIGN, qui écarte ceux qu’il sait issus du milieu mercenaire. Logique, quand on connaît le contrat qui le lie à Total en Birmanie, dont le site doit être protégé d’éventuelles actions karens.

« L’avenir, désormais, passera davantage par le truchement d’intérêts économiques, contrôlés par des Etats, que directement par des gouvernements étrangers. Dans certains pays, Esso et Elf, dans le capital duquel se trouvent des fonds de pensions américains sont plus puissants que les gouvernements. Il faut, outre les renseignements et la guérilla militaire, se mettre au service du renseignement économique, savoir faire une fausse facture aussi bien qu’une mine artisanale…Il ne faut pas se contenter d’attendre une offre, il faut proposer. La demande est de plus en plus globale : militaire, logistique, conseil politique et économique, lobbying. »

Une figure du milieu comme Patrick Olivier, ancien de la Rhodésie et des Comores, travaille pour cette raison essentiellement avec les Anglo-Saxons. C’est que, résume un autre ancien : « Les Anglais et les Américains prennent leur boulot à cœur. Le Français prend souvent les choses par-dessous la jambe. Il faut savoir aussi que l’on ne commande plus à une troupe africaine comme le faisait autrefois. Le colonialisme est loin. » « Il faut se comporter comme un « Africain blanc » pour être suivi » confirme Alain.

Et puis il y a la guerre au Kosovo, qui risque de déboucher sur bien des reclassements…

Des anciens de l’armée croate sont prêts à repartir se battre contre leurs anciens adversaires serbes, dans leurs anciennes unités. Certains, essentiellement des étrangers, entraînaient déjà l’UCK depuis quelques mois. On a vu des cars de volontaires les rejoindre, mais les partisans de la Serbie ne sont pas en reste. Le groupe « général Lassalle », qui s’était fait connaître en novem e 1998 en manifestant en faveur du commandant Bunel (convaincu d’espionnage au profit de Belgrade), s’apprête à rejoindre la capitale serbe. Dirigé par le lieutenant-colonel Barriot - limogé par Charles Million en 1995 pour ses prises de position favorables aux Serbes de Krajina poussés à l’exode - ce groupe est constitué d’une poignée d’anciens militaires d’active. Leur départ se veut d’abord symbolique : une dizaine d’officiers auront pour mission d’encadrer des étudiants français favorables à la cause serbe, mais sans expérience militaire.

Folklore ou embryon d’un mouvement ? La sécurité militaire garde un œil. Des mercenaires professionnels seraient en outre à la recherche de filières susceptibles de leur permettre de se mettre au service des Serbes.

Cette perspective est peu réjouissante. Elle risque, en cas d’engagement terrestre, de mettre face à face des français dans quatre armées différentes : les réguliers - « mercenaires de l’OTAN », pour Barriot -, les Croates, l’UCK et les Serbes…

Source: Valeurs Actuelles (n° 3257 30 avril au 7 mai 1999)