Le curieux silence des Français sur Echelon

 

Arthur Paecht, député UDF du Var, rencontre des difficultés pour nourrir son enquête sur le réseau Echelon, ce système d'écoutes des communications par la NSA américaine. 
 

La commission de la défense de l'Assemblée nationale avait décidé, non pas une commission d'enquête, mais un simple rapport sur le sujet. Or Arthur Paecht n'a pas réussi à obtenir des informations de la part des services français concernés. Il va maintenant se rendre aux Etats-Unis, où il sera reçu par tous les organismes officiels, à commencer par la CIA. Les Américains qu'il va rencontrer lui répéteront, selon toute vraisemblance, le discours officiel: "Le réseau Echelon a été créé lors de la Guerre Froide. Les alliés des Américains y on été associés. Depuis l'effondrement de l'URSS, il est utilisé pour lutter contre le trafic de drogue et la corruption. En aucun cas il ne s'agit d'un système d'espionnage économique au profit des Etats-Unis".
 

A Paris, certains milieux ne tiennent pas à ce que l'on enquête trop sur ce sujet. Au fil des ans, la coopération et les liens se sont effectivement renforcés entre une partie de la hierarchie militaire et leurs homologues américains à travers l'Otan et les échanges d'informations sur le terrorisme. Une imbrication de plus en plus étroite, dont les politiques ou les parlementaires n'ont pas toujours étés informés de tous les détails.
 

 
Source: La Lettre A / N°1018 (13/07/2000)
 
 
L'Europe enquête sur Echelon à reculons

 

Le procureur de Paris vient de mandater la DST pour enquêter sur l'espionnage généralisé de nos communications par les anglo-saxons. L'Allemagne et la Hollande s'apprêtent à faire de même. Et cela ne suffit visiblement pas pour convaincre le Parlement européen de l'urgence d'une vraie commission. Mercredi 5 juillet, les eurodéputés ont refusé, par 340 voix contre 210 (et 15 abstentions) l'idée d'une véritable commission d'enquête, se contentant d'instituer une "commission temporaire sur le système d'interception Echelon", qu'un diplomate qualifie, dans Libération, d'"organe émasculé".
 

Le lobbying britannique
 

Ce résultat doit beaucoup aux Anglais, qui participent activement au programme Echelon et accueillent la plus grande de ses bases d'interception à MenWith Hill. Les représentants britanniques ont évoqué les deux enquêtes françaises, souhaitant obtenir l'assurance qu'elles ne feraient pas obstacle à celle du Parlement européen. Ils ont même proposé d'enquêter sur "d'autres systèmes susceptibles de porter atteinte à la vie privée", faisant incidemment référence à l'avatar français d'Echelon. Le lobbying forcené des Anglais contre toute investigation a, semble-t-il, été relayé par une intense activité américaine.
 

"Moins de pouvoirs qu'une commission d'enquête"
 

Sans pouvoir d'investigation, la commission du Parlement européen se contentera d'inviter des représentants de l'État à s'exprimer sur plusieurs points tels que l'existence réelle d'Echelon, la compatibilité d'un tel système avec le droit communautaire ou les éventuels préjudices de cet espionnage industriel pour les entreprises européennes. La commission, composée de 36 membres, dont quatre français (Hugues Martin, Catherine Lalumière, Alain Krivine et Georges Berthu) et dirigée par un eurodéputé portugais — Carlos Coehlo —, devrait rendre ses conclusions d'ici environ huit mois. Pour Thierry Jean-Pierre, qui sera le suppléant d'Hugues Martin au sein de cette commission, "celle-ci aura beaucoup moins de pouvoirs qu'une commission d'enquête et pas de pouvoir de coercition : on invite, mais on ne peut forcer personne à venir témoigner." L'élu de Démocratie libérale a sciemment tardé à révéler au Figaro qu'une enquête avait été confiée à la DST par le procureur de la République suite à un courrier de l'ex-juge : "Je voulais le rendre public juste avant le vote de la commission d'enquête pour faire monter la pression, et laisser à la DST le temps de bosser."
 

 
Source: L'Express (10/07/2000)
 
 
La France et l’Europe se penchent sur Echelon

 

Le procureur de Paris a ouvert une enquête préliminaire sur Échelon
 

Jean-Pierre Dintilhac, procureur de la République de Paris, vient de saisir la Direction de la surveillance du territoire (DST) pour une "enquête préliminaire" sur le programme Échelon. L'ex-juge Thierry Jean-Pierre, aujourd'hui député européen (et trésorier de Démocratie Libérale), avait, en effet, écrit au procureur, le 2 mai dernier, pour l'informer des "atteintes à la vie privée (…) et aux intérêts liés au commerce ainsi qu'aux entreprises, voire aux intérêts supérieurs de la nation" que représentent le désormais célèbre Big Brother anglo-saxon. C'est la seconde fois en trois mois que Le Figaro révèle que des Français tentent d'instruire le procès d'Echelon. Fin mars, le quotidien du matin dévoilait en effet qu'un collectif d'internautes, Akawa, soutenus par deux avocats spécialistes de la question, maîtres Jean-Pierre Millet et David Nataf, venaient de porter plainte contre X… afin de faire la lumière sur les "violations du secret des correspondances" occasionnées par Echelon. Si l'Assemblée nationale a diligenté, le 22 mars dernier, une mission d'information sur la question, l'information concernant l'enquête préliminaire confiée à la DST arrive à point nommé : les parlementaires européens doivent en effet décider ce mercredi 5 juillet de la constitution, ou non, d'une commission d'enquête sur Echelon.
 

La grande muette et les grandes oreilles du "grand frère"
 

Vivement encouragée par les Verts, cette initiative est cependant bloquée, jusqu'à présent, à la fois par les parlementaires anglais (leur base de Menwith Hill étant la plus importante de toutes les stations d'écoute de la NSA), et par les principaux partis de la Communauté. Notre confrère ZDnet révélait ainsi, dans un dossier paru il y a une dizaine de jours, que dix pays membres de l'Union européenne (Danemark, Allemagne, Finlande, Grèce, Italie, Pays-Bas, Norvège, Portugal, Espagne et Suède) cèderaient aux grandes oreilles anglo-saxonnes des stocks entiers de données interceptées. On apprenait également que les industriels européens mettaient au point un système d'écoute transfrontalier destiné à faciliter le travail des forces de l'ordre, projet initialement connu sous le nom d'Enfopol. Last but not least, l'édition anglaise de ZDnet publiait la semaine dernière la première photo connue de l'une des quinze stations d'écoutes françaises, recensées à ce jour et faisant partie de ce que les anglo-saxons ont opportunément surnommé "frenchelon". Le quotidien en ligne rapporte ainsi ces propos troublants : "Nous n'avons rien à envier des Américains. Nous avons l'équivalent d'Echelon en France". Des propos fort intéressants puisqu’ils émanent… d'un officier de la DST, la Direction de Surveillance du Territoire, chargée aujourd'hui d'enquêter sur les menaces de son "grand frère" anglo-saxon. À quand une enquête du FBI sur les menaces de Frenchelon ?
 

 
Source: L'Express (05/07/2000)