La NSA au rapport

 

Il arrive fréquemment qu'une administration, surtout quand elle brasse énormément d'argent, et emploie beaucoup de monde, en prenne pour son grade lorsqu'on l'audite. C'est ce qui est arrivé à la superpuissante National Security Agency américaine

"Certains pensent qu'il suffit de venir au bureau pour recevoir leur paie et obtenir une promotion." "Aucune des nombreuses recommandations faites ces dix dernières années n'a été suivie d'effet", d'où des problèmes de management interne et externe, sans parler de l'"obsolescence technologique" comparée aux pratiques du secteur commercial… Ces critiques, certes typiques des audits, s'avèrent d'autant plus mordantes qu'elles s'appliquent à la National Security Agency, connue pour être le cerveau d'Echelon, le système global de surveillance des communications mis en place par les anglo-saxons. En mars 1999, William Hayden prenait la direction de la NSA et commandait peu après un audit à deux équipes : l’une composée de consultants privés, l’autre d'employés de l'agence. Les rapports, remis à Hayden il y a un an, viennent tout juste d'être rendus publics à la demande de la revue spécialisée InsideDefense, alors même que le Parlement européen enquête sur Echelon et que le récent rapport Paecht en dénonçait les menaces, et dérives (lire Echelon au rapport). Si la publication des audits semble tomber à point nommé pour relativiser la toute-puissance de la NSA, le lieutenant général Hayden ne cache pas que médiatisation de l’agence assure la pérennité de son financement.

 

Une agence encroûtée ?

 

"La NSA est une organisation prête au démantèlement ; ses capacités individuelles sont de bien plus grande valeur que ne l'est l'organisation dans son ensemble", déclarent les experts "internes". On apprend ainsi que la NSA pâtirait d'une organisation étriquée, d'une mentalité conservatrice, sinon couarde, de la vieillesse de ses cadres qui seraient plus attentifs à la préservation de leurs postes, et à leur augmentation, qu'à l'efficacité de leur mission. Bref, il y aurait comme un défaut d'encadrement. Les employés étant souvent embauchés dès leur sortie de l'université, ils y font généralement toute leur carrière. Toutefois, le nombre d’employés attirés par la "concurrence" du secteur privé irait croissant. Par ailleurs, la culture du secret serait si forte que "le personnel de l'agence aurait peur d'exprimer ses propres pensées, de peur qu'elles ne se retournent un jour contre eux". L'agence aurait ainsi créé "une culture qui décourage le fait de transmettre les mauvaises nouvelles à la chaîne de commande", au point de ne pas être "à même de faire face aux problèmes inhérents à l'émergence du réseau global". Bref, les jeunes sont mal exploités, les vieux encroûtés.

 

Un pas de plus vers le secteur privé !

 

Mais quid de l'"obsolescence technologique", alors même que l'agence a longtemps dépensé sans compter, qu'elle se targue encore d’accueillir l'équipe la plus compétente en matière de cryptographie, que les capacités d'Echelon, bien que relativisées par certains, restent sans commune mesure ? La première réponse est à chercher du côté de l'accélération des innovations en matière de nouvelles technologies. La seconde reposerait sur l'absence d'une stratégie unifiée en matière de SIGINT (Signal Intelligence, ou art de recueillir, et de traiter les données) au profit d'une démultiplication de plusieurs programmes marchant tous sur leurs plates-bandes respectives. La solution semble tenir dans un rapprochement de plus en plus ténu avec le secteur privé. Il y a quelques mois, on apprenait ainsi l’externalisation des secteurs non classifiés, projet connu sous le nom de code "Groundbreaker" (que l'on peut traduire par "briseur de fondement"… lire La NSA privatise une partie de ses activités). Hayden vantait récemment les mérites de l’agence en matière de sécurisation du commerce électronique, et l’homme ne cache pas sa volonté d’accentuer les partenariats avec le secteur privé. À quand une NSA totalement privatisée et cotée au Nasdaq ? Ce ne serait pas incongru au pays du capitalisme débridé...

 


Source: Transfert (30/10/2000)

 

 
La NSA, une agence bien ordinaire

 

On n'a pas arrêté de vous bassiner, depuis des mois, avec le fameux réseau Echelon. Ce système d'écoute mise en place par les vilains américains de la National Security Agency, est chargé d'espionner les communications du monde entier, France comprise. Eh bien finalement, il n'y avait peut-être pas de réelles raisons de s'inquiéter : d'après deux rapports (une enquête interne et un audit externe) datés de 1999 et rendus publics il y a quelques jours, la NSA serait en effet loin d'être le Big Brother qu'on s'imagine. 

Selon ces documents, la NSA est peuplée de petits chefs carriéristes sans aucune morale. L'agence dilapiderait les fonds publics en accordant des salaires et des primes délirantes à certains de ses responsables. On apprend aussi que les guerres internes seraient nombreuses, que la NSA n'hésiterait pas à entraver l'action d'autres agences gouvernementales pour protéger ses petits privilèges, que ses relations avec le Congrès américain sont déplorables et que la politique de recrutement serait catastrophique. Un des rapports dénonce même une "obsolescence technologique", indiquant que la NSA utiliserait du matériel complètement dépassé par rapport aux moyens du secteur privé. Bref, ces deux textes incendiaires cassent complètement l'image classique de la NSA hi-tech toute-puissante et de ses troupes de Men in Black disciplinés ultra compétents. 

Officiellement, la NSA a reçu l'obligation de publier ces deux rapports, après qu'un magazine américain en fasse la demande conformément au Freedom of Information Act. Ceci dit, si les cerveaux de la NSA avaient voulu monter une opération d'intox pour rassurer l'opinion publique, en disant "Mais non, regardez, nos agents sont des gros nuls qui seraient bien incapables d'espionner le monde entier", ils ne s'y seraient pas pris autrement... 

Dans le même temps, on commence à beaucoup parler de ce que la presse anglo-saxonne appelle "Frenchelon", le système que la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure, nos services secrets à nous) et la DRM (Direction du renseignement militaire, nos espions en kaki) utiliseraient pour écouter tout ce qui passe à proximité de leurs paraboles. Vexés comme ils sont qu’on leur reproche de collaborer à Echelon en abritant sur le territoire anglais les stations d’écoute de la NSA, nos vieux amis anglais sont trop contents de lancer ce qui ressemble à une petite contre-attaque médiatique. On parle de satellites d'interception et de stations d'écoute dans toute la France métropolitaine, mais aussi dans les DOM-TOM (à Kourou notamment), en Arabie Saoudite ou encore à Djibouti. En revanche, contrairement au système de la NSA, le "Frenchelon" ne traiterait pas encore les données qui transitent sur Internet. Ça devrait toutefois arriver bientôt, puisque la DGSE s'est lancée en juin dernier dans le recrutement d'une cinquantaine d'ingénieurs pour les spécialiser dans l'interception de télécommunications ou dans l'intrusion informatique. Ça promet. 
 

  Source: Joystick (26/10/2000)