Echelon : les plus grandes oreilles du monde

 
 

Créé en 1947, le réseau d'écoute "Echelon" devait intercepter les télécommunications du bloc de l'Est. Depuis la chute du Mur, ce réseau serait utilisé par les États-Unis et leurs partenaires à des fins d'espionnage commercial. Le parlement européen s'est saisi de la question. Elle sera à l'ordre du jour du conseil des ministres de l'Intérieur de l'Union européenne le 29 mai. En France, l'Assemblée nationale souhaite aussi ouvrir une enquête.

Dossier de Courrier International


 

Enquête sur un réseau secret d'espionnage anglo-saxon

Dans le cadre du pacte Ukusa, chapeauté par la NSA - une agence indépendante placée sous la responsabilité du directeur de la CIA -, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande filtrent conversations téléphoniques, fax et e-mails dans le monde entier.

Surveillance du contenu des messages électroniques, écoutes téléphoniques, satellites-espions. On sait depuis longtemps que le système de télécommunications utilisé chaque jour par les particuliers, les entreprises, mais aussi les ambassades ou les gouvernements n'est pas d'une confidentialité à toute épreuve. On sait aussi que l'on s'espionne et que l'on se contrôle entre pays amis et alliés. Tout cela fait partie d'un jeu complexe et délicat d'après-guerre froide, dans lequel chacun est plus ou moins ami et concurrent de tous. On sait encore qu'il y a un joueur plus malin et plus fort que les autres : les Etats-Unis. Mais, jusqu'à présent, seuls quelques dirigeants et spécialistes connaissaient l'existence d'un réseau de surveillance globale d'une puissance et d'une étendue extraordinaires, que les Etats-Unis gèrent avec la collaboration de quatre autres pays anglophones : le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande.

Son existence a été très récemment révélée par un rapport officiel du Scientific and Technological Options Assessment [STOA - Commission d'évaluation des choix technologiques et scientifiques, présidée par Alain Pompidou] de la Direction générale de la recherche au Parlement européen. Intitulé "Evaluation des technologies de contrôle politique", ce texte décrit le mécanisme. "En Europe, tous les appels téléphoniques, les fax et les textes transmis par courrier électronique [e-mail] sont régulièrement interceptés, et les informations présentant un intérêt quelconque sont retransmises par le centre stratégique britannique de Menwith Hill vers le quartier général de la National Security Agency (NSA), l'agence américaine d'espionnage électronique." Selon ce document, tous les appels, cryptés ou non, peuvent être sélectionnés, décodés et intégrés dans une très puissante banque de données commune aux cinq pays en question.

Cet incroyable aspirateur à communications, baptisé Echelon, est le fruit de la technologie mise au point par l'Ukusa Security Agreement, un pacte de collaboration pour la collecte de Signal Intelligence [renseignement électronique], conclu en 1948 et dont l'existence n'a jamais été officiellement confirmée par ses participants. "Le plus frappant, c'est que pendant toutes ces années aucun gouvernement, dans aucun des cinq pays membres, n'a jamais rien dit ou admis à propos de ce pacte", dit le chercheur Nicky Hager, auteur de Secret Power, un livre publié en Nouvelle-Zélande qui rompt pour la première fois le silence sur Ukusa et sur Echelon.

Source: Il Mondo (08/04/1998)


Une véritable mainmise sur British Telecom

Le Royaume-Uni est traditionnellement tiraillé entre son appartenance à l'Union européenne et ses liens privilégés avec les Etats-Unis. Mais, avec le système Echelon, on passe de l'ambivalence au conflit d'intérêts. Directeur de Privacy International, organisation qui lutte pour la défense des droits civiques, l'Anglais Simon Davies, en visite à la London School of Economics, est le premier à le reconnaître.

Croyez-vous qu'au nom de l'UE Londres puisse renoncer à son rapport préférentiel avec les Etats-Unis ?
SIMON DAVIES: Non, c'est pratiquement impossible : ce rapport est trop étroit. En matière de sécurité nationale notamment, un éventuel retrait d'Ukusa provoquerait un choc épouvantable.

A Bruxelles et dans les capitales européennes, le rapport du Parlement de Strasbourg n'a guère provoqué de réactions. Comment l'expliquez-vous ?
La logique des activités d'espionnage veut que la sécurité nationale soit sacrée, donc qu'elle reste libre de toute interférence. Tant que l'on considérera Echelon comme un système lié à la sécurité nationale, personne n'osera dire quoi que ce soit. De plus, Echelon reste mystérieux. On commence à mieux comprendre son fonctionnement, mais on a du mal à en saisir l'ampleur.

Qu'en savez-vous aujourd'hui ?
Le moindre appel téléphonique, le moindre fax ou message électronique partant par onde ou par câble d'Italie vers le Royaume-Uni (et vice versa) peut faire l'objet d'une interception. N'importe quelle télécommunication par satellite peut l'être aussi. Le plus important, c'est qu'Echelon est loin d'être statique. Le système évolue parallèlement à la technologie. Le moindre progrès du réseau de télécommunications international, le moindre changement entraînent un réajustement d'Echelon. Prenez la base d'Ukusa de Menwith Hill, en Cornouailles. Elle s'est développée jusqu'à devenir partie intégrante des télécoms britanniques. Chaque fois que British Telecom (BT) a procédé à une modification, il a d'abord consulté Menwith Hill, qui s'est adapté. Et, chaque fois que BT a dû modifier son infrastructure, il a demandé l'accord du Service de renseignement électronique. Si Londres veut vraiment poursuivre le processus entamé à Maastricht, tout cela doit cesser

Source: Il Mondo (08/04/1998)


Deux millions de conversations captées à la minute

Glynn Ford (de la Direction générale de la recherche, au Parlement européen) accuse : des sociétés américaines ont profité du système Echelon pour contrer leurs concurrents européens et nippons.

Selon le rapport STOA, "en Europe, tous les e-mails, fax et appels téléphoniques sont contrôlés systématiquement par la NSA". Vous confirmez ?
LYNN FORD: D'après ce que j'ai pu comprendre, les communications sont interceptées grâce à des réseaux satellites. Des ordinateurs permettent de tout surveiller de façon systématique. Ce qui ne veut pas dire que toutes les conversations téléphoniques sont interceptées. Mais il existe des ordinateurs capables de surveiller deux millions de conversations par minute.

Qu'est-ce qui vous choque le plus ?
Greenpeace et Amnesty international figurent parmi les mots clés du système Echelon. Je comprendrais pour le terme Armée rouge, mais pourquoi écouter des conversations qui évoquent Greenpeace ou Amnesty ?

Que pensez-vous du fait que les téléphones portables servent aussi à espionner la population ?
Ce n'est pas le fait d'utiliser des appareils mobiles pour surveiller des individus suspects qui me dérange. Le problème, c'est que ce type de surveillance a été étendu à l'échelle mondiale de façon sauvage. On ne parle plus d'un nombre limité de "cibles" ; n'importe quelle organisation peut être surveillée. C'est pourquoi il faut instaurer un organisme de contrôle, qui pourrait dresser une liste de "cibles", définir les catégories de personnes ou de groupes susceptibles d'être surveillés et, enfin, s'assurer que les informations recueillies sont bien utilisées à des fins légitimes, et non illégales comme c'est souvent le cas. Apparemment, des informations captées par les Etats-Unis ont été exploitées par des sociétés américaines au mépris des lois de la concurrence et aux dépens de sociétés européennes et japonaises.

Que comptez-vous faire dans l'immédiat ?
La Commission des libertés civiques du Parlement européen a réclamé une enquête sur le système Echelon et ses retombées en Europe. Dans quelques semaines, nous devrions décider à qui confier cette enquête.

Source: Il Mondo (08/04/1998)


Echelon et les secrets des grandes oreilles

Les pratiques de la National Security Agency, l’agence américaine chargée d’intercepter les communications - avec notamment son programme Echelon -, posent des questions inquiétantes, restées jusqu’à présent sans réponse.

Des congressistes américains, le Parlement européen et des groupes de défense des libertés civiques commencent à poser des questions embarrassantes sur l’interception par la National Security Agency (NSA) des appels téléphoniques, des fax et des courriers électroniques à l’étranger. Depuis un rapport soumis l’année dernière aux représentants des quinze pays siégeant au Parlement européen, l’inquiétude de l’opinion publique n’a cessé de croître au sujet d’Echelon, le nom de code désignant le réseau mondial de surveillance mis en place par la NSA et ses partenaires au Royaume-Uni, en Australie, au Canada et en Nouvelle-Zélande. [...]
 

Les inquiétudes d’un autre élu républicain, Robert L. Barr, eurent leur écho en Europe avec la publication d’un second rapport encore plus détaillé sur la surveillance électronique, adressé cette fois à l’Union européenne. L’auteur, le journaliste et physicien britannique Duncan Campbell, y écrivait que non seulement les Etats-Unis, mais des dizaines de pays ont désormais la capacité d’intercepter “tout type moderne de communication à haut débit”, y compris les messages papier, les appels de téléphones mobiles et le courrier électronique sur Internet. Campbell ajoutait que “les gouvernements de grands pays ont régulièrement recours à l’interception des communications afin d’assurer des avantages commerciaux à certaines entreprises”. Mais il notait également dans son rapport que la NSA et d’autres agences d’espionnage s’efforçaient de trouver la parade à l’utilisation croissante du cryptage, des fibres optiques et d’autres nouvelles technologies.
 

“Cette histoire d’Echelon satisfait un besoin largement répandu de croire que le gouvernement échappe à tout contrôle”, souligne Steven Aftergood, directeur d’un projet de recherche sur le secret gouvernemental mené par la Federation of American Scientists, un organisme indépendant. “Mais derrière cela est posé un problème politique important, à savoir que lorsqu’un nombre significatif de citoyens américains s’inquiètent d’une question politique concernant les activités de renseignement, ils sont en droit de recevoir une réponse. Or, jusqu’ici, ils n’en ont pas eu.”

Source: The Washington Post (09/12/1999)