Surveillance électronique planétaire

 

Surveillance électronique planétaire

Dispersées à la surface du globe, les bases militaires du réseau anglo-américain Echelon focalisent de nouvelles possibilités de surveillance planétaire. L'utilisation de satellites pour retransmettre les communications permet aux services secrets des principales puissances de capter, à la volée, les conversations téléphoniques, les fax, les courriers électroniques. Echelon intercepte plus de deux millions de conversations à la minute. « En 1994, explique Duncan Campbell, la NSA (l'agence de sécurité nationale des Etats-Unis) a intercepté des appels téléphoniques entre Thomson CSF et le Brésil au sujet de Sivam, un système de surveillance pour la forêt amazonienne d'une valeur de 1,4 milliard de dollars. La compagnie française fut accusée par les Américains d'avoir versé des pots-de-vin à des membres du comité de sélection brésilien. A la suite de l'intervention américaine, le contrat fut finalement signé avec Raytheon, une société américaine. » Duncan Campbell fut le premier journaliste à dénoncer, en 1988, l'existence de ce réseau ; il livre ici les clés d'Echelon - et en indique les limites.

Source: Le Monde Diplomatique (08/2001)

 

USA vs World

Bien loin des jeunes loups bcbg qui délivrent du scoop à la demande, Duncan Campbell est un journaliste écossais aguerri à la quête d'informations. Peu de sensationnel dans ses propos mais une analyse précise et documentée d'Echelon, grand automate de l'espionnage planétaire. Rencontre avec le plus flegmatique des espions freelances.

Une des questions les plus simples porte sur l'existence même d'Echelon. La réponse est qu'Echelon existe pour le simple fait que nous le voyons. N'importe qui peut le voir. Et même si les Américains utilisent beaucoup de surnoms pour le nommer, nous savons qu'il existe un système de surveillance planétaire, quelle que soit sa dénomination. En décembre 1995, des documents de la CIA ont même donné des détails précis sur Echelon, même s'ils ont supprimé son nom de tous les documents mis à disposition du public. Dans ces pages, tous les sites d'Echelon étaient même précisés et les tâches de chaque sites détaillées : Porto Rico, West Virginia, etc., tous ont des antennes satellites blanches énormes facilement repérables.
Tout au long des années 90, les informations ont circulé et les sites se sont graduellement révélés au grand public. Les missions même de chaque station Echelon sont clairement définies et accessibles à n'importe quel quidam dans les bibliothèques. Il y a ainsi beaucoup plus de preuves réelles de l'existence d'Echelon que pour nombres de projets des services secrets américains dont l'existence n'est jamais remise en cause. Il n'y a rien à rajouter à ces documents : ils parlent d'eux-mêmes.
Des amis se sont même introduits avec une simple échelle dans une station Echelon et ont pris des photos. Le paysage de l'intérieur est très ordinaire : des milliers d'ordinateurs et aucun être humain, car tout marche automatiquement. Ils ont réussi à pénétrer sur le site en franchissant tout simplement la barrière électrisée sans être touché. Je sais parfaitement comment ils ont procédé mais je n'ai pas le droit de dévoiler tous les détails, qui doivent rester secrets. Sur les bureaux d'Echelon, des dizaines de manuels sur Internet et quelques cendriers vides...

Echelon, qualité filtre

Echelon est avant tout un énorme filtre planétaire. Le système filtre près de deux millions d'e-mails par heure pour n'en retenir que quatre environs. Le principe ? Un croisement de mots-clés qui permettent aux automates de traitement de dégager les e-mails intéressants à étudier en détail. Et même si Echelon filtre les données avec près de 10 000 mots-clés, il ne faut pas se leurrer : beaucoup de messages passent à travers les mailles du filet. Mais le système est tout de même relativement intelligent : si trop de mots-clés polluent le message, Echelon ne les traite pas, ce qui exclue toute saturation du système par un spamming (note : envoi massif de messages) d'e-mails bardés de mots-clés.
Les cibles sont ainsi autant personnelles que généralistes. Tout le monde passe par Echelon, bien sûr, mais combien de messages sont réellement lus ? C'est en cela surtout qu'il faut modérer la paranoïa, même s'il faut rester vigilant. Echelon ne peut, de par le flot considérable de messages transitant dans le monde entier, voir et entendre tout le monde. Mais s'il y a des directives précises à propos d'un individu, effectivement, tout est alors possible. (...)

Genèse des travaux

(...) J'ai commencé toutes ces recherches en 1988 aux Etats-Unis. Les services secrets en parlaient alors sous le numéro de code P415 mais rien n'a réellement filtré avant presque dix ans. C'était un travail effectué pour l'hebdomadaire britannique The New Statesman. J'ai poursuivi ce travail grâce aux fonds de la Communauté Européenne et la publication de mes premiers rapports a fait beaucoup de bruit dans le petit monde de l'intelligence économique. J'ai eu énormément de demandes suite à ces travaux, ce qui m'a permis de continuer dans de bonnes conditions. A chaque fois que j'allais donner une conférence dans un pays, je demandais toujours à aller visiter la station Echelon locale. Et presque toujours, il y en avait une dans les environs... J'ai sûrement été dans plus de stations Echelon qu'un espion américain moyen !
En 1997, le Parlement européen a publié un premier rapport sur Echelon effectué par Dr. Steve Wright (note : "An apraisal of technologies of political control"), où il consacrait dans cette large analyse une petite partie à Echelon. Et les gens se sont uniquement focalisé sur les passages évoquant le système d'écoute. Après que l'information ait circulé dans la presse européenne, le Parlement a voulu de nouvelles études sur le sujet. Seule une petite part m'a été commandée, mais sur les quatre rapports, c'est le mien qui a été remarqué, même si il ne devait être qu'un rapport complémentaire aux trois autres. C'était le plus conséquent et le mieux documenté.

Méthodes de travail

Je travaille dans des conditions quasiment académiques. Comme un étudiant qui fait ses recherches en fait. Principalement seul, même si j'ai de nombreux contacts dans chaque pays. Par exemple, je n'ai accès qu'aux archives américaines disponibles au commun des mortels. Mais il y en a plus qu'on ne peut le penser au premier abord... Mes sources sont à la fois des faits révélés dans des livres, les journaux, etc., mais aussi des sources privées et académiques qui me sont transmises par des contacts. Ces personnes vont prendre des photographies, capter des signaux audio.

La guerre de l'information

Echelon n'est en aucun cas une conséquence de la guerre froide, malgré tous ce qu'on peut lire sur la question dans la presse. Depuis leur existence, les services secrets de tous les pays se sont espionnés mutuellement. C'est leur raison d'être. Pendant la Première Guerre mondiale, les anglais possédaient un système de déchiffrage automatique des télégrammes. Il a été institutionnalisé en 1920 et même présenté au Sénat américain par la suite ! Les Américains avaient d'ailleurs aussi utilisé le même procédé quelques années plus tard.
Chaque pays utilise les mêmes méthodes, même si la puissance financière de l'état commanditaire est effectivement très influente sur l'efficacité des choses. Quand l'Etat français met en accusation les Américains pour l'avoir espionné, il faut savoir qu'ils font la même chose... Tout ceci est assez hypocrite. Ces agences de surveillance se sont totalement installées dans la bonne marche des états depuis la Deuxième Guerre mondiale. Elles ont d'ailleurs largement contribué à la défaite de l'Allemagne nazi et à la libération de la France. (...)

(...) A la fin des années 40, ces agences ont eu plus de lest et plus de fonds pour fonctionner. Mais ce n'était pas une nouveauté. La British Intelligence a par exemple systématiquement copié les codes secrets du Général de Gaulle pendant des années. Même pendant la guerre 39-45, les services secrets anglais et américains espionnaient mutuellement toutes leurs communications. Il n'y a pas de surprises : pendant la Révolution française, les insurgés attaquaient les messagers royaux pour se tenir au courant des communications du pouvoir. Le procédé est et restera toujours le même : arriver au même niveau d'information que l'ennemi. Pendant la guerre froide, cet espionnage a en effet été largement dirigé vers les pays du Bloc de l'Est. Mais le projet Echelon n'a commencé que dans les années 70 et n'a jamais été qu'un outil d'espionnage envers les pays du Bloc de l'Ouest. Les agences d'écoute se sont retrouvées avec des satellites et avec la tâche d'écouter tout le monde. Bien sûr, ils se sont vite rendu compte de l'impossibilité de ce qu'on leur demandait et ont dû rapidement faire des choix. Les premières stations ont été construites près de Washington et dans les Cornouailles (1970), à l'ouest de l'Angleterre (1972). Rapidement tout s'est organisé autour de trois pôles : Pacifique, Atlantique et Océan Indien, chacun relié à un satellite gravitant autour de ces points. Dans ces premières années, les Russes n'avaient pas cette organisation et ne présentaient ainsi aucun danger. Maintenant, les programmes d'Echelon demandent aux Chinois ou aux Russes de lancer leurs satellites !

Vers un projet européen

Tout le monde espionne tout le monde. Et le plus riche sera le mieux informé. Ces projets demandent énormément d'argent pour être menés à bien. Le projet européen est en marche et fait beaucoup de bruits aux USA, qui y sont farouchement opposés. La Grande-Bretagne doit d'abord s'affranchir de ses alliances avec les Etats-Unis, mais l'arrivée de Georges W. Bush devrait accélérer les choses. Nous n'en sommes donc qu'au début. En dehors des pays anglophones, il émerge un axe France-Allemagne au niveau de l'intelligence économique et l'espionnage. Les Américains essayent actuellement de partager Echelon avec le plus de pays européens possibles tout en tenant à l'écart l'Allemagne et la France. Le Danemark, la Suisse, la Finlande sont par exemple déjà du côté américain.

Pretty Good Privacy

Par le nom même de PGP, on comprend que ce logiciel de cryptage n'est pas le système de défense absolue contre la surveillance électronique. PGP, c'est Pretty Good Privacy (note : une défense plutôt bonne). Le nom est très bon. Il n'évoque pas la sécurité absolue. La différence entre envoyer un e-mail normal et un e-mail codé par PGP est la même qu'envoyer une carte postale ou une carte dans une enveloppe. L'e-mail basique peut être lu par n'importe quelle personne qui l'intercepte. Pour l'enveloppe, il faut l'ouvrir et donc savoir auparavant qu'il y a quelque chose d'important dans l'enveloppe. Echelon ne peut pas ouvrir systématiquement tous les e-mails codés. A la limite, le problème de la clé d'encryptage (note: de 64 à 128 bits pour un encryptage professionnel) n'est que partiel. Si Echelon décide de décrypter un message, il peut le faire. Mais il faut qu'il prévoie de prendre beaucoup de temps (1 à 2 semaines environ) pour chaque message. Dès lors, comment filtrer a priori les messages dont le décodage est fastidieux ? Voici la force de PGP : cacher aux yeux de tous si le contenu est intéressant ou non. Rien de plus.
Il ne faut pas non plus oublier que si les gens veulent vraiment intercepter les messages, ils peuvent se rendre directement à la source. Par exemple, j'ai un ordinateur portable avec énormément de données, cryptées ou non. Avec Tempest, par exemple, on peut voir mon écran à près de 100 mètres, grâce au rayonnement électromagnétique de l'écran et des câbles. S'ils veulent débarquer dans cette pièce pour me voler tout mon matériel, rien ne les en empêche. Et s'ils veulent voler les e-mails que j'envoie à mon ami Nicky Hager en Nouvelle-Zélande, pas de problème : il laisse la porte de sa maison ouverte toute la journée !
La défense de la vie privée par des moyens d'encryptage électronique n'est donc que partiellement efficace car s'ils le désirent, les services d'espionnage peuvent aller chercher à la source de l'information. Et une clé, même à 128 bits, est toujours décryptable.

Source: Chronicart (02/2001)

 

Duncan Campbell - Surveillance électronique planétaire

Autant éviter toute confusion dès le départ : ceci n'est pas un essai. Encore moins un roman. Non, Surveillance électronique planétaire est un rapport commandé par la Communauté européenne sur le système de surveillance électronique Echelon. Si l'idée peut paraître assez austère de prime abord, la lecture de ce petit livret de 140 pages s'avère passionnante. Quand ses confrères journalistes aiment à en rajouter dans le sensationnel cheap, Duncan Campbell, vieux renard écossais du journalisme d'investigation, livre l'essentiel, rien que l'essentiel. Les preuves et les explications dans le texte. Bref, un document inégalable sur les grandes oreilles cyber de la NSA, agence "occulte" des services d'espionnage américains.

Découpée en de courts paragraphes, la réflexion de l'auteur décarcasse avec précision l'historique et les raisons d'être du système. Echelon, c'est le réseau de surveillance des réseaux, le grand scan interplanétaire, le rêve panoptique et démiurge des agences d'intelligence américaine. Non pas une police du Net, mais un grand filtre où transitent quasiment tous nos échanges (e-mails, chats, fichiers) électroniques.

Sa tâche est celle d'une fourmi infatigable. Duncan Campbell, lui, débusque ce voyeur invisible et décrit tous ses travers. Echelon, grande machinerie d'état, est un amoncellement d'ordinateurs super puissants, d'antennes satellites scrutant l'espace et d'espions humains très faillibles. Pourtant, Echelon n'est pas un enfant du baby-boom paranoïde de la guerre froide, mais un instrument du bloc USA/Royaumes-Unis destiné prioritairement à surveiller les autres pays du bloc de l'Ouest. Une formidable façon pour les Etats-Unis de suivre les évolutions des bénéficiaires du Plan Marshall et d'acquérir en temps réel toute information plus ou moins confidentielle qui transiterait sur les ondes : fax, e-mail, téléphone, tout y passe.

Les Français, dindons de la farce, tentent de rattraper le retard accumulé lors des années Balladur. A l'initiative du Parlement européen, ce rapport dense mais très clair, car retravaillé entièrement pour un public de non-techniciens, démystifie la paranoïa très Roswellienne du mythe Echelon ("on nous ment, on nous dit rien") pour la remplacer par un factuel très parlant : les services secrets américains ont pu pendant des années connaître ce qu'ils souhaitaient des secrets d'Etats locaux. Exit donc toute confidentialité économique ou politique ; pas besoin de ligne rouge vers le bureau ovale. Echelon, lui écoutait tout. Avec la plainte internationale déposée par l'ancien juge d'instruction Thierry Jean-Pierre (aujourd'hui député européen), ce rapport très documenté devrait jeter un pavé dans la mare trop tranquille des relations Europe/Etats-Unis.

Source: Chronicart (02/2001)

 

Trois questions à Ducan Campbell

Journaliste écossais, il révèle le fonctionnement d'Echelon, système américain d'espionnage planétaire.

Big Brother s'appelle Echelon. Sous couvert de lutte contre le terrorisme et la criminalité, plus de 200 installations contrôlées par les Américains interceptent toutes les communications électroniques internationales , téléphone, fax, e-mails publics ou privés, depuis l'espace jusqu'aufond des océans. Sollicité par le Parlement européen, Duncan Campbell, expert en matières d'espionnage, à remis un rapport explosif sur ces méthodes souvent attentatoires aux libertés individuelles.

Echelon est-il capable de tout intercepter?

Depuis 1920 et les débuts du téléphone, les Américains veulent surveiller tout ce qui se dit. Aujourd'hui, la tâche est de plus en plus complexe et le tri, considérable: sur les deux millions de communications interceptées chaque heure par le réseau Echelon, seules quatre sont réellement analysées. Une activité qui mobilise 90 000 personnes et 20 milliards de dollars par an.

On a parlé de reconnaissance de mots-clés comme "cocaïne" ou "terrorisme" qui déclencheraient automatiquement l'écoute...

C'est de la science fiction pour les conversations téléphoniques, car les logiciels de reconnaissance vocale présentent des taux d'erreurs de l'ordre de 40%. Mais, si l'on possède des enregistrements de la voix de certains individus, il est possible d'indexer des machines capables de les repérer. On dit que Pablo Escobar s'est fait avoir par ce type de moyen. en revanche, pour les fax et les e-mails, le repérage des mots--clés est facile. Edouard Balladur a perdu un marché de 6 milliards de dollars d'armement et d'Airbus en 1994 avec l'Arabie Saoudite: les Américains avaient lu les télécopies qui mentionnaient ses conditions et Boeing a pu surenchérir... Car cet espionnage, qui s'est longtemps focalisé sur la gurre froide, s'est recyclé, avec l'administration Clinton, dans la collecte d'informations économiques et commerciales.

Dans votre rapport, vous rappelez l'illégalité de la plupart de ces écoutes.

Les lis internationales sur la confidentialité des communications n'ont jamais été respectées par ce type d'agence. Officiellement, depuis la sortie de mon rapport, la DST mène une enquête. En fait, le contre-espionnage français agite un peu de fumèe, mais ne creuse rien. Car ce que je dis là, les gouvernements le savent déjà, et beaucoup - dont la France avec ses centres d'écoute à Domme (Dordogne) mais aussi en Nouvelle-Calédonie et en Guyane - , font la même chose. Pour que ces pratiquent changent, il faut que les citoyens rappellent avec insistance quelques règles élémentaires. Il peut être légitime d'écouter tel ou tel pour lutter contre le terrorisme, l'argent sale, etc., mais il faut que ces pratiques soient encadrées. D'ici vingt ans peut-être...

Source: Télérama (07/02/2001)

 

 

"Surveillance électronique planétaire": on vous écoute, où que vous soyez...

Produit par Duncan Campbell, journaliste et écrivain réputé, "Surveillance électronique planétaire" décrit les motifs et le fonctionnement du gigantesque réseau d'interception électronique connu à tort sous le nom d'Echelon. Un petit livre qui nous plonge rapidement et sans artifices au coeur de cette bête aux oreilles attentives.

Dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale, la National Security Agency (NSA) américaine a amorcé la mise sur pied d'un gigantesque réseau planétaire d'interception de signaux. Elle a rapidement été rejointe par ses semblables de quatre pays dont le Canada. C'est devant la menace grandissante que représentait ce réseau (qui englobe Echelon) à leur intégrité économique que les pays membres du Parlement européen ont commandé à Duncan Campbell un rapport sur les capacités d'interception de l'alliance présumée UKUSA (dont font partie les États-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande).

Remis en 1999 sous le titre Interception Capabilities 2000, ce rapport a déclenché l'ouverture d'une enquête internationale. "Surveillance électronique planétaire" est une traduction de ce rapport.

Digne des meilleurs scénarios hollywoodiens, Surveillance électronique planétaire relève presque de la tragédie par ses découvertes lourdes de conséquences. Des années 50 à aujourd'hui, rares sont les communications, où que ce soit dans le monde, à l'abri des oreilles ou des yeux de la NSA et ses comparses. Des ondes radio d'après-guerre aux câbles électromagnétiques encore grandement utilisés aujourd'hui, en passant par les ondes ultracourtes et les satellites, l'alliance UKUSA a constamment renouvelé ses techniques d'interception.

Bénéficiant de territoires amis bien répartis sur la planète (les cinq pays membres, dont les nombreuses bases militaires américaines dispersées un peu partout), l'alliance a des oreilles partout, peut-on lire. Quand ces territoires ne sont pas suffisants, l'alliance ne se gêne pas pour mettre sous écoute des câbles sous-marins à l'aide de sous-marins spécialisés.

"Surveillance électronique planétaire" est étonnamment riche en détails. Grâce à la loi d'accès à l'information prévalant dans plusieurs pays membres, dont les États-Unis, et à l'indiscrétion de certains anciens employés, Duncan Campbell révèle entre autres les noms de sous-marins impliqués dans l'écoute de câbles sub-aquatiques, d'entreprises américaines ayant bénéficié de l'aide de la NSA pour l'obtention de contrats et la nature de ces contrats, la localisation de nombreuses bases Echelon et leur affectation, etc.

Il détaille également certaines failles de sécurité introduites volontairement par la NSA et ses associés dans des logiciels tels que Netscape Navigator, Internet Explorer, Lotus Notes et les produits de la firme suisse de cryptographie Crypto AG.

Le document présente également une note «encourageante» en décrivant les difficultés de plus en plus nombreuses auxquelles doivent faire face les agences d'interception membres de l'alliance. La progression de la cryptographie dans le domaine public, et l'échec de l'effort de l'alliance pour créer un «dépôt de clés», causent énormément de problèmes. La libéralisation en janvier 2000 des règles d'exportation des produits de cryptographie par les États-Unis peut d'ailleurs être vue comme le lancer de la serviette par le gouvernement américain dans ce domaine, selon Duncan Campbell.

La multiplication des transmissions par fibre optique rend également la tâche complexe pour ces agences, qui ne peuvent intercepter les signaux y voyageant qu'au moment où elles franchissent un amplificateur (obligatoires pour les longues distances). Si le branchement sur des fibres sous-marines ne cause pas problème, celui sur des fibres terrestres en pays étranger est beaucoup plus difficile et peu discret.

"Surveillance électronique planétaire" se veut un essentiel pour quiconque désire en savoir davantage sur les activités plus ou moins légales auxquelles sont en mesure de se livrer les membres de l'alliance UKUSA. On y apprend entre autres que le Centre de recherche informatique de Montréal (CRIM) et l'Université du Québec à Chicoutimi (UQAC) ont déjà été mandatés par la NSA canadienne, le Centre de la sécurité des télécommunications (CST), pour diverses recherches sur la reconnaissance vocale, ainsi que sur les motifs qui pourraient justifier l'investissement récent dans le réseau de satellites Iridium par le département américain de la Défense. Très instructif...

Source: Multimedium (05/02/2001)

 

Duncan Campbell, chasseur d´espions

Sorti le 19 janvier, Surveillance électronique planétaire est la version française et réactualisée du rapport qui révéla au grand public l´existence du programme d´écoutes Echelon. Portrait de son auteur, Duncan Campbell, qui fouine depuis 20 ans dans les arcanes des services de renseignements.

Avec son sac à dos et ses chemises à carreaux, Duncan Campbell a tout de l´universitaire écolo et bonhomme. Mais ne vous fiez pas aux apparences : l´Écossais, qui court le monde et les conférences, est l´un des journalistes d´investigation les plus incisifs du Far West high-tech. Planqué derrière des lunettes à cul de bouteille, il explique d´une voix posée que ses révélations sur Échelon, le réseau anglo-saxon d´interception des communications mondiales, reposent sur plus de 20 ans d´enquêtes. Et que son travail, qui a débouché sur une commission d´enquête du Parlement européen, n´a rien d´un délire paranoïaque, comme certains de ses détracteurs aimeraient le faire croire.

Le business de la N$A

Sa carrière de fouineur démarre dans les années 70. Campbell suit alors des études de physique à Oxford. Mais à l´atmosphère feutrée des labos universitaires, il préfère rapide -ment le terrain et tâte du journalisme. Au point d´être arrêté, en 1976, par le contre-espionnage britannique. Duncan a 24 ans et il vient de publier, dans le journal de gauche Time Out, une enquête sur une installation gouvernementale de surveillance électronique. Opiniâtre, l´étudiant a découvert un code utilisé pour désigner les bases secrètes de l´armée. L´affaire lui vaut 18 mois de poursuites judiciaires : les autorités britanniques, qui redoutent l´arrivée du « journalisme d´investigation à l´américaine », veulent faire un exemple. Mais cette punition a un effet inverse sur Campbell : il se lance sur les traces de ce que l´on connaît aujourd´hui sous le nom d´Echelon. Il finit par démontrer, en 1988, l´existence de ce programme d´écoutes des communications, dans lequel coopèrent les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l´Australie et la Nouvelle-Zélande, grâce, entre autres, aux confessions d´une ingénieure qui a travaillé pour des sociétés privées sous contrat avec la National Security Agency américaine (NSA).

En 1999, il a déjà signé nombre de papiers sur la question. Mais c´est le rapport que lui a commandé le Parlement européen qui révèlera à l´opinion publique internationale l´ampleur de ce Big Brother. À lui seul, l´espionnage industriel effectué via Echelon rapporterait, chaque année, 25 milliards de dollars (175 milliards de francs) de contrats aux firmes américaines. Au détriment, essentiellement, de leurs concurrents européens ou japonais... Pour autant, ses conclusions ne provoquent pas d´incident diplomatique : les principales puissances industrialisées collaborent toutes, de près ou de loin, au système. Quand elles n´ont pas développé le leur...

Plus de vie privée

Duncan Campbell ne limite pas ses enquêtes aux « grandes oreilles » de la NSA. À son actif, on compte aussi quelques brûlots dénonçant les pratiques frauduleuses de médecins et d´industriels envers les patients atteints du cancer et du sida, ou encore l´implication d´un ancien ministre britannique dans un trafic de cigarettes. Certains des reportages de Campbell, également producteur de télévision, ont été tout bonnement censurés et il soupçonne les services secrets de l´avoir mis sur écoutes pendant au moins dix ans : « J´ai dû faire le deuil de ma vie privée », confesse-t-il. Malgré tout, ce journaliste continue d´envoyer ses articles aux rédactions par e-mail non crypté, une semaine avant leur parution. Histoire de prévenir ceux dont la charge est de le surveiller.

Source: Transfert (01/02/2001)

 

Echelon mis à nu

Auteur de Surveillance électronique planétaire qui vient de sortir en librairie, le journaliste Duncan Campbell a révélé au grand public l'existence du programme anglo-saxon d'écoutes et d'interception des télécommunications.

Surveillance électronique planétaire vient de sortir en librairie. Il s'agit de la traduction française (et mise à jour) du rapport que le Parlement européen avait commandé en 1998 à Duncan Campbell. Une excellente présentation du programme anglo-saxon d'écoute et d'interception des télécommunications, connu sous le terme générique d'Echelon.

Les Américains commencent timidement à reconnaître l'existence d'Echelon...

Rappelons d'abord qu'Echelon n'est qu'un sous-système du programme global de surveillance que maintiennent les Américains et les Anglais. Je pense, par ailleurs, qu'il est préférable de parler du système de surveillance UKUSA [du nom du pacte secret signé par les deux pays en 1947]. James Woolsey, qui dirigea la CIA de 1993 à 1995, déclara en mars 2000 au Wall Street Journal : "Eh oui, chers amis continentaux, nous vous avons espionnés parce que vous pratiquez la corruption." Je ne sais si je dois en rire ou en pleurer, mais il louait également "l'honnêteté intellectuelle" de mon travail, parce que je précisais, dans mon rapport pour le Parlement européen, que les Américains justifiaient les cas d'espionnage industriels que j'avançais par des accusations de corruption visant à remporter les contrats. Ce que mentionnent rarement les journalistes quand ils parlent d'Echelon. Cela dit, dans les quatre ou cinq exemples avérés d'espionnage industriel que je rapporte dans le rapport, dont les affaires, bien connues d'Airbus et Thomson CSF, il y en a aussi un qui n'a rien à voir avec la corruption. Par exemple, le Tornado, cet avion de chasse fabriqué par un consortium européen et vendu dans le monde entier, sans même parler de la surveillance effectuée par les Américains à l'occasion des négociations multilatérales...

A-t-on une idée de l'ampleur de l'espionnage industriel pratiqué ?

J'estime que les États-Unis font remporter aux firmes américaines quelque chose comme 25 milliards de dollars de contrat chaque année, aux dépens de leurs concurrents, essentiellement européens et japonais. Les principaux marchés visés sont ceux des télécommunications, de l'aérospatial, l'industrie lourde, l'environnement... La politique du gouvernement américain est de ne pas donner d'informations confidentielles aux sociétés privées, mais de les "assister". Il ne contacte pas les responsables pour leur expliquer qu'un rapport de la CIA, couplée aux informations interceptées par la National Security Agency [NSA, l'agence qui chapeaute le programme Echelon – NDLR], attestent que leur concurrent allemand ou japonais propose 4,95 dollars l'unité d'électricité, et que s'ils proposaient 4,90 dollars, ils remporteraient le contrat ! Il ne permet même pas à la société de savoir qu'elle a bénéficié des bons conseils de la NSA. Il chuchote simplement à l'oreille des entreprises quelques menus conseils, comme de descendre le prix à 4,90 dollars, sans autre explication. Subtile nuance.

Est-ce légal ?

Jusqu'en 1993, il n'existait pas de politique définie en la matière. À cette époque est intervenu au Congrès un débat public autour de deux questions : "Devons-nous utiliser ce que nous collectons en matière d'intelligence économique pour aider les sociétés privées ?", et "Qu'est-ce qu'une société américaine ?" Ford fabrique ainsi une partie de ses voitures en Corée, et certaines firmes japonaises ont des usines aux USA. La réponse est aujourd'hui disponible sur le site du Département du Commerce américain : son Advocacy Center (centre de soutien) propose un questionnaire où l'on peut déclarer travailler pour une société américaine en butte à un compétiteur allemand qui, lui, bénéficie de l'aide de son propre gouvernement... Et voilà, le tour est joué. C'est une politique très claire mise en place par Clinton pour venir en aide aux industriels américains, et cela a d'ailleurs contribué à son élection.

Comment ça marche ?

Supposons qu'il s'agisse d'un contrat au Brésil. Vous remplissez les dictionnaires [logiciels qui filtrent les communications par mots-clés] des stations d'écoute de la NSA qui couvrent l'Amérique du Sud et l'Europe avec le nom des sociétés en compétition, de leurs dirigeants, des officiels brésiliens chargés de veiller à la bonne tenue du contrat, leurs numéro de téléphone et de fax respectifs et tous autres mots-clés relatifs au marché en cours (nom du projet, des matières premières ou produits manufacturés en jeu, etc.). Quand Thomson CSF communique avec son correspondant au Brésil, vous interceptez la communication, ce qui ne devrait pas être trop compliqué, à moins qu'ils ne l'aient cryptée. En l'espèce, Thomson CSF tentait de corrompre un officiel brésilien, ce qui a permis au gouvernement américain d'intervenir et de remporter le contrat.

Existe-t-il des systèmes de surveillance privés ?

Bien sûr. Certaines multinationales embauchent d'anciens agents de la NSA pour ça. Le moyen le plus simple est d'intercepter les communications satellites. Si elles ne sont pas cryptées, ça peut être très précieux. Mais le problème est moins de savoir ce qu'il est possible d'apprendre que ce que l'on peut en faire. Une multinationale peut voler des secrets industriels et battre au poteau l'un de ses concurrents, mais c'est toujours inférieur à ce qu'un pays comme les États-Unis peut faire. En l'état actuel, je dirai qu'ils peuvent surveiller de 80 à 90% des communications internationales non cryptées. Ceci exclut donc celles qui restent à l'intérieur même de frontières nationales.

Vous venez d'être auditionné par la commission d'enquête du Parlement européen. Votre sentiment ?

Le mandat de la Commission n'est pas restrictif et laisse toute marge de manœuvres aux membres qui la composent. Elle pourrait même recommander de changer la loi de telle sorte que l'espionnage industriel, au sein même de l'espace européen, soit considéré comme contraire à la loi. Si la commission s'était contentée d'étudier les possibles violations du droit européen, liées à l’existence d’Echelon, elle n'aurait pas pu aller bien loin puisque le cadre légal qui cimente l'Europe est resté très vague en matière d'espionnage industriel. Les parlementaires verts et ceux qui les soutiennent voulaient se doter de pouvoirs d'investigation leur permettant d'obliger les officiels à témoigner. La commission ne dispose finalement pas de ces pouvoirs-là. De toute façon, le gouvernement britannique, souvent mis en cause, aurait trouvé moult prétextes et recours légaux pour éviter à ses officiels d'avoir à venir à Bruxelles répondre à leurs questions. Alors qu'est-ce que ça change ? La forme actuelle de la commission est aussi bonne, sinon meilleure, que ce que les Verts demandaient

Et qu'en attendez-vous ?

Echelon est devenu une problématique mondiale grâce au Parlement européen. Je pense que la commission d'enquête prendra des mesures importantes et révélera encore plus de failles, défauts et accords secrets. On peut espérer qu'elle change alors les lois nationales et internationales : les gens doivent comprendre que cette situation n'est pas normale et qu'il faut y remédier. Mais c'est aussi un processus qui prend du temps. Combien d'années a-t-il fallu attendre avant que des magistrats anglais et espagnols décident qu'il n'était pas normal que des dictateurs, ayant tué ou fait tuer, puissent voyager en toute impunité à l'étranger, comme ce fut le cas pour Pinochet ? Ce dernier a beau avoir été autorisé à rentrer dans son propre pays, les choses ne sont désormais plus comme avant. Ce genre de perspective est nouvelle et il s'agit bel et bien d'une campagne internationale en faveur des droits de l'homme. La mondialisation entraîne un certain nombre de dérives, comme Mc Donald's ou encore l'espionnage américain, mais aussi de bonnes choses. Ainsi, cette culture de la démocratie, des droits de l'homme qui, depuis 20 ans, traverse l'Amérique Latine ou encore l'Asie, où il était impensable, il y a quelques années encore, d'imaginer que des dictateurs puissent être inquiétés. Nous avons mis du temps à nous apercevoir de cette violation de la vie privée au niveau des communications internationales, mais l'Europe se trouve à la pointe de la protection de la vie privée. Le processus dans lequel est aujourd'hui engagé le Parlement européen se répand dans le monde entier.

Et quid de Frenchelon, le système français de surveillance électroniquele système français de surveillance électroniquele système français de surveillance électronique ?

Je n'ai pas inventé le terme Frenchelon. Je pense que ce sont les services de renseignements anglais qui l'ont créé en vue de faire de la propagande anti-française. Le mot Echelon étant devenu si populaire, et les Français n'arrêtant pas de s'en servir pour leur taper dessus, ils ont dû ressentir une forme d'injustice dans la mesure où les Français font pareil, même si leurs capacités en la matière sont limitées. Depuis leur reconstitution après la Deuxième Guerre Mondiale, les services de renseignement français ont toujours été très forts en matière de d'intelligence des signaux. Avant même l'invasion de la France, ils écoutaient déjà les nazis. Le principal organisme en la matière fut le GCR (Groupement de contrôle radioélectrique) qui mit en place des stations d'écoute en France et dans ses colonies. Aujourd'hui, c'est la DGSE (Direction générale de la sécurité extérieure) qui s'en charge et entretient un certain nombre de stations réparties dans le monde entier. Selon Jean Guisnel, journaliste au Point et spécialiste du sujet, il y en aurait ainsi en Nouvelle-Calédonie, à Kourou, en Guyane, à Domme, près de Sarlat en Dordogne (en collaboration avec le BND, l'équivalent allemand de la DGSE). Une trentaine de pays au moins ont ainsi développé leur propre programme de surveillance des télécommunications. Une dizaine d'entre eux collaborent d'ailleurs avec le réseau anglo-saxon, au nombre desquels on compte le Japon, la Corée du Sud, la Turquie, la Norvège, le Danemark, l'Allemagne, les Pays-Bas...

N.B.: Entretien réalisé en juillet 2000 à Bruxelles dans le cadre de World Information 2000

Source: Transfert (31/01/2001)

 

«Echelon n'est pas invincible»: rencontre avec Duncan Campbell, spécialiste du système d'écoute mondial

Il est en quelque sorte le «gourou» d'Echelon. L'Ecossais Duncan Campbell, 46 ans, est l'un des spécialistes les plus aguerris de ce système d'écoute international, capable d'intercepter les conversations téléphoniques, fax, e-mails partout sur la planète pour le compte des Etats-Unis et de quelques autres pays. Il planche sur le sujet depuis 1988, date à laquelle il a publié son premier article sur le sujet en Angleterre. Depuis, il a été le principal auteur des rapports au Parlement européen sur la question, en 1998 et en 1999. Aujourd'hui, sort en librairie Surveillance électronique planétaire (éditions Allia, 176 pp., 40 F), la première publication de ses travaux sous forme de livre. Interview de quelqu'un qui se dit «surtout pas paranoïaque». 

Dans votre livre, vous citez un ex-agent secret américain disant que «la technologie est devenue ces dernières années l'ennemie de l'interception des communications». Echelon serait-il mis en échec par le développement du Net ? 

Il n'y a pas de système d'écoute invincible. Ce qu'Echelon faisait facilement en écoutant les satellites de communication avec de grandes antennes est maintenant plus difficile et plus coûteux. La plupart des données passent aujourd'hui par des câbles en fibre optique, souvent posés au fond des mers. Il est donc difficile d'aller écouter ce qui transite sur un territoire national. Mais pour les liaisons internationales, les Etats-Unis utilisent des sous-marins pour collecter l'information depuis les années 70. Ils posent des nacelles sur les fonds marins, branchées sur les câbles. On a appris cela en 1982 quand les Russes ont découvert un tel système dans la mer d'Okhotsk. Ces activités ont continué, et d'autres sous-marins font ce travail aujourd'hui. Et il ne faut pas oublier que, sur l'Internet, les données circulent là où il y a de la capacité. Si vous envoyez un e-mail de Paris à Hambourg et que les liaisons européennes sont encombrées, il peut transiter par la Californie. Et donc la NSA (National Security Agency, service secret américain) peut y avoir accès - ce qui ne veut pas dire qu'elle le fait - grâce à des connexions sur les principaux nœuds du réseau sur le territoire américain. 

Serions-nous écoutés en permanence ? Comment se protéger ? 

Il faut garder à l'esprit que l'information collectée est traitée par des «ordinateurs-dictionnaires» travaillant avec des mots-clefs, et dont la tâche principale est de jeter la plupart des données recueillies. Si vous envoyez des e-mails à votre mère qui habite au Canada, Echelon ne traite pas ces messages, même s'il peut potentiellement le faire. La meilleure protection vient de la cryptographie (le chiffrement et le codage des messages, ndlr). 

Mais les outils pour crypter ses e-mails ne sont pas simples d'emploi... 

Si les choses sont bien faites, c'est invisible. Quand je me promène sur le Web avec un navigateur, mes activités peuvent être espionnées. Mais si je regarde mon compte en banque, par exemple, je passe sans même m'en rendre compte d'une communication ouverte à un canal sécurisé, crypté. Il est vrai que l'utilisation de PGP (logiciel pour crypter ses e-mails, ndlr) est encore complexe : je m'en rends compte lorsque je communique avec certains journalistes. Je dois toujours leur expliquer comment faire. Si j'envoie un e-mail pour dire «allons boire un verre», il devrait être crypté. Non parce qu'il s'agit d'une information confidentielle, mais parce que vous et moi ne devrions pas avoir à nous dire qu'il est compliqué de préserver sa vie privée. 

Régulièrement, des militants organisent le Jam Echelon Day (Journée du brouillage) et incitent à envoyer des e-mails bourrés de mots-clefs comme «Irak», «terrorisme», «drogue» pour saturer Echelon. C'est utile ? 

C'est naïf. D'abord, les initiateurs de cette action ne peuvent connaître la véritable liste de mots-clefs. C'est le produit de leur imagination. Ensuite, Echelon est justement destiné à filtrer le «bruit», sélectionner ce qui fait sens et jeter le reste. Si toute la planète s'expédie des e-mails avec les mêmes 70 mots-clefs, on est certain d'une seule chose : Echelon ne les traitera pas. 

Quelle est la meilleure solution pour «brouiller» Echelon, dans ce cas ? 

C'est l'action politique, bien sûr. 

Source: Libération (22/01/2001)

 

Espion économique des Américains?

Auditionné aujourd'hui ou demain par les membres de la commission d'enquête «Echelon» du Parlement européen (cette commission a été mise en place en juillet 2000), Duncan Campbell devrait leur fournir de quoi alimenter un peu plus leurs inquiétudes quant à l'un des aspects controversés du système d'écoute: son usage éventuel à des fins économiques, pour favoriser les entreprises américaines en concurrence avec des firmes européennes. 

Espionnage

Selon lui, jusqu'à «26 000 milliards de dollars» de contrats remportés par des firmes américaines contre des sociétés européennes, depuis 1993, auraient ainsi bénéficié du support d'Echelon. 

Le chiffre est à tempérer: Campbell n'apporte pas de preuves quant à l'utilisation d'Echelon. Il veut juste frapper les esprits: «Même si c'est vrai pour 1 % de cette somme, cela demeure énorme.» Dans son premier rapport au Parlement, il rappelait que dans 3 contrats internationaux, il semblait acquis qu'Echelon avait fait de l'espionnage économique. Si aucune plainte n'a été déposée par les entreprises victimes (Thomson CSF, Airbus ou Siemens), c'est, selon lui, parce que les Etats-Unis les accusaient d'avoir versé des pots-de-vin. 

Pour sa nouvelle audition devant la commission d'enquête, Campbell va plus loin: il a épluché la liste des succès dont se réclame l'Advocacy Center (AC) du département du Commerce, un organisme destiné à organiser le soutien du gouvernement américain aux entreprises nationales. 

CIA

L'AC offre, depuis 1993, l'entregent de ministres ou d'ambassadeurs aux firmes américaines. Sans recourir à Echelon officiellement, bien sûr. Mais Campbell rappelle les liens entre les services secrets, utilisateurs d'Echelon, et le département du Commerce. Des rapports attestés par des documents dont il a eu connaissance et montrant la présence d'agents de la CIA à des réunions de l'AC. Si Washington ne nie plus l'existence d'Echelon depuis l'année dernière, il n'est toujours officiellement destiné qu'à l'écoute des terroristes et trafiquants. Même si l'ex-directeur de la CIA, James Woolsey, auditionné par des parlementaires français, justifiait aussi son usage à des fins de «renseignements économiques» dans des cas d'«utilisation de méthodes frauduleuses de la part d'entreprises ou de gouvernements étrangers». 

Source: Libération (22/01/2001)

 

Histoire et mode d'emploi

Le réseau d'écoute international Echelon a été créé en 1947 par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, rejoints depuis par le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Destiné à l'origine à l'espionnage de l'URSS pendant la guerre froide, Echelon est piloté par la NSA (National Security Agency) américaine et s'appuie sur des stations réparties sur la planète, qui collectent les communications par téléphone, radio, fax, e-mail, puis les filtrent et les trient au profit des pays cités ci-dessus. 

La reconversion du système à des fins d'espionnage civil et économique daterait des années 1990. Si les Etats-Unis ont longtemps nié son existence, ce n'est plus le cas depuis la déclassification de documents mentionnant Echelon, en janvier 2000. 

La présence de l'Angleterre au sein des pays bénéficiaires du système n'est pas sans crisper ses alliés européens. Modérément: on a appris très récemment que la France elle-même avait bénéficié de l'expérience américaine pour développer ses capacités d'écoute.

Source: Libération (22/01/2001)