La Belgique contre le réseau Echelon

 

Untersuchung gegen ECHELON

Un "Rapport sur l'existence éventuelle d'un réseau d'interception des communications, nommé Echelon", rédigé par des parlementaires belges conclut qu'il existe des voies de recours permettant de soumettre l'existence et les activités du système Echelon, ou de tout système d'interception similaire, à un contrôle judiciaire.

Ses auteurs vont plus loin que le Parlement européen - dont une commission temporaire s'était penché sur la question l'an dernier - en affirmant, arguments juridiques à l'appui, que l'interception des télécommunications privées relayées par satellite au départ et à destination de la Belgique est contraire au droit communautaire. Les rapporteurs recommandent la création d'un service de renseignements européen et veulent faire interdire, entre les Etats de l'UE, tout type d'espionnage ou d'écoutes à des fins économiques. Ce problème est vécu avec d'autant plus d'acuité en Belgique, que, contrairement à la plupart de ses partenaires européens, ce pays ne dispose d'aucun système d'écoute ni ne collabore à un système développé par un ou plusieurs pays alliés. La Belgique est donc dans l'incapacité de protéger ses intérêts scientifiques et économiques. "Il est temps d'ouvrir les yeux sur cette réalité et cesser d'être naïf. Nos propres alliés européens nous espionnent. Y a-t-il une réelle solidarité européenne?" a lancé Armand De Decker, président du Sénat belge, le 26 février à Bruxelles en présentant ce rapport à la presse.

Le rapport rédigé par Anne-marie Lizin, sénatrice, et Chistian Van Parys, membre de la Chambre, fait très largement référence aux travaux de la commission temporaire Echelon, qui avait été mise sur pied le 5 juillet 2000. Héritage de la guerre froide, le système Echelon permet aux cinq pays membres du pacte secret "UKUSA" (qui date vraisemblablement de 1948), à savoir les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Canada, la Nouvelle-Zélande et l'Australie, d'intercepter les communications électroniques, téléphoniques et par fax dans le monde entier, grâce à la dispersion géographique de ses stations. Le rapport parlementaire belge ne met pas en doute non plus le fait que cet espionnage à grande échelle est destiné à recueillir des informations de nature économique.

Le rapport souligne également l'existence dans plusieurs pays européens (essentiellement le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne) de systèmes d'interceptions globaux similaires, même s'ils ne disposent pas tous d'une capacité comparable à celle d'Echelon. Par ailleurs, des entreprises américaines sont en train de développer activement une base d'interception au Danemark.

Dans ses conclusions, le rapport affirme sans ambiguïté que l'existence d'un système d'interception qui capte, à partir de l'étranger, des télécommunications privées relayées par satellite au départ et à destination de la Belgique contrevient au droit communautaire, dans la mesure où le système est utilisé dans un but d'espionnage économique. Cette violation du droit est le fait des pays qui interceptent les communications, mais aussi de ceux qui mettent leur territoire à la disposition de pays tiers pour qu'ils puissent se livrer à l'interception des communications (allusion à peine voilée au Royaume-Uni, associé à Echelon). Les arguments juridiques se fondent sur:

- l'article 3 de la Directive 95/46/CE du 24 octobre 1995 sur la protection des données à caractère personnel. Cet article n'exclut du champ d'application de la directive, que le traitement de données ayant pour objet la sécurité publique, la défense, la sûreté de l'Etat et les activités de l'Etat relatives à des domaines du droit pénal;

- l'article 25 de la Directive 95/46/CE; cet article n'autorise le transfert de données personnelles vers des pays tiers qu'à la condition que ces pays assurent un niveau de protection adéquat aux données personnelles. Cette condition n'est pas remplie, selon le rapport, parce que les Etats-Unis ne prévoient de protection que pour leurs propres citoyens;

- l'article 1.3 de la Directive 97/66/CE du 15 décembre 1997 sur la protection des données personnelles dans le secteur des communications électroniques: ici aussi, ne sont exclues que les activités concernant la sécurité publique, la défense, la sûreté de l'Etat et celles relevant du droit pénal.

Enfin, les auteurs du rapport estiment que l'existence d'un système d'interception de communications privées menace la réalisation des buts du Traité CE: la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et du capital. Enfin, elle viole la souveraineté de la Belgique (qui n'a jamais autorisé ces interceptions, ni été informée officiellement) ainsi que la Convention européenne des droits de l'homme. "Tout ceci permet d'envisager une action en droit communautaire", a souligné Anne-Marie Lizin.

Dans ce contexte, les commissions du Parlement belge veulent provoquer une prise de conscience européenne sur la nécessité de mettre en place un contrôle démocratique de ces pratiques. Elles suggèrent d'organiser une première rencontre des organes parlementaires de contrôle des services de renseignement des pays de l'UE qui en disposent, et d'en faire part aux pays de l'UE qui n'en disposent pas encore. Elles recommandent également au gouvernement belge d'exiger de ses partenaires européens l'élaboration progressive de règles européennes d'échange d'informations entre les services de renseignement et d'abolir le système actuel qui repose sur le principe "donnant donnant".

Source: Qintessenz (12/03/2002)

 

Le système d'écoutes Echelon fâche la Belgique

Le Parlement belge va demander au gouvernement de Guy Verhofstadt d'évoquer, au niveau de l'Union européenne et de l'OTAN, la question des écoutes pratiquées dans le cadre du système américain Echelon, susceptible d'intercepter les communications par fax, téléphone et ordinateur. Pour les députés et les sénateurs, l'attitude de la Grande-Bretagne, qui participe à Echelon et bénéficie dès lors d'informations, notamment économiques, sur ses partenaires au sein de l'Union, est contraire aux règles du droit communautaire. Les parlementaires réclament que soient communiquées à la Belgique les données la concernant et récoltées à partir de la station terrestre britannique qui alimente le réseau américain.

Les commissions de contrôle des services de sécurité de la Chambre et du Sénat belges ont enquêté pendant deux ans sur Echelon, dont l'existence et l'ampleur n'ont jamais été clairement reconnues. Le pacte de coopération " UK-USA", conclu à l'aube de la guerre froide et qui aurait servi de prélude au réseau d'écoutes globales, rassemblait les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada, l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Seuls les deux premiers l'auraient toutefois officiellement ratifié. Les services belges eux-mêmes ont fourni des conclusions divergentes aux parlementaires. Le Service de renseignement militaire juge que l'existence d'Echelon est "un fait acquis", la Sûreté de l'Etat (sécurité intérieure) a estimé qu'elle n'était pas en mesure de confirmer, "faute de moyens en personnel et en matériel".

Intrusion informatique

Le Parlement européen, de son côté, avait confié en 1998 une mission d'investigation au STOA, un service interne de contrôle, et à une commission d'enquête temporaire. Les parlementaires belges affirment être allés beaucoup plus loin que les députés européens, victimes, selon eux, d'une "neutralisation réciproque" organisée par les Etats membres de l'Union, dont l'un est associé à Echelon tandis que d'autres (Allemagne, France et Pays-Bas notamment) organisent leurs propres systèmes d'écoutes.

Après de nombreuses auditions, dont celle du journaliste Donald Campbell, l'un des premiers à avoir évoqué l'existence d'Echelon, les parlementaires belges ont rédigé un rapport qui laisse peu de place au doute et réclame des enquêtes complémentaires sur une intrusion dans le système informatique d'un centre universitaire de recherche ainsi que sur l'affaire Lernout & Hauspie, une entreprise flamande de reconnaissance vocale qui a fait faillite en 2000, après des révélations du Wall Street Journal.

L'attention des députés et sénateurs a été renforcée par le fait que Bruxelles serait, selon l'expression de Herman De Croo, le président de la Chambre, "la ville la plus écoutée au monde". Siège de l'Union, de l'OTAN, de 59 organisations internationales et de 1 300 associations multilatérales, la capitale belge serait l'un des terrains d'action les plus intéressants pour la récolte d'informations politiques, militaires et diplomatiques. Mais aussi économiques, souligne le rapport, qui pointe du doigt la Grande-Bretagne. "Des interceptions pourraient être pratiquées à l'insu de la Belgique par un Etat membre de l'Union européenne, alors qu'elles sont clairement contraires à l'indispensable loyauté européenne stipulée dans plusieurs traités, ainsi qu'aux droits garantis aux citoyens européens et à la liberté des échanges commerciaux, elle aussi garantie", souligne le texte.

Les parlementaires poussent donc leur gouvernement à réclamer l'interdiction de tout espionnage économique entre partenaires de l'Union et à exiger l'accès aux installations britanniques. Ils évoquent encore l'hypothèse de recours juridiques contre Londres. Jusqu'ici, la Commission européenne a voulu rester très discrète sur ces questions mais, selon la sénatrice socialiste Anne-Marie Lizin, "ce rapport fera en sorte qu'elle ne puisse plus éluder le problème".

Un filtrage des communications par satellite

La National Security Agency (NSA) américaine emploie environ 40 000 fonctionnaires et dispose d'un budget annuel de 2,5 milliards d'euros. C'est elle qui gérerait le réseau Echelon dont, cependant, l'existence, l'utilisation et l'étendue n'ont jamais été officiellement reconnues. Le système serait en mesure de capter toutes les communications par satellite et de les filtrer à l'aide d'ordinateurs surpuissants, par l'utilisation de mots-clés préétablis ou de techniques de reconnaissance vocale. Au Royaume-Uni, c'est le Governement Communications Headquarters (GCHQ) qui est chargé de l'interception des télécommunications, sans contrôle parlementaire de cette activité. La collaboration "technique" entre les agences américaines et britanniques a, elle, été admise.

Diverses enquêtes sur Echelon ont indiqué que le système récolte systématiquement les informations à caractère économique et les transmet aux organismes publics américains pour aider les entreprises de ce pays à décrocher des contrats à l'étranger.

Source: Le Monde (28/02/2002)