L'Intelligence économique et stratégique dans les entreprises françaises

 

L'intelligence Economique en France

Avec leur image de barbouze mâtiné de consultant verbeux, les spécialistes de l'intelligence économique n'ont généralement pas une grande estime dans le cœur des patrons et responsables français. Les cabinets dédiés à ce genre d'activité ne sont guère nombreux dans l'hexagone, et éprouvent pour beaucoup de grandes difficultés à se faire reconnaître de manière significative. Preuve en est leur taille souvent très réduite, ainsi que leur diversification quasi systématique vers d'autres métiers proches mais plus porteurs : stratégie, organisation, management, etc.

Cette situation française ne prêterait pas à réflexion si le paysage de l'Intelligence Economique (IE) dans des pays comme le Royaume-Uni ou les Etats-Unis n'était radicalement différent… En effet, aussi bien outre-Atlantique qu'outre-Manche, et encore plus au Japon, les spécialistes de l'IE ont une place à part entière dans l'organisation des entreprises et n'ont pas en permanence à faire la preuve de leur utilité. Leurs services sont reconnus et recherchés ; leur efficacité établie. C'est du moins ce que semble prouver de manière patente la forte assise de grands cabinets spécialisés comme Kroll, Control Risks Goup ou Pinkerton. Une telle différence de pratiques sur un sujet aussi sensible doit absolument porter à réfléchir.

Des raisons au retard français

L'une des premières raisons à cette situation en France est sans doute en partie liée au manque de connaissance de ce qu'est l'IE.

Pour beaucoup, IE est synonyme d'espionnage industriel. C'est pourtant là un raccourci bien erroné… L'intelligence économique se définirait plutôt comme l'aboutissement, l'organisation des diverses disciplines liées à la gestion de l'information dans le but de cerner précisément l'environnement concurrentiel de l'entreprise.

Sans rabâcher les éternels poncifs, on doit néanmoins rappeler l'importance prise par l'information dans la vie des entreprises. L'économie de l'immatériel s'est considérablement développée, et l'émergence d'Internet n'est qu'une preuve parmi tant d'autre de ces mutations profondes. L'échange d'information s'est accru tant en densité qu'en rapidité, les marchés évoluent de plus en plus vite, et l'information se retrouve ainsi au cœur des stratégies d'entreprise. Une simple rumeur peut désormais ruiner un respectable établissement ; l'apparition d'une tendance aux antipodes a des répercussions instantanées sur le marché domestique. De Buffalo Grill à France Télécom, les exemples sont multiples d'entreprises qui n'ont pas su appréhender de manière efficace les signaux faibles qui pouvaient les menacer en prenant de l'importance.

Dans un tel contexte, l'IE cherche à gérer l'ensemble des flux d'informations, liés au renseignement, susceptibles d'intéresser l'entreprise. Elle les identifie, les organise et les traite de manière à connaître un marché et à anticiper autant que faire se peut les tendances qui risquent d'affecter la donne sur ce marché. Ensuite, les spécialistes de l'Intelligence Economique peuvent formuler un certain nombre de choix stratégiques permettant de profiter des nouvelles tendances, ou tout au moins de s'en protéger. Enfin, dans de certains cas, certains cabinets proposent même de mettre en place des solutions pour modifier les tendances à venir.

On peut illustrer ce travail au travers d'un exemple inventé, mais pouvant éventuellement se produire. La société GameKids produisant des jeux vidéos recourt à un cabinet d'IE afin de scanner son marché et d'identifier les risques qui pèsent sur son développement futur. Après une étude approfondie de ce marché et surtout du milieu dans lequel il se développe, les spécialistes de l'information identifient notamment une menace précise qui n'avait pas été prise en compte : les jeux vidéos de cette entreprise sont construits en Inde, dans une usine qui emploie des mineurs. Et, parallèlement, des lobbies luttant pour les droits de l'enfant sont en train de se développer en France. Si ces associations sont encore peu actives, il y a fort à parier que dans un futur proche, des actions en justice pourraient être menées contre GameKids. Les effets de telles actions peuvent être désastreux : boycott, dégradation de l'image de marque, rupture de contrats, amendes, etc. En fonction de leurs conclusions, les consultants peuvent proposer plusieurs solutions. Il peut également être décidé de mener des actions de lobbying pour faire prendre conscience à l'opinion que refuser à ces mineurs de travailler, c'est condamner leur famille à la famine. Une stratégie de communication peut aussi être mise en place pour valoriser le statut particulier de ces mineurs : travail à mi-temps, cours et formations gratuites, etc.

Dans un tel cas, on est bien loin des problématiques étriquées d'espionnage industriel…

Quelle est la situation actuelle du marché français ?

La nature même des activités de l'intelligence économique rend difficile la juste appréhension du marché français. Les cabinets spécialisés sont petits et généralement très discrets sur leurs activités. Inutile de chercher à connaître leurs clients ou l'importance des missions effectuées. On sent néanmoins qu'une lente transformation est en train de s'opérer. Un certain amateurisme des premières années laisse la place à la mise au point de méthodes éprouvées et les acteurs de l'IE se professionnalisent de plus en plus. Il y a encore dix ans, le milieu recrutait beaucoup chez les anciens militaires et policiers qui importaient leurs méthodes choc dans le monde de l'entreprise. Désormais, les consultants semblent de plus en plus issus des entreprises elles-mêmes et ainsi bien mieux au fait des nécessités et des besoins d'une direction générale. Les difficultés que rencontrent les jeunes diplômés issus de formations spécialisées en IE pour trouver des postes sont d'ailleurs tout à fait symptomatiques. Les cabinets faisant de l'IE recrutent désormais presque exclusivement parmi les seniors ayant une formation et une expérience classiques. Cette transformation est une preuve patente que l'IE commence à trouver sa place dans les circuits économiques traditionnels et qu'elle ne se contente plus de jouer aux espions selon des besoins ponctuels.

Les cabinets d'intelligence économique paraissent donc se tailler une réputation de respectabilité croissante au sein des entreprises. Ce qu'il leur manque encore, c'est sans doute l'appui d'une structure crédible et qui soit susceptible de rassurer leurs employeurs. Plusieurs tentatives ont été menées afin d'y parvenir. La plus notable est sans doute l'ébauche d'adossement de Miallot et Associés au Groupe Mazars et Guérard, en 2001. Une telle association aurait sans aucun doute profité tant à l'un qu'à l'autre, en créant des synergies indispensables au secteur du conseil en France. Mais ce projet s'est finalement soldé par un échec et rien n'a encore été tenté de comparable depuis.

L'autre grand manque dont souffre indubitablement ce secteur est le manque de connaissance qu'en ont beaucoup de patrons ou responsables. Peu nombreux sont ceux qui savent précisément en quoi consiste l'offre de ces cabinets de conseil et, du même coup, peu nombreux sont ceux qui se sentent vraiment concernés par cette offre. On touche là le nœud gordien du problème : d'une part, ce secteur manque énormément à ne pas davantage communiquer sur ses prestations ; d'autre part, il peut difficilement communiquer sur des missions que ses clients ont tout intérêt à garder confidentielles. C'est sans nul doute l'une des raisons qui freinent le plein essor de ce métier en France.

Des efforts sont donc à mener sans trop attendre. Le renseignement, notamment américain, progresse à grands pas. Nul besoin d'être grand clerc pour s'apercevoir que les connaissances sur la concurrence que possèdent les compagnies américaines sont infiniment meilleures que celles que possèdent nombre d'entreprises françaises. Les secteurs de l'armement et de l'informatique en sont une bonne illustration. Le député du Tarn, Bernard Carayon, fraîchement mandaté par le gouvernement pour dresser un état de la situation française n'arrive certainement pas trop tôt pour tirer la sonnette d'alarme.

Quelles sont les possibilités offertes aux entreprises françaises souhaitant profiter d'une démarche d'IE ?

Pour les plus importantes d'entre elles, elles possèdent déjà une cellule d'IE. Cette solution ne constitue cependant pas une panacée. Il est en effet difficile d'imaginer que le service d'IE d'une grande entreprise peut se livrer à des investigations approfondies dans leurs environnements concurrentiels… Et, effectivement, on constate fréquemment que le travail de ces cellules n'est pas à proprement parler de l'IE, mais plutôt de la veille concurrentielle ou technologique, effectuée par des documentalistes professionnels. Evidemment, les résultats ne sont ainsi pas vraiment les mêmes, au détriment d'ailleurs de l'image de cette profession.

Pour les entreprises qui ne possèdent pas de service dédié, ou qui souhaitent obtenir ponctuellement des résultats précis, le recours à un cabinet d'IE s'avère indispensable. Là, les choses se compliquent singulièrement. Contrairement à nos voisins d'outre-Manche, aucun cabinet ne se distingue particulièrement. Aucun n'est véritablement connu, ou plus exactement reconnu, et il est ainsi particulièrement difficile d'avoir à l'avance une idée de la qualité de la prestation qui sera fournie. Evidemment, les success stories de ces cabinets sont rarement publiées. Les seuls cabinets spécialisés reconnus sont anglo-saxons, et l'on comprend la réticence des patrons français à faire appel à leurs services…

Plusieurs cabinets français se partagent le marché, mais leur offre est souvent assez confuse : veille, intelligence économique, sécurité des installations, conseil en stratégie, investigation économique, conseil en management opérationnel, etc. Les termes employés dans leurs offres sont souvent ambigus. Comme de surcroît nombre de ces sociétés ne s'embarrassent pas d'une présentation complète de leurs activités sur un site Internet, il devient vite difficile de s'y retrouver. Ajoutez à cela les sombres rumeurs qui courent sur certaines de ces sociétés, on se demande alors à quel saint se vouer.

La solution consiste donc souvent à se renseigner parfaitement sur les diverses offres et les méthodes des principaux cabinets en présence :ADIT, Cairn Executive, Atlantic Intelligence, Egideria, Circé, etc. Tous ne travaillent en effet pas de la même manière et tous ne proposent pas les mêmes produits. Tous enfin n'offrent pas les mêmes garanties déontologiques à leurs clients.

Pour les plus soupçonneux, la solution que propose la société Institutions et Entreprises peut se révéler particulièrement attractive. Les consultants de ce cabinet travaillent un peu à la manière du maître d'œuvre d'un chantier. Ils recourent en effet à de multiples partenaires connus et reconnus dans des domaines de la gestion de l'information. Ils coordonnent et dirigent leurs travaux et y apportent leur savoir-faire, notamment dans la recherche d'information concurrentielle à très forte valeur ajoutée. Cette solution possède en particulier deux avantages : la transparence et le gage de traiter avec des partenaires respectables.

Sans sombrer dans un conspiracism à l'américaine, il est néanmoins aujourd'hui pressant pour les entreprises françaises de prendre conscience des enjeux décisifs de l'IE pour leur développement, face à des concurrents étrangers rompus à ces techniques. Souhaitons donc que les initiatives multiples émanant du gouvernement, du MEDEF ou d'associations comme SCIP France aboutissent rapidement.

Quelques ouvrages sur l'Intelligence Economique

GARIBALDI Gérard. L'Analyse Stratégique - Comment concevoir les choix stratégiques en situation concurrentielle. Editions d'Organisation, janvier 2001.

LEVET Jean-Louis. L'intelligence Economique - mode de pensée, mode d'action. Economica, 2001.

MARTINET Bruno, MARTI Yves-Michel. L'intelligence économique - Comment donner de la valeur concurrentielle à l'information. Editions d'Organisation, 2001.

ACHARD Pierre, BERNAT Jean-Pierre. L'Intelligence Economique, mode d'emploi. ADBS Editions, 1998.

ROMAGNI Patrick, WILD Valérie. L'Intelligence économique au service de l'entreprise, ou l'information comme outil de gestion. Les Presses du Management, 1998.

BOURNOIS Frank, ROMANI Pierre-Jacquelin. L'intelligence économique et stratégique dans les entreprises françaises. Economica, 2000.

BLOCH Alain. L'intelligence Economique. 2e éd. - Economica, 1999.

SALMON Robert, DE LINARES Yolaine, DE FOUCAULD Jean-Baptiste. L'Intelligence compétitive : Une combinaison subtile pour gagner ensemble. Economica, 1997.

Source: Generationentreprise (10/02/2003)

 

Intelligence économique : le retard français

L'intelligence économique est à la mode. Elle a ses colloques, ses conférenciers, ses revues, ses diplômes... « Intel- ligence », le mot fascine, il fleure bon le monde du renseignement, et le prononcer, c'est déjà participer à une forme de pouvoir occulte, de savoir secret, initiatique. Ceux qui en font profession ne peuvent s'empêcher de prendre souvent des airs mystérieux qui tiennent les profanes à distance respectueuse de cette connaissance à demi révélée.

On aurait bien tort cependant de ne voir dans le succès du concept d'intelligence économique que l'effet d'un nouveau snobisme, ou un éphémère succès du marketing managérial. Dans l'économie mondialisée de ce début de XXIe siècle, l'intelligence économique est un fait majeur. Oui, un fait et pas seulement une idée. Pas seulement une abstraction, mais quelque chose de tout à fait concret qui occupe une position véritablement stratégique dans le fonctionnement de l'économie réelle. Car de quoi parle-t-on dans le monde entier quand on parle de l'intelligence économique ? De mobilisation de la matière grise, d'information, de veille, de renseignement bien sûr mais aussi, on l'oublie trop souvent en France, d'influence.

De plus en plus intense, la concurrence planétaire n'en est pas pour autant de plus en plus pure : chacun, comme toujours, cherche à tirer le mieux possible son épingle du jeu par tous les moyens. Il y a aujourd'hui une forme de naïveté européenne, et plus encore française, qui s'exprime dans une conception éthérée de la compétition économique et du droit qui la régit. Elle implique une doctrine et une pratique du non-interventionnisme absolu des Etats dans l'économie, de la déconnex- ion totale entre la puissance publique et le monde des affaires. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette naïveté n'est pas universellement partagée et que nombre de très grandes puissances économiques, en Amérique ou en Asie, ont une vision tout à fait différente de la réalité de la mondialisation. Un rapide survol de l'asymétrie des pratiques protectionnistes de part et d'autre de l'Atlantique ou des politiques commerciales du Japon et de quelques dragons asiatiques suffit à s'en convaincre. Un autre front qui, pour être moins visible, pour offrir moins de prises aux querelles doctrinaires et aux passions idéologiques, n'en est pas moins crucial. Là, sur le front de l'intelligence économique, des systèmes d'information et d'influence, se joue la partie la plus décisive. Là se noue le lien le plus étroit entre la puissance publique et l'économie, entre les Etats et les entreprises.

On s'épuiserait à chercher en vain le critère de la nationalité de l'entreprise dans la propriété du capital qui tourne sans cesse sur les marchés financiers globalisés. On s'épuiserait tout autant à le chercher dans la localisation géographique des actifs guidée par le seul impératif de la profitabilité. L'appartenance à un système d'intelligence économique est un critère plus sûr et plus stable. Car, au coeur d'un système performant d'intelligence économique, il y a toujours un Etat fort. C'est ce que la France, qui pratique depuis des décennies dans ce domaine la politique de l'autruche, tarde à reconnaître, malgré les demandes pressantes de toutes ses grandes entreprises confrontées à la redoutable efficacité du système d'information et d'influence américain. Et l'Union européenne, prisonnière de ses a priori théoriques et de sa faiblesse politique, ne comble pas la carence française.

Certes, les pouvoirs publics français n'hésitent pas à soutenir des entreprises dans la conquête de certains marchés. Mais ce soutien est ponctuel, inorganisé et, souvent, faute de moyens d'anticipation, trop tardif. Jamais l'Etat en France n'a pris l'initiative d'organiser un véritable système d'intelligence économique. Absence d'unité d'action, dans ce domaine, de ses multiples représentations à l'étranger, faiblesse de la gestion des carrières de ses agents en poste dans les organisations internationales, nombre réduit de chercheurs français dans les laboratoires étrangers, insuffisance des moyens consacrés à la coopération universitaire et à la francophonie, tout concourt à réduire l'influence française quand il faudrait l'accroître.

Il manque depuis toujours, en matière d'intelligence économique, un dessein, une stratégie, une volonté qui s'inscrivent dans la durée, qui englobent la totalité de l'Etat et qui fassent prévaloir le principe de son unité face aux féodalités bureaucratiques qui le divisent. On a vite fait le tour du système public français d'intelligence économique : à part la Direction des relations économiques extérieures (DREE), mais qui n'est pas organisée dans cet esprit, il n'y a que l'Adit, l'Agence pour la diffusion de l'information technologique, qui oeuvre efficacement dans ce champ mais avec trop peu de moyens, comparés aux besoins, et dont l'action, surtout, ne s'inscrit pas dans un ensemble organisé qui, pour l'heure, n'existe pas.

En face, les entreprises américaines peuvent mobiliser à leur profit d'immenses moyens qui ne tiennent pas seulement à la puissance économique de l'Amérique, mais aussi à une volonté politique forte. La clef de ce système est dans l'imbrication, encore inimaginable en France et sans doute en Europe, entre le public et le privé. Force est de constater que les dépenses militaires et les systèmes publics de renseignement américain ne servent pas qu'à la défense nationale et à la lutte contre le terrorisme. Qui peut penser un instant que le futur système « Total Information Awareness » destiné à permettre l'accès à l'ensemble des données électroniques mondiales ne fournira pas aussi aux pouvoirs publics américains une information économique précieuse dont ils sauront faire le meilleur usage ? Le fait est que l'Etat américain fait prévaloir entre la sphère publique et privée des règles de coopération non écrites mais très efficaces et que les entreprises américaines ne vont jamais en ordre dispersé ni toutes seules à la conquête des marchés internationaux.

Cette imbrication prend sa forme la plus achevée dans ses puissants fonds d'investissements qui échappent aux classifications habituelles de la finance et qui jouent un rôle déterminant dans le système américain. L'exemple le plus remarquable que les spécialistes connaissent bien est celui du fameux groupe Carlyle, sur lequel les pouvoirs publics européens devraient méditer. Ce groupe non coté, dirigé par un ancien ministre américain de la Défense et qui emploie nombre d'anciens responsables de la Défense et des services de renseignement, s'appuie sur un extraordinaire réseau international d'experts et de conseillers : anciens chefs d'Etat, anciens chefs de gouvernement, anciens chefs d'état-major, anciens dirigeants d'organisations internationales, de banques centrales, de multinationales... Il faut voir pour ce qu'il est ce groupe qui gère 14 milliards de dollars d'actifs à travers 14 fonds aux Etats-Unis, en Europe et en Asie, qui investissent dans tous les secteurs stratégiques, d'abord la défense, l'aéronautique et l'énergie : d'abord un vaste système d'influence légal au service de l'économie américaine qui s'insère lui-même dans un puzzle plus vaste, aux côtés d'autres fonds et d'autres réseaux. Qu'avons-nous à lui opposer ? Rien.

Ce n'est pas céder à l'obsession du complot, ni sous-estimer la compétitivité des entreprises américaines que de prendre conscience de ces réalités et d'y faire face. Sans doute les formes d'intervention traditionnelle de l'Etat dans l'économie sont-elles pour beaucoup dépassées. Mais de nouvelles formes se développent, vis-à-vis desquelles une forme d'aveuglement idéologique serait catastrophique. Entre les pays qui l'ont compris et les autres, l'écart se creuse. Le temps presse de prendre le monde tel qu'il est.

Source: Les Echos (10/12/2002)

 

« L'intelligence économique et stratégique dans les entreprises françaises »

La globalisation de la communication et des marchés économiques a profondément modifié la nature de l'environnement des entreprises. Une compétitivité accrue, exacerbée par le développement du renseignement à usage économique, et associée à une gestion en temps réel des sources mondialisées d'information, conduit les acteurs économiques internationaux à une nécessaire adaptation. Au vu de cette étude menée par l'IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale), il semblerait qu'une large majorité des 1.200 plus grandes entreprises françaises ait conscience de l'entrée dans l'ère de la guerre de l'information rappelée par le secrétaire d'Etat à l'Industrie Perret. Mais entre prendre conscience, les intentions anticipées et la volonté de ne pas écorner l'image de marque de sa société par une certaine ignorance, ces résultats sont à relativiser. Les entreprises françaises sont très en retard par rapport aux entreprises américaines qui bénéficient en outre de la mise en place de structures gouvernementales d' intelligence économique et de veille stratégique.

Source: Store4war (20/04/2001)

 

La nouvelle carte de France de l'intelligence économique

Deux spécialistes ont interrogé 1.200 entreprises sur leur pratique de l'intelligence économique et stratégique. L'IES est largement répandue, mais les moyens efficaces manquent.

Voilà l'un de ces livres bienvenus qui fixent les idées sur un phénomène ressassé. Dans l'Intelligence économique et stratégique dans les entreprises française, les auteurs, Frank Bournois, professeur des universités en science de gestion et responsable des enseignements de défense à l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), et Pierre-Jacquelin Romani, net-économiste à l'Atelier de veille technologique du groupe BNP-Paribas, décryptent les méthodes françaises d'intelligence économique.

Pas de budget propre. Descendant en droite ligne du fameux rapport Martre (1994) acte fondateur de l'intelligence économique à la française -, l'ouvrage de Bournois et Romani repose sur une enquête considérable. Les auteurs ont exploité la base de données « entreprise » de l'IHEDN, « think tank » du ministère de la Défense. Ils ont adressé à 5.000 entreprises de plus de 200 salariés un long questionnaire de 18 pages et 150 entrées et ont obtenus 1.199 réponses.

De cette matière première plus que substantielle, ils tirent un constat : si l'intelligence économique et stratégique (IES) est largement pratiquée, elle ne dispose pas toujours d'un budget propre. Aussi, les entreprises utilisent surtout des outils de veille et des sources « ouvertes » (périodiques, colloques, etc). Internet est bien négligé. Et les utilisateurs ne semblent pas franchement satisfaits de ces outils.

En revanche, dans une sorte de benchmarking sadomasochiste, des entreprises tirent de précieux enseignements des attaques dont elles sont l'objet. Les plus fréquentes : le lobbying, la désinformation, l'interception d'information, le débauchage de cadres. Ces entreprises, les plus fragiles mais aussi les plus ouvertes à de nouvelles expériences, accordent la plus grande importance à l'IES. Selon la typologie construite par les auteurs, ce sont les « internationales » et les « exportatrices ». Elles introduisent de nouveaux concepts qui ensuite se diffusent dans l'ensemble de l'économie, notamment auprès des « techniciennes » et des « nationales », qui semblent encore négliger ces outils de la compétitivité.

C'est alors sûrement pour les diffuser que les auteurs, faisant oeuvre pédagogique, avancent huit recommandations. Certaines tiennent au développement des ressources humaines (formation de spécialistes, sensibilisation de tous les salariés), d'autres relèvent de l'échange d'information dans l'entreprise (création d'outils de gestion adaptés à l'IES), entre entreprises. Ils suggèrent aussi une collaboration plus étroite entre l'Etat et les entreprises. C'est d'ailleurs ce point qui suscite débat.

Comment concilier cette suggestion d'une collaboration étroite avec l'Etat-nation, fut-il élargit à l'Union européenne, avec une réalité qui n'est plus nationale ? Pour 95 % des dirigeants interrogés par Bournois et Romani, les Etats ne sont plus les acteurs principaux de la guerre économique mondiale. Ils sont remplacés par les grandes entreprises et les investisseurs financiers, dont les fleurons nationaux ont la plupart du temps pour actionnaires majoritaires des fonds de pensions américains. Or, l'IES représente l'arme essentielle de la guerre économique.

Des moyens « militaires ». Poussant la logique dans un sens qui ne semble pas être celui des auteurs, pourrait-on dire que les entreprises, du moins les plus importantes d'entre elles, devraient se doter de moyens « militaires », décalque des instruments de violence organisée, dont l'Etat détient jusqu'alors le monopole ? Les personnes interrogées doutent de leur intérêt. Pourtant, déjà, certaines firmes s'engagent résolument dans cette voie. L'examen de ces évolutions pourrait être une voie de recherche à suivre, tant manquent les analyses scientifiques sur ce sujet, laissant le terrain libre à des romans charriant de lourds fantasmes.

 Source: La Tribune (01/12/2000)

Questions à Frank Bournois

Intelligence économique et stratégique dans les entreprises françaises, Editions Economica Synthèse de l’Enquête Nationale 1999/2000 

Auteurs : Professeur Frank Bournois (Paris II), Responsable des enseignements et études de défense à l’IHEDN et Pierre-Jacquelin Romani, Chargé de recherche à l’IHEDN (1999) Actuellement Netéconomiste à l’Atelier du Groupe BNP-Paribas. Le groupe de travail est présidé par le Contrôleur général des armées Daniel Hervouêt, Directeur des études de l’IHEDN. Préface de Christian Pierret, Secrétaire d’Etat à l’Industrie.

Plus qu’un ouvrage, le livre qui sort aux Editions Economica, est un évènement. «L’intelligence économique et stratégique dans les entreprises françaises» marquera une date dans la compréhension de cette discipline et parfois de cet art décisionnel. Nous avons rencontré Frank Bournois, co-auteur avec Pierre-Jacquelin Romani. Il nous restitue les raisons et le contexte de ce travail.

Frank Bournois, vous vous définissez comme un «scientifique des entreprises». L’ouvrage que vous publiez aux Editions Economica est d’ailleurs une enquête réalisée dans une totale confidentialité et un anomynat absolu. Le questionnaire, structuré autour de 80 items, a été envoyé à 5000 entreprises de plus de 200 salariés, juridiquement de droit français. Vous avez enregistré un taux de réponse exceptionnel puisque 1200 d’entre elles ont répondu, soit 24 %? Vous attendiez-vous à un tel retour ? 

Mon hypothèse était que le taux de réponse auquel nous pouvions nous attendre serait faible. Pour plusieurs raisons : on observe peu d’acteurs dédiés et identifiés dans le domaine de l’intelligence économique. Les entreprises ne souhaitent pas se révéler trop. Je m’attendais dans le meilleur des cas à 10 %. Et là surprise, premier jet sans relance, 800 réponses. Nous savons aussi que, dans les enquêtes de ce type, le fait d’effectuer une relance permet d’améliorer le résultat de 50 %. Ce qui fut le cas. 400 réponses supplémentaires furent enregistrées. Ce qui nous donna un total de 1200 questionnaires. 

Comment expliquez-vous cet excellent taux de réponse ?

Je pense que cela est dû à la confiance que les dirigeants accordent à l’Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale. Je ne suis pas sûr que le même questionnaire, adressé au même panel mais émis par un cabinet de conseil, aussi prestigieux soit-il, aurait obtenu un résultat identique. Il faut noter que nous avions précisé qu’une synthèse des résultats leur serait restituée, s’ils le souhaitaient. Pour préserver l’anonymat des réponses, les entreprises pouvaient nous adresser leurs coordonnées sur une page disjointe. Là encore, ce fut pour nous une surprise de constater que, dans 90 % des cas, la réponse au questionnaire était jointe aux coordonnées de la société. Cet indicateur périphérique est révélateur du capital de confiance dont jouit cette institution.

Combien de temps cette enquête a-telle demandé ?

Heureusement que j’ai été aidé par Pierre Jacquelin Romani avec lequel j’ai co-écrit cet ouvrage. Le lancement du questionnaire a eu lieu en mai 1999.

Comment avez-vous conçu le questionnaire ? 

Il faut rappeler qu’il s’agit d’un travail lourd puisque nous avons posé 80 questions. C’est un document de 18 pages que les entreprises ont reçu ! Son élaboration s’est faite depuis Janvier 1999 avec le partenariat de l’Association Intelligence Economique de l’IHEDN. Pour un travail de cette ampleur, il nous a fallu valider, pré-tester les questions auprès de spécialistes du sujet. Le lancement a eu lieu en mai 99. Les premiers retours ont été enregistrés en juin. La première relance fut déclenchée fin juin 99. La réception des questionnaires après cette relance a eu lieu en septembre.

De quelle façon avez-vous procédé pour traiter ces résultats ?

Nous nous sommes trouvés devant 25000 pages de données à saisir informatiquement. Ce qui nous a demandé environ deux mois, d’octobre à novembre 99. Le traitement des données, tests des modèles statistiques ont représenté ensuite plusieurs mois de travail. 

Quel logiciel avez-vous utilisé ? 

Nous avons utilisé un logiciel absolument remarquable ! Je crois qu’il faut le dire. Il s’agit de Neurotext édité par Grimmer Logiciels (www.grimmersoft.com). 

Quelle méthodologie avez-vous suivie ?

Nous avons dégagé une cartographie basée sur les mots-clés utilisés, puis nous avons déduit une définition. Ce qui apparaît est que le mot stratégique est le mot essentiel. L’outil logiciel met ensuite en évidence cinq thèmes qui offrent des axes de circulation dans le livre. Se révèlent ainsi cinq ensembles : l’environnement, le projet stratégique, les acteurs humains, les technologies mobilisées, les réseaux inter-personnels. L’espionnage n’a été mentionné que dans 9 questionnaires sur 1200. Nous sommes donc en mesure de dire que l’amalgame entre intelligence économique et espionnage, pour les entreprises averties, est devenu rarissime. On peut presque dire que l’espionnage est devenu, lorsque l’on fait référence à l’IE, hors sujet.

Les responsables d’entreprises s’interrogent souvent sur le retour sur investissement de l’intelligence économique. Avez-vous apporté des éléments de réponse à cette préoccupation, voire ce frein ? 

Nous avons sur ce point une idée très claire. La pratique de l’intelligence stratégique est un bon investissement et est mesurable en terme de performance : plus de 80 % des entreprises de notre échantillon réalisent des bénéfices. Plus une entreprise est leader sur son marché, plus elle a tendance à développer son savoir faire, à maintenir la distance par rapport à ses concurrents et donc à pratiquer l’IES. 

Avez-vous détecté un autre facteur clé déterminant de cette pratique ?

Du côté de la sécurité et de la protection du patrimoine de l’entreprise, on voit bien que le fait d’avoir subi des attaques, mais surtout la capacité à les détecter ont été corrélés à la pratique de l’IES. 

Quelle est, pour vous, l’enseignement principal de cette enquête ?

Probablement le lien extrêmement fort qu’entretient l’intelligence économique avec la stratégie de l’entreprise. S’il n’avait tenu qu’à moi, j’aurais retenu le terme “d‘intelligence stratégique», mais je serais dans ce cas sorti d’un cadre référentiel, je dirais même institutionnel. Il y a des attracteurs étranges ! Par exemple, le mot «veille» a un attracteur qui est technologique, et que le mot “intelligence» a un attracteur qui est économique. Alors que nous voudrions que leur attracteur naturel soit le mot «stratégique».

Définition : Une démarche organisée, au service du management stratégique de l’entreprise, visant à améliorer sa compétitivité par la collecte, le traitement d’informations et la diffusion de connaissances utiles à la maîtrise de son environnement (menaces et opportunités) : ce processus d’aide à la décision utilise des outils spécifiques, mobilise les salariés, et s’appuie sur l’animation de réseaux internes et externes.» 

Avez-vous eu le sentiment d’avoir atteint les objectifs que vous vous étiez fixés ?

Personnellement, en tant que spécialiste en France des Sciences du Management , je pense que nous devons nous confronter au terrain et en restituer des éléments quantitatifs et qualitatifs de connaissance. A ce titre, je considère que cette étude a pleinement atteint, voire dépassé, cet objectif.

 Source: Veille (Novembre 2000)

 

Les États ne sont plus les acteurs-clés de l'intelligence économique : radioscopie des grandes entreprises françaises

Cette étude avait pour objectif de faire un bilan quantitatif sur l'intelligence économique, domaine en fort développement au cours des dernières années. Ont été sollicités les 5000 dirigeants des entreprises de plus de 200 salariés. 1200 réponses ont été obtenues soit un taux de réponse de 24%. Essentiellement, il en ressort que les experts interrogés, tout en utilisant la notion d'intelligence économique font surtout référence à celle d'intelligence économique et stratégique (I.E.S.) comme le font d'ailleurs les anglo-saxons avec strategic ou competitive ou corporate ou business intelligence. Pour les entreprises françaises interrogées, 51% estiment pratiquer effectivement l'intelligence économique et stratégique. Une définition ressort des experts sollicités : " Une démarche organisée visant à améliorer la compétitivité par la collecte, le traitement et la diffusion d'informations en provenance de l'environnement qui enrichit le projet stratégique, mobilise les acteurs internes, utilise des outils spécifiques et s'appuie sur des réseaux internes et externes ". La recherche conduite met en évidence 4 profils très tranchés d'entreprises en matière de comportement eu égard à l'intelligence économique et stratégique : les " multinationales ", les " techniciennes ", les " nationales " et les " exportatrices ". Il apparaît qu'il n'existe pas un profil supérieur à un autre. Cet article reprend plusieurs des enseignements et conclusions parus in Frank Bournois et Pierre-Jacquelin Romani, " L'intelligence économique et stratégique dans les grandes entreprises françaises ", éditions Economica, automne 2000.  

 Source: Revue française de Géoéconomie (Automne 2000)