Logiciels de guerre pour propagande d'entreprise

 

Logiciels de guerre pour propagande d'entreprise

Les philosophes Aristote, Schopenhauer et Perelman n'en reviendraient sans doute pas : leurs théories sur la rhétorique et l'argumentation sont à l'origine de logiciels conçus pour réagir, contrer ou mettre en place des opérations de désinformation. Imaginés au départ pour les besoins de l'armée, ils vont aussi aider les sociétés empêtrées dans la communication de crise.

Les champs de batailles psychologiques

Ces logiciels, dont ZDNet révèle les fonctions en exclusivité, sortent des laboratoires de Thomson CSF (unité Information Dominance Systems), le pôle militaire du groupe Thomson. Ils sont au nombre de 4, complémentaires entre eux (Perelman, Schopenhauer, Isocrate et Gorgias). Ils ont bénéficié de l'aide de la direction générale de l'armement (DGA), le pôle recherche du ministère de la Défense. Leur domaine d'action : les « opérations dans les champs psychologiques » des armées.

Objectifs respectifs de ces quatre progiciels : trouver les arguments les plus convaincants (Perelman), envoyer les affirmations adverses au tapis (Schopenhauer), traquer les signes de désinformation et de manipulation (Isocrate), mais aussi, créer soi-même les moyens d'embobiner l'adversaire pour l'égarer sur ses propres intentions (Gorgias). Seul le dernier restera (pour l'instant) entre les mains des militaires. Les trois autres sont une véritable aubaine pour les entreprises prises dans l'étau de la guerre de l'information. Total-Elf-Fina, en pleine affaire Erika, ou même Perrier, lors de l'affaire du benzène en 1990, auraient sans doute apprécié - comme bien d'autres sociétés - de pouvoir en tester l'efficacité…

Intelligence économique offensive

« Il s'agit de logiciels d'intelligence économique offensive, nous confie Claude Michel, l'ingénieur qui est à l'origine du projet et qui le pilote chez Thomson CSF. Ce sont des armes clés, aussi bien pour les entreprises confrontées à une concurrence de plus en plus vive que pour les militaires dont la tâche a évolué vers un travail de résolution des conflits et de restauration de la paix. » Ainsi, Claude Michel a présenté ces quatre bijoux le 25 mai dernier devant les professionnels de la veille technologique lors de la conférence annuelle de SCIP France (Society of Competitive Intelligence Professionnals), l'un des hauts lieux de l'intelligence économique.

4 logiciels pour la guerre de l'info   

Perelman: aide à l'argumentation

Objectif : aider à convaincre un auditoire avec une probabilité maximale. C'est le logiciel le plus avancé, selon ses concepteurs. « Pour argumenter et convaincre, précise Claude Michel, l'ingénieur qui pilote le projet chez Thomson CSF. Iil faut raisonner dans le contexte de l'auditoire ; obtenir son adhésion sur les prémisses, puis transférer cet accord sur la conclusion qu'on veut lui faire admettre. »  

Schopenhauer: aide à la réfutation des arguments adverses

Objectif : permettre aux entreprises de riposter très rapidement aux campagnes médiatiques de dénigrement. Pour l'armée, même principe : démentir la propagande adverse. Fondé sur les principes d'Arthur Schopenhauer (1788-1860), philosophe berlinois connu pour son ouvrage, L'art d'avoir toujours raison.

Isocrate: aide à la détection de désinformation

Objectif : déceler les incohérences dans les données, dans l'utilisation des pondérations et les pertinences affichées par l'adversaire. Construit et testé à partir de modèles historiques. Comme l'opération Fortitude en 1944, visant à tromper les Allemands sur le lieu du débarquement du 6 juin ; ou encore l'opération de désinformation des alliés pendant la guerre du Golfe, en 1991, pour faire croire que les troupes débarqueraient au Koweit par voie maritime.

Gorgias: aide à la création de la déception (au sens militaire : confusion, tromperie)

Objectif :renverser les croyances de l'adversaire, cerise sur le gâteau dans l'arsenal des outils de manœuvre médiatique. Le ministère de la Défense s'en réserverait d'avance l'exclusivité.

Source: ZDNet (28/06/2000)

 

Le système informatisé d'aide à la persuasion pour l'IE offensive (projet PERLMAN)

Confrontées à une concurrence de plus en plus vive, les entreprises, qu'il s'agisse de PME ou de grands groupes, doivent s'appuyer sur une argumentation persuasive afin d'accompagner et de consolider le déploiement de leur stratégie commerciale. Pour répondre à cet impératif, Thomson-CSF Communications développe le projet Perelman (Chaïm Perelman a, en 1957, écrit un ouvrage clef dans l'histoire de l'argumentation " Le traité de l'argumentation " renouvelant la rhétorique dont le premier traité a été écrit il y a 2500 ans par Aristote : « La rhétorique »). Ce projet a pour objectif d'aider les stratèges des entreprises à concevoir des argumentaires technico-commerciaux parfaitement argumentés et donc persuasifs. Pour cela, il se focalise notamment sur les deux premières parties principales de la rhétorique d'Aristote : l'invention, consacrée au recensement des idées et des arguments possibles, et la disposition, c'est-à-dire l'art d'ordonner efficacement les arguments.

Le premier des modules logiciels du projet Perelman permet de définir la problématique, c'est-à-dire d'identifier et de structurer le problème ou la question en utilisant les questions classiques de la rhétorique : qui, quoi, où, quand, comment, par quel moyens, pourquoi. La création de bases de données de mots clés génériques et spécifiques du domaine concerné permettra de caractériser cette problématique. Dans un deuxième temps, les stratégies persuasives les mieux adaptées aux combinaisons de mots clés précédemment retenues sont identifiées de façon automatisée.

Un autre module logiciel permet ensuite de réaliser l'accord sur les prémisses avec l'auditoire cible à partir d'un ensemble de Systèmes de Gestion de Bases de Données (SGBD) concernant à la fois cet auditoire spécifique mais aussi des faits, des vérités et des présomptions communément acceptés. En effet, avant d'argumenter, il faut toujours raisonner dans le contexte de l'auditoire pour être écouté. Ce module distingue les auditoires homogènes des auditoires hétérogènes. Ainsi, pour un auditoire spécifique, le logiciel prend en compte les façons dont celui-ci hiérarchise ses propres " valeurs " (au niveau: cognitif, volitif, axiologique) ainsi que les données de bases nécessaires à l'argumentation (hypothèses, présomptions, ...). Pour un auditoire universel, sont plutôt utilisés les faits, vérités et présomptions (cf. méthodologie de Bernard Pauly, conférencier à la SAE).

L'étape suivante consiste à sélectionner, interpréter, adapter, et présenter les données brutes en vue d'une argumentation (Faut-il dire que le verre est à moitié plein ou à moitié vide ?). A ce niveau il est envisageable d'utiliser des SGBD de figures de rhétorique (métaphores, métonymies, synecdoques, ...) en cours d'élaboration ou déjà existantes. Des modules optionnels pourraient également donner des indications sur le style et la théâtralité du discours à tenir en fonction de la situation argumentative; de l'auditoire et du contexte géopolitique du moment.

En outre, ce système aidera l'utilisateur à imaginer de nouveaux arguments pour défendre une thèse. Un module logiciel permet notamment de passer en revue les différents types d'arguments et de les proposer à l'utilisateur qui doit les adapter en fonction du contexte (voir encadré ci-contre).

Parmi les arguments « quasi-logiques » figurent:

- L'argument de justice : appliquer le même traitement à des êtres ou à des situations que l'on intègre dans la même situation (sinon « deux poids deux mesures »).

- L'argument de réciprocité : appliquer le même raisonnement à deux situations symétriques (exemple : « si les vendre n'est pas honteux pour vous, les acheter ne l'est pas non plus pour nous »)

- L'argument de transitivité (exemple : « les amis de mes amis sont mes amis »).

- L'argument de la division du tout en ses parties (par exemple, prouver qu'une ville est détruite à quelqu'un qui le nie peut se faire par énumération exhaustive de tous les quartiers détruits).

- L'argument du (faux) dilemme (exemple : « Enfin Athéniens, il est une chose que vous ne devez pas perdre de vue : Vous avez le choix aujourd'hui entre ceci ou cela, attaquer Philippe chez lui ou être attaqué par lui chez nous ...Quant à montrer quelle différence il y a entre faire la guerre chez lui et la faire chez nous est-ce nécessaire ? », Démosthène).

- L'argument de comparaison (exemple : « Le crime est le même ou de voler l'état, ou de faire des largesses contraires à l'intérêt public »).

- L'argument du sacrifice, à savoir : faire état du sacrifice que l'on est disposé à subir pour obtenir un résultat (exemple : Je retournerai la même dague contre moi », Brutus dans Jules César de Shakespeare).

- L'argument des probabilités (cf. le « pari » de Pascal)

Les arguments empiriques " chez Perelman sont :

- L'argument pragmatique : qui permet d'apprécier un acte ou un évènement en fonction de ses conséquences présentes ou futures.

- L'argument de la fin et des moyens (exemple : « Je ne voudrais pas que la cupidité et l'ambition nous enlève tout ce qui nous a grandi jusqu'à présent par la charité et le mépris du monde », Ignace de Loyola suppliant le pape de ne pas donner à un Jésuite de charge épiscopale).

- L'argument du gaspillage : puisqu'on a commencé une 'uvre, accepté des sacrifices qui seraient perdus en cas de renoncement à l'entreprise, il faut poursuivre dans la même direction...

- L'argument de la direction : il consiste à décomposer la poursuite d'une fin en plusieurs étapes et à envisager la manière dont la situation se transforme.

- L'argument du dépassement : possibilité d'aller toujours plus loin dans un certain sens sans voir les limites dans cette direction avec accroissement de la valeur continue du type « plus c'est bon, meilleur c'est ».

- L'argument d'autorité qui utilise les actes ou des jugements d'une personne comme moyen de preuve en faveur d'une thèse.

- L'argument de double hiérarchie : « a fortiori »,.... (exemple : « Etre tempérant est bon, attendu qu'être intempérant est nuisible, si la guerre est cause des maux présents, c'est avec la paix qu'il faut les réparer », Aristote).

- L' argument de fondements sur un cas particulier, par l'illustration ou le modèle, par l'analogie...

- Les techniques de « ruptures et de freinages » qui permettent de séparer l'acte de l'agent (exemple : « il faut être aussi sainte qu'elle pour en faire autant sans pêcher », Bossuet).

- Les techniques de « dissociation des notions » (l'inverse des techniques de l'amalgame) classiques en rhétorique ; qui refusent de reconnaître des liaisons argumentatives d'éléments qui doivent rester séparés et indépendants (exemple : « Il n'est pas permis de dire qu'ils furent vaincus, aucun d'eux n'ayant accepté de fuir », Isocrate).

- L'argument du Corax, du type « Il y a trop de preuves pour que cela soit possible ! »

Enfin, il faut confronter les arguments retenus à des schémas de réfutation et les utiliser dans un moteur d'inférence pour les étendre, tester leurs forces respectives et vérifier leur cohérence. Ce moteur d'inférence utilise les « logiques de la révision » qui permettent de formaliser l'argumentation. En effet un argument est de la forme « a implique la conclusion b à moins que le contre argument r ne l'emporte ». Ces logiques raisonnent sur les rapports entre le normal et l'exceptionnel, elles peuvent aussi gérer des inférences dépendantes des contextes.

La formalisation de l'argumentation par les logiques de la révision est maintenant assez bien maîtrisée par les informaticiens et les linguistes. Grâce à ces progrès le projet Schopenhauer a l'ambition d'aider à la réfutation. (Des stratagèmes pour avoir raison quoiqu'il arrive ont été mis au point dès l'antiquité par les sophistes comme Gorgias ou Protagoras puis formalisés par Aristote dans ses ouvrages « les Topiques, les réfutations sophistiques ». Au XIX siècle, le fameux philosophe Arthur Schopenhauer a écrit un petit ouvrage de synthèse qui est resté un modèle du genre).

Ce système permettra aux entreprises de faire face plus efficacement aux campagnes médiatiques menées par leurs concurrents ou leurs détracteurs.

Comme nous l'avons vu, un argument permet de passer d'une hypothèse admise par l'auditoire à une conclusion que l'on veut faire admettre. Ainsi on peut toujours imaginer un contre-argument pour réfuter le passage.

En logique de la révision la réfutation se symbolise par : H \~> C (R)

L'hypothèse (H) qui est basée sur la loi de garantie (G), elle-même ayant un fondement scientifique, éthique, ou d'autorité... (F) implique la conclusion ( C) à moins que le contre argument (R) (révision) ne renverse l'implication.

Source: IDT 2000