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La notion d'espace cybernétique prend sa source aux États-Unis sous la présidence républicaine de Georges Bush, lors de la signature en novembre 1991 de l'High Performance Computing Act définissant les modalités d'un leadership américain dans le domaine des hautes technologies de l'information et de la communication. Cet espace est consacré par l 'administration américaine le 15 septembre 1993 sous le terme d'Information Super Highway, dans l'un des textes fondateurs de la politique informationnelle américaine : National Information Infrastructure, Agenda for Action. Son instigateur, le vice-président américain Albert Gore, déclare à cette occasion : "Je veux relier plus vite tous les hommes grâce aux nouvelles autoroutes de demain, les autoroutes de l'information". Cet acte politique majeur de l'administration Clinton vise à mettre en place un réseau informatique national à haut débit articulé autour de l'Internet. Initialement préconisé dans le cadre de l'éducation et de la recherche, le projet d'Albert Gore devient partie intégrante de la politique étrangère américaine en 1994, lorsque celui-ci appelle de ses vœux la constitution d'une infrastructure globale d'information (Global Information Infrastructure) sensée favoriser la démocratie et la capacité des nations à coopérer entre elles. Cet idéalisme géopolitique ne doit cependant pas occulter la réalité d'un tel espace, dont la légitimité est fondée aux États-Unis sur sa capacité à développer le commerce américain des nouvelles technologies de l'information et de la communication, tout en assurant une position de leadership informationnel nécessaire à la prééminence économique et politique américaine. |
La Global Information
Infrastructure
L'architecture physique de
la Global Information Infrastructure repose sur une juxtaposition de réseaux
fonctionnant à des niveaux différents (continentaux, nationaux,
régionaux ou locaux). Son épine dorsale demeure l'Internet,
formé par plus de cinquante millions d'ordinateurs interconnectés
à partir d'un seul et même protocole de communication. Ce
"réseaux des réseaux" apparaît telle une structure
complexe, constituée d'un agglomérat de réseaux informatiques
publics, universitaires ou privés d'ordinateurs couvrant toute la
planète et reliés entre eux par des lignes téléphoniques
commutés (RTC), numériques (RNIS) et ADSL, des câbles
coaxiaux à haut débit, des lignes optiques et des satellites.
Lors de sa création aux États-Unis, deux grands principes
caractérisèrent d'emblée cette architecture, l'un
physique : le maillage du réseau avec reroutage dynamique ; l'autre
informatique : le protocole d'échange de données par " paquets
". Le réseau militaire américain ARPAnet, ancêtre de
l'Internet, fut en effet conçu pour fonctionner sur un réseau
de lignes téléphoniques avec un reroutage dynamique permettant
d'envoyer des paquets de données (identifiés et numérotés)
d'un point à un autre, par différents trajets si le chemin
d'accès le plus direct venait à être encombré,
voire à disparaître (du fait par exemple d'une explosion nucléaire).
Ce système est encore de nos jours l'un des fondements de la Global
Information Infrastructure. 1. La National Information Infrastructure L'existence effective de
la Global Information Infrastructure a été décidée
en février 1995 par les États participant au sommet du G7
à Bruxelles, à l'initiative des États-Unis. Son développement
actuel s'appuie sur un ensemble de projets nationaux ou régionaux
d'aménagement des territoires. Le programme américain de
National Information Infrastructure apparaît dans ce domaine comme
le plus avancé, et fonde en grande partie la prééminence
américaine dans le secteur des nouvelles technologies de l'information
et de la communication. S'appuyant essentiellement
sur des initiatives locales tendant à développer des structures
régionales d'information, comme en Caroline du Nord ou dans la région
des Grands Lacs, la National Information Infrastructure vise à permettre
à travers l'Internet l'accès à l'ensemble des services
administratifs américains, 24h/24h, en tout point du territoire.
Dans le domaine de la recherche, à travers l'High Performance Computing
and Communications Initiative, la National Information Infrastructure vise
à développer l'accès aux banques d'informations scientifiques
et techniques, nationales et internationales, et permettre à certains
instruments de précision (comme les microscopes électroniques)
d'être utilisables à distance via le réseau, de manière
à baisser les coûts d'équipement des centres de recherche.
Les États-Unis comptent par ailleurs profiter des potentialités
de la National Information Infrastructure pour réduire de 36 à
100 milliards de dollars par an le coût des soins dans les hôpitaux,
en développant pour ces derniers ainsi que pour les assurances médicales
l'utilisation de méthodes de gestion administrative en ligne via
l'Internet. En outre, la National Information Infrastructure devrait accroître
la qualité et l'accessibilité des soins sur l'ensemble du
territoire américain grâce à la télémédecine,
activité permettant aux médecins généralistes
établis dans les zones rurales de consulter leurs collègues
spécialistes établis dans les grandes villes afin d'assurer
un système de soin personnel à distance (Personal Health
Information Systems). Ce système qui existe déjà dans
l'État du Texas (Texas Telemedicine Project) s'appuiera sur une
vaste banque de données médicale consultable via l'Internet
et couvrant l'ensemble des administrés américains. Enfin,
la National Information Infrastructure doit rendre plus efficace les conditions
d'enseignement aux États-Unis. A travers le Goals 2000 : Educate
America Act, l'administration Clinton s'est fixée comme objectifs
la suprématie américaine dans les disciplines clefs des nouvelles
technologies de l'information et de la communication (mathématiques
et sciences physiques), un taux d'analphabétisme proche de zéro,
la disparition des problèmes de drogue et de violence à l'école,
et l'accession de 90 % d'une classe d'âge en high school. 2. Les infrastructures d'information européennes et japonaises Aux côtés de
la National Information Infrastructure, d'autres programmes similaires
sont en cours de développement et constituent les piliers de la
Global Information Infrastructure. Sur le continent européen, le
rapport Bangemann sur L'Europe et la société de l'information
planétaire, avalisé lors du sommet de Corfou, pose les bases
de l'édification d'une infrastructure européenne d'information
au sein de l'Union européenne. Insistant sur la nécessité
d'une rupture avec les pratiques dirigistes et protectionnistes en matière
de télécommunications européennes, le rapport Bangemann
insiste sur la nécessité d'une libéralisation rapide
de ce secteur économique afin de dynamiser le marché des
nouvelles technologies de l'information et de la communication. Ce rapport
fut suivi du lancement du plan d'action de la Commission Europe's Way towards
the Information Society en juillet 1994 et de l'établissement de
l'Information Society Project Office en décembre 1995 à Bruxelles.
Plusieurs appels à projets furent lancés par cette même
Commission en 1995, dans le but de développer les compétences
européennes liées aux nouvelles technologies de l'information
et de la communication (Telematics Application Program, Advanced Communication
Technology Services, Information Technology, Information Society Forum,
etc.). Par ailleurs, en 1996, un groupe d'experts fut constitué
sous la direction de Padraig Flynn, membre de la Commission européenne
chargé de l'emploi et des affaires sociales, afin de déterminer
l'ampleur des implications socioprofessionnelles issues de l'entrée
de l'Union européenne dans la société de l'information.
A l'échelon local, l'Union européenne promut le programme
Telecities initiant la coopération des soixante plus importantes
villes de l'Union dans le domaine des autoroutes de l'information. En outre,
la Commission européenne instaura à la suite du rapport Bangemann
l'Inter-Regional Information Society Initiative (IRISI) destinée
à développer économiquement les régions d'Europe
les moins développées économiquement en s'appuyant
sur le marché naissant des NTIC. Le 28 novembre 1994 (quelques jours
avant le sommet d'Essen), six régions de l'Union européenne
(Nord-Ouest anglais, Valence, Nord-Pas-de-Calais, Piémont, Macédoine
centrale et Saxe) signèrent un mémorandum d'accord à
Bruxelles afin de participer à cette initiative. En 1996, deux autres
régions de l'Union européenne s'intègrent à
l'IRISI (Ouest Finlande et Styrie). Aux côtes de ces différents
programmes, des plans d'actions nationaux furent établis dans les
principaux pays membres de l'Union européenne (Info 2000 pour l'Allemagne,
Information Society Initiative pour l'Angleterre, L'entrée de la
France dans la société de l'information pour la France, etc.). En Asie, c'est le Japon qui
le premier définit une ambitieuse politique de développement
des autoroutes de l'information, au moment même où l'Union
européenne dévoilait le rapport Bangemann (mai 1994). Le
Ministère des postes et des télécommunications publia
à cette date un rapport gouvernemental nommé Reforms toward
the intellectualy creative society of the 21st century. Celui-ci développait
l'idée du nécessaire développement d'infrastructures
de télécommunications à haut débit pour résoudre
les problèmes socio-économiques que traversait alors le Japon.
Il annonçait par ailleurs l'édification à l'orée
2010 d'un vaste réseau optique permettant à la population
japonaise de bénéficier des services multimédias disponibles
sur l'Internet. Le Ministère de l'industrie et du commerce (MITI)
publia la même année un rapport intitulé Program for
the advanced information infrastructure complétant l'analyse du
Ministère des postes et des télécommunications dans
le domaine notamment de la libéralisation du secteur des télécommunications
(constitution d'un environnement réglementaire souple sous l'égide
de structures institutionnelles, favorisant un usage plus intensif des
NTIC). D'autres programmes nationaux
ou régionaux se développent sur tous les continents et participent
de fait à l'avènement de la Global Information Infrastructure
initiée par Albert Gore. Dans les régions les plus défavorisées,
des initiatives publiques ou privées d'aide à la constitution
d'infrastructures informationnelles s'organisent : Leland Initiative sous
la direction de l'Africa Bureau Office of Sustainable Development de l'U.S.
Agency for International Development (USAID), NetAid Foundation conduite
par les Nations unies, programme Africa One d'AT&T (American Telephone
& Telegraph), etc. 3. Le développement extra-atmosphérique de la Global Information Infrastructure Malgré les efforts
déployés à l'échelle internationale pour constituer
une infrastructure globale d'information, les coûts extrêmement
élevés nécessaires à la mise en place de réseaux
numériques d'information à haut débit rendent difficiles
une interconnexion mondiale et uniforme à l'Internet. La solution
à ce problème semble s'incarner en différents projets
de couverture satellitaire. Les programmes Teledesic et Skybridge apparaissent
à ce titre comme les plus ambitieux en terme de moyens techniques
et financiers. Fondée en 1990, Teledesic
est une société privée qui a son siège à
Kirkland, dans la banlieue de Seattle, dans l'État de Washington.
Le consortium regroupe les firmes Boeing, Motorola, Matra Marconi Space,
Microsoft, auxquelles il convient d'ajouter l'américain Craig McCaw
et le Prince Alwaleed Bin Talal Bin AbdulAziz Alsaud d'Arabie Saoudite.
Par l'intermédiaire d'une constellation de 288 satellites d'une
masse unitaire de 750 kg, positionnés sur 12 plans de 24 satellites
en orbite basse (à 1.375 km d'altitude, soit 25 fois plus près
de la Terre que les satellites sur orbite géostationnaire), Teledesic
est sur le point de constituer d'ici à 2003 le premier réseau
au monde fournissant un accès à l'Internet à haut
débit semblable à celui des fibres optiques permettant l'accès
aux services de télécommunications tels que l'accès
à l'Internet à large bande, la vidéoconférence,
les communications vocales de qualité numérique, et ce à
des coûts abordables et dans le monde entier. Le coût d'un
tel projet est estimé à 9 milliards de dollars. Le programme SkyBridge regroupe
pour sa part Alcatel, Loral Space & Communications, Toshiba, Mitsubishi
Electric, Sharp, SPAR Aerospace, l'Aérospatiale, le CNES et SRIW.
Conçu et initié par Alcatel, Skybridge est un réseau
de 80 satellites qui permettra l'accès à des services multimédias.
Il donnera accès aux hauts débits pour la boucle locale et
permettra des connexions allant jusqu'à 20 Mbps vers l'utilisateur
résidentiel (2 Mbps pour la voix retour). Son service, disponible
fin 2001 sera distribué localement par des opérateurs de
télécommunication et des fournisseurs de services avec qui
SkyBridge aura conclu des accords d'exclusivité. Les opérateurs
auront en charge le déploiement de stations d'interconnexion. Le
projet ne cible pas les sites industriels et les grandes entreprises qui
seront déjà équipés de fibres optiques, mais
les PME, les PMI et le grand public, ainsi que les zones rurales. Son coût
est estimé à 4.2 milliards de dollars. Le développement d'une
couverture de télécommunication satellitaire à grande
échelle en orbite basse conduit certains analystes américains
à parler d'Outernet (en référence à l'espace
extra-atmosphérique) en lieu et place de l'Internet. Outre les avantages
que représentent en terme de débit d'information et de souplesse
d'utilisation ce type de réseau, la nature même du droit international
public réglementant l'espace extra-atmosphérique correspond
parfaitement à la vision américaine ultralibérale
du marché mondial des télécommunications. Les traités
des Nations unies de 1967 et de 1979 fixent en effet pour principes l'a-territorialisation,
la liberté d'utilisation et d'exploitation de l'espace extra-atmosphérique.
Cette posture correspond tout à fait à la conception traditionnelle
de la Maison Blanche concernant le secteur de l'information et des télécommunications.
En 1946 déjà, William Benton, alors secrétaire d'État
adjoint, déclarait en effet : "Le département d'État
entend faire tout ce qui est en son pouvoir, tant au niveau politique que
diplomatique, pour contribuer à éliminer les obstacles artificiels
à l'expansion, à travers le monde, des agences de presse,
magazines, films ou autres moyens de communication américains appartenant
au secteur privé. La liberté de la presse - et celle des
échanges d'information en général - fait partie intégrante
de notre politique étrangère." |
Globalisation économique
et leadership cyberspatial
La fin de la guerre froide
et la volonté américaine de constituer un espace économique
libéral et global a entraîné la création aux
États-Unis de structures administratives chargées de soutenir
la compétitivité des entreprises nationales à l'étranger.
Le 25 janvier 1993, le gouvernement américain s'est ainsi doté
d'un Conseil économique national (National Economic Council) destiné
à coordonner et harmoniser la politique économique du gouvernement
américain. La création le 4 mai 1994 par la Directive présidentielle
24 (Presidential Decision Directive 24) du National Counterintelligence
Policy Board annonça par ailleurs une réorientation de la
politique américaine de contre-espionnage au profit du renseignement
économique. La War Room (ou Advocacy Center) créée
par le Department of Commerce en 1993, procède de cette même
logique. Reprenant le modèle d'un état-major de crise, cette
structure gouvernementale comprenant treize membres est chargée
de faciliter les obtentions de grands marchés internationaux à
destination des entreprises américaines. A cette fin, la War Room
collationne les renseignements économiques et administratifs nécessaires
aux entreprises et coordonne les moyens d'appui du gouvernement fédéral
(mise en place d'actions de lobbying, recherche de financement, expertise,
etc.). Les liens unissant la War Room avec les agences américaines
de renseignement sont très étroits. L'obtention par des firmes
américaines de nombreux contrats d'armement à l'étranger
(comme le renouvellement du parc d'hélicoptères militaires
hollandais et britanniques par la firme américaine McDonnell Douglas
en 1995 pour un montant de 4 milliards de dollars) résulte de cette
association entre acteurs privés et pouvoirs publics américains. Cette stratégie économique
apparaît particulièrement efficace au sein d'un espace cybernétique
voulu par les États-Unis et figurant comme l'espace privilégié
d'une globalisation en cours d'édification, qui permet de surcroît
un contournement des réglementations douanières nationales.
Selon Michael Dertouzos, chef du département informatique du Massachusetts
Institute of Technology et conseiller de William Clinton pour l'Internet,
le marché des nouvelles technologies de l'information devrait atteindre
d'ici à 2020 entre trois et quatre trillions de dollars. Cette affirmation
fait suite à l'étude réalisée en juin 1999
par l'université du Texas sur l'impact de l'Internet sur l'économie
américaine. Financée par la compagnie américaine Cisco,
cette étude a analysé près de 3.000 sociétés
américaines commercialisant des produits et des services sur l'Internet.
Elle indique en substance que la "nouvelle économie" a généré
aux États-Unis un marché de 300 milliards de dollars en 1998,
et a permis la création d'environ 1.200.000 emplois. Selon cette
étude, près d'un tiers de ce chiffre d'affaires total (102
milliards de dollars) provient directement du commerce électronique.
Or la situation des principales firmes américaines du secteur informatique
semble augurer une position économique dominante pour les années
à venir, avec des sociétés leaders sur ce marché
: Microsoft, Oracle, Netscape et Lotus pour les logiciels, Intel, AMD et
Motorola pour les microprocesseurs, IBM, Compaq, Dell, Apple pour l'intégration
des composants informatiques, ATT, MCI, Sprint pour les liaisons filiaires
et optiques, etc. Cette situation explique en grande partie l'attrait qu'exerce
l'Internet dans les milieux économiques et politiques américains.
Elle permet de légitimer la politique du gouvernement Clinton dans
le domaine des réseaux numériques d'information, fondée
sur la protection de l'infrastructure globale servant de support à
la "nouvelle économie". Cette politique engagée depuis le
début des années 1990 conduit à assurer de fait un
leadership cyberspatial, et tend à rendre effectif l'exercice américain
d'un "global soft power", un pouvoir de dimension mondiale bien que non
territorial, lié à l'information et à son contrôle. 1. Un nécessaire contrôle de l'espace cybernétique L'émergence de la
National Information Infrastructure aux États-Unis, et son intégration
progressive au sein de la Global Information Infrastructure a amené
la Maison Blanche à prendre en compte l'espace cybernétique
en tant que nouvel espace stratégique. L'ampleur des mesures destinées
à sécuriser cet espace et l'absence de politiques similaires
au sein de la communauté internationale permettent aux États-Unis
d'apparaître comme les "gendarmes de l'espace cybernétique".
La sécurité de ce dernier est en effet devenue progressivement
une priorité du gouvernement américain. En 1992, une enquête
dirigée par la Defense Information Systems conduisit à la
mise en place du Vulnerability Analysis and Assessment Program destiné
à évaluer la perméabilité des réseaux
militaires du Pentagone. Les résultats révélèrent
des failles majeures en terme de sécurité informatique. Ce
constat amena la Defense Advanced Research Projects Agency à demander
à la RAND Corporation de conduire des exercices de simulation stratégique
sur le thème de la sécurité cyberspatiale. A cette
fin, un exercice nommé "The Day After in Cyberspace" eu lieu en
1995. L'année suivante, en mars 1996, un nouvel exercice de simulation
plus abouti que le précédent rassembla autour de cette problématique
de hauts responsables civils et militaires américains, ainsi que
des dirigeants d'entreprises américaines travaillant dans le secteur
informatique et des télécommunications. Cet exercice de simulation
portait le nom de "The Day After in Cyberspace II". Le scénario
élaboré par la RAND Corporation mettait en avant l'imbrication
et la dépendance de la National Information Infrastructure avec
la Global Information Infrastructure. La trame de l'exercice de simulation
était la suivante : "It is now mid-spring in the year 2000. As the
Twentieth Century drew to a close, political changes and continued unrest
in the Persian Gulf, in Pakistan, in the Islamic countries of the former
Soviet Union, and across the breadth of North Africa had created a new
and profoundly troubled region of the world now frequently labeled "the
Islamic Arc of Crisis." Adding to U.S. and European concerns about this
region was the rising prospect that one or more of the potential predators
in the region had developed the capacity to exploit the Global Information
Infrastructure (GII) as a field of strategic political-military operations.
The latter situation has sparked particular anxiety in the U.S. about the
safety and security of the U.S. National Information Infrastructure (NII)
and an evolving Defense Information Infrastructure (DII)." Ces exercices
ont conduit le Pentagone à développer différents niveaux
d'alerte destinés à qualifier et quantifier les menaces liées
à d'éventuelles attaques informatiques visant des intérêts
américains, tant civils que militaires. Dans un rapport datant de
janvier 1998 adressé au Sénat américain, la Defense
Intelligence Agency s'est penchée sur ces nouvelles formes de menaces
et a tenté de les formaliser à travers deux nouveaux concepts,
intimement apparentés à celui d'Information Warfare, mais
plus spécifiquement orientés vers des opérations militaires
ou terroristes contre des infrastructures informationnelles : la "guerre
cybernétique" et de la "guerre transnationale d'infrastructure".
La première (Cybernetic Warfare) est présentée dans
le rapport de la DIA comme une forme distincte de guerre de l'information,
conduisant à la perturbation, la corruption ou la destruction d'informations
résidant dans des ordinateurs ou dans des réseaux informatiques.
La seconde (Transnational Infrastructure Warfare) s'attache plus spécifiquement
à l'attaque d'infrastructures économiques ou administratives
informatisées, interdépendantes et essentielles à
la vie d'une nation : systèmes de télécommunication,
centres bancaires et financiers, transports, réseaux d'approvisionnement
en eau et en énergie, industries, services d'urgence et organismes
gouvernementaux. Ces deux nouvelles formes de guerre s'appuient sur de
nouveaux systèmes d'armes ("virus informatiques" ou "bombes logiques",
combinés à des programmes informatiques d'intrusion de type
"chevaux de Troie"), financièrement et technologiquement à
la portée des pays les moins avancées économiquement.
Ils s'avèrent la plupart du temps indétectables et particulièrement
destructeurs (tels les virus informatiques de dernière génération,
qualifiés d'"évolutionnistes" ou de "darwiniens"). 2. L'émergence d'organismes civils de défense informatique La dépendance informatique
des principales infrastructures civiles et militaires américaines
et la capacité, d'un particulier, d'une organisation ou d'un pays
adverse, à utiliser cette dépendance à des fins criminelles
ou militaires, a conduit à la création d'organismes civils
spécialisés dans la protection de la National Information
Infrastructure. En juillet 1996, l'Executive order 13010 créé la President's Commission on Critical Infrastructure Protection chargée d'organiser la sécurité des infrastructures jugées essentielles à la nation américaine. A cette même date, un organisme prévention des menaces cybernétiques est constitué sous l'égide du Federal Bureau of Investigation : la National Infrastructure Protection Task Force. Par ailleurs, la Presidential
Decision Directive 62 (PDD 62) rendue publique le 22 mai 1998 par la Maison
Blanche définit une nouvelle ligne de conduite, plus systématique,
dans le but de combattre les nouvelles formes de terrorisme auxquelles
les États-Unis seront très certainement confrontés
dans les années à venir. Elle renforce la mission des principaux
organismes gouvernementaux chargés de lutter contre les attaques
terroristes et de surcroît, codifie et clarifie leurs activités
à travers plusieurs programmes fédéraux de répression
du terrorisme (s'agissant de l'interpellation de terroristes, des poursuites
judiciaires intentées à leur encontre, de l'amélioration
de la sécurité des transports, du renforcement des capacités
d'intervention antiterroristes, ainsi que de la protection des systèmes
informatiques indispensables à l'économie des États-Unis).
Pour atteindre un nouveau niveau d'intégration au sein de la lutte
antiterroriste, la directive 62 établit l'Office of the National
Coordinator for Security, Infrastructure Protection and Counter-Terrorism
organisme intégré au sein du National Security Council. Le
coordonnateur national a pour tâche la supervision de l'ensemble
des règlements et de programmes antiterroristes nécessaires
à la protection des infrastructures vitales américaines,
ainsi que la préparation des agences fédérales impliquées
dans la lutte antiterroriste. Placé sous les ordres du Président
des États-Unis (dont il est l'un des principaux conseiller en matière
de lutte antiterroriste), le coordonnateur national établit annuellement
un rapport portant sur l'état de préparation du pays face
aux menaces terroristes. La Presidential Decision
Directive 63 (PDD 63) rendue publique par la Maison Blanche le même
jour que la PDD 62 se fonde sur les recommandations exprimées par
la President's Commission on Critical Infrastructure Protection dans son
rapport du 20 octobre 1997. La directive 63 se fixe comme objectif la mise
en place, dès 2003, de réseaux informatiques fiables, interconnectés
et capables de garantir la sécurité des transmissions. Dans
le but de limiter la vulnérabilité de l'infrastructure électronique
et physique du gouvernement fédéral, la PDD 63 donne pour
consigne à tous les organismes fédéraux de trouver
des moyens d'atténuer les risques liés à des actes
de terrorisme visant les infrastructures vitales américaines. La
PDD 63 est à l'origine de la création le 26 février
1998 du National Infrastructure Protection Center, organisme directement
rattaché au Federal Bureau of Investigation et remplaçant
le Computer Investigations and Infrastructure Threat Assessment Center
(lequel fut créé en 1996 pour combattre les nouvelles formes
de criminalité informatique). La Presidential Decision Directive
63 a conduit par ailleurs à l'établissement du Critical Infrastructure
Assurance Office chargé de participer à la coordination d'un
programme national d'éducation et de sensibilisation aux menaces
cybernétiques au sein de l'infrastructure nationale d'information
américaine. 3. Vers un contrôle militaire américain de la Global Information Infrastructure Comme le rappelle le rapport
du Pentagone intitulé " Defense Information Infrastucture. Master
Plan " rendu public le 13 mars 1998, la National Information Infrastructure
ainsi que la Global Information Infrastructure demeurent étroitement
liées à l'infrastructure informationnelle du Pentagone :
la Defense Information Infrastructure. Définie comme " the web
of communications networks, computers, software, databases, applications,
weapon system interfaces, data, security services, and other services that
meet the information processing and transport needs of DOD users, across
the range of military operations", l'infrastructure informationnelle de
défense du Pentagone comprend " DOD-wide information systems,
and Command, Control, Communications, Computers, and Intelligence (C4I)
interfaces to weapons systems, the physical facilities used to collect,
distribute, store, process, and display voice, data, and imagery; the
applications and data engineering tools, methods, and processes to build
and maintain the software that allow Command and Control (C2), Intelligence,
Surveillance, Reconnaissance, and Mission Support users to access and manipulate,
organize, and digest proliferating quantities of information; the standards
and protocols that facilitate interconnection and interoperation among
networks; and the people and assets which provide the integrating design,
management and operation of the DII, develop the applications and services,
construct the facilities, and train others in DII capabilities and use".
Elle est constituée de plus de 2.100.000 ordinateurs connectés
à près de 10.000 réseaux informatiques locaux, eux-mêmes
reliés à une centaine de réseaux informatiques nationaux
ou internationaux. Lors de la guerre du Golfe, la Defense Information Infrastucture
fut amenée à gérer 118 stations terrestres mobiles
de communications par satellites et 12 terminaux de satellites commerciaux.
La DII disposa de 81 commutateurs permettant l'usage de 329 voies de conversation
téléphonique, 30 circuits de transmission de messages et
30.000 fréquences radio. Ce dispositif traita chaque jour jusqu'à
700.000 appels téléphoniques et 152.000 messages alphanumériques.
Ce "système nerveux" électronique utilise pour l'essentiel
des matériels informatiques standards largement utilisés
dans le secteur civil (ordinateurs, logiciels, routeurs, etc.) et emprunte
de manière régulière les réseaux informatiques
civils constitutifs de la National Information Infrastructure. Assurer
la sécurité de ce réseau informatique militaire conduit
dès lors le Pentagone à s'assurer de l'intégrité
physique et logique de la National Information Infrastructure ainsi que
de la Global Information Infrastructure. Cette situation permet notamment
de légitimer la surveillance continue de l'Internet par des organismes
militaires américains. A ce titre, la National Security Agency apparaît
comme un instrument privilégié de contrôle de l'espace
cybernétique. La mission officielle de
la NSA est d'assurer la confidentialité des communications gouvernementales
américaines tout en espionnant celles des pays étrangers
par l'interception de messages vocaux et écrits transitant par téléphone,
fax ou ordinateur, ainsi que par l'écoute de signaux émis
par les radars et satellites. A travers le programme Echelon qui s'appuie
sur une collaboration entre les États-Unis et l'Australie (Defense
Signals Directorate), le Canada (Communications Security Establishment),
le Royaume Uni (Government Communications Head Quarters) et la Nouvelle
Zélande (Government Communications Security Bureau), les réseaux
de surveillance de la NSA, articulé notament autour de 25 satellites
Intelsat, couvrent potentiellement l'ensemble des systèmes de communication
du globe. Stationnée à Fort Meade dans le Maryland, la NSA
compte environ 20.000 salariés et d'un budget annuel de 4 milliards
de dollars. On peut estimer que la NSA dispose de près de 200.000
correspondants répartis à travers le monde, dans plus de
4000 sites (ambassades et stations clandestines) pour des missions liées
aux émissions, réceptions, brouillages, interceptions et
décryptage sur tous les types de support de communication. La NSA
fonctionne en étroit partenariat avec le National Reconnaissance
Office chargé de gérer les satellites espions américains
de type Black Bird, Rhyolite, KH-11 et KH-12, ou encore Furet. Cette structure
d'espionnage apparaît particulièrement bien adaptée
à la surveillance de l'espace cybernétique. La capacité
de calcul de la NSA (environ 5000 gigaflops) permet un traitement en temps
réel des millions de messages électroniques transitant chaque
jour via l'Internet, grâce notamment à des systèmes
de collecte et d'analyse sémiologique automatiques. L'usage de systèmes
satellitaires à grande échelle de type Teledesic rendra le
réseau Echelon encore plus efficace, puisque sera centralisée
autour d'un même support et d'un même protocole de communication
la quasi-totalité des communications planétaires. Or les
communications par satellites ne disposent traditionnellement d'un système
de cryptage des données peu performant (entre 40 bits et 128 bits)
qui demeurent à la portée des systèmes de décryptage
de la NSA, constitués de mathématiciens spécialisés
dans l'analyse cryptographique, de sémiologues et de supercalculateurs
dédiés à cette tâche. Ces derniers apparaissent
en outre essentiels à tout contrôle de l'espace cybernétique,
compte tenu de la quantité des informations à traiter en
temps réel. L'aptitude au calcul informatique intensif conditionnera
à l'avenir toute activité de contrôle du cyberespace.
Or dans ce domaine, les États-Unis ont pris une avance incontestable
et durable, à travers notamment des programmes de développement
des capacités de calcul des centres de recherches américains
: HPCC (High Performance Computing and Communications), l'ASCI (Accelerated
Strategic Computing Initiative) ou encore le PACI (Partnership for Advanced
Computational Infrastructure). Ces moyens de contrôle seront d'autant
plus nécessaires aux États-Unis que se constituent dans un
certain nombre de pays potentiellement hostiles aux intérêts
américains des unités spécialisées dans la
guerre cybernétique, telle la Chine, qui avoue publiquement constituer
depuis plusieurs mois des régiments spécialisés dans
le piratage informatique. |
Conclusion |
L'édification d'une infrastructure nationale d'information américaine repose actuellement sur une politique qui demeure sans équivalent dans le monde. Une situation d'hégémonie informationnelle semble ainsi s'établir au seul profit des États-Unis. Comme l'indique Daniel F. Burton Jr., vice-président chargé des relations avec les administrations chez l'éditeur de logiciels Novell : "Pionniers de l'économie [électronique], les États-Unis vont façonner son développement. Aucun autre pays ne dispose de la totalité des atouts nécessaires pour orienter son évolution : une imposante présence logicielle, des constructeurs de matériels de rang international, une industrie dynamique du contenu, un secteur des télécommunications en pleine déréglementation, une forte base de capital-risque, un marché du travail flexible et un système universitaire sans égal". Les éléments constitutifs d'un leadership cyberspatial américain sont donc apparemment réunis. Cependant, les États-Unis se heurtent graduellement à un déficit de compétences dans le secteur des nouvelles technologies de l'information et de la communication, lequel pourrait rapidement éroder ce même leadership. Les efforts entrepris par le Pentagone et la Maison Blanche pour assurer la formation de corps d'élites spécialisés dans l'attaque et la défense du cyberespace (à travers des fonds spéciaux constitués de bourses d'études et d'aides aux centres de formation universitaire) se sont heurtés jusqu'à présent à la concurrence des entreprises américaines qui assurent aux jeunes diplômés en informatique des revenus largement supérieurs à ceux proposés par le gouvernement. La pratique courante au sein des administrations fédérales et des grandes entreprises américaines de l'off-shore programming israélien, indien, pakistanais ou indonésien, dans le cadre notamment des problèmes informatiques liés au bug de l'an 2000, conduisent progressivement à une réelle dépendance américaine dans le secteur informatique. Or, la CIA et le NIPC commencent à prendre conscience des possibles opérations de piratage informatique conduites par les entreprises informatiques étrangères travaillant aux États-Unis. Les récentes tensions diplomatiques entre le département d'État et le gouvernement israélien liées à l'off-shore programming d'origine israélienne en témoignent. |
Source:
Infoveille (10/2000)
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