Intelink: le réseau le plus secret du monde

 

La communauté américaine du renseignement dispose aujourd'hui d'un extraordinaire outil d'analyse et de recherche. Ce serait l'arme absolue pour faire face à l'énorme masse d'informations récoltée dans le monde.

Lundi 4 avril 2005. Washington D C. La National Imagery and Mapping Agency (l'agence américaine chargée de l'imagerie et de la cartographie) vient de détecter sur des photos satellite des mouvements de troupes suspects dans l'un des pays de l'ancien bloc soviétique doté du feu nucléaire et proche d'organisations terroristes moyen-orientales. Mouvements bientôt confirmés par des communications interceptées par l'un des ordinateurs de la NSA en Europe de l'Est et par les analystes de la CIA.

Au même moment, à la Defense Intelligence Agency, le major Jay Franklin reçoit un appel d'urgence du commandant d'une unité des forces spéciales stationnées au Moyen-Orient sur l'activité anormale d'une organisation terroriste. A l'état-major, on se connecte aussitôt sur "Intelink" (l'intranet de la communauté du renseignement américain). Commence une conférence virtuelle entre les différentes agences pour examiner la situation. 

Tous disposent en temps réel sur leur écran des informations collectées. Une heure plus tard, le président américain, le secrétaire d'État à la Défense et le général commandant une force de maintien de la paix sur le terrain disposent des premières analyses.

Ce qui n'était il y a quelques années qu'un scénario de fiction est devenu une réalité, comme en témoigne le récent ouvrage de Frederick Thomas Martin, ancien directeur des systèmes d'information de la NSA, sur Intelink.

Né en 1994, sous l'impulsion de James Woolsey, directeur de la CIA, et de John Deutch, secrétaire d'État adjoint à la Défense, Intelink rassemble les treize agences de renseignements américaines. Ses objectifs : mettre en commun des informations jusque-là dispersées et augmenter la réactivité du du renseignement américain, souvent critiqué pour ses lourdeurs.

Pendant la guerre du Golfe, le général Schwarzkopf s'était plaint de l'insuffisance des rapports de renseignement qu'il obtenait, et du retard avec lequel les commandants d'unité recevaient les photos satellite pour la préparation des opérations. Le constat a été le même pendant la crise bosniaque : des batteries de missiles antiaériens avaient été repérées dans le secteur où fut abattu le F-16 du capitaine Scott O'Grady en juin 1995 sans que ce dernier en soit averti à temps.

Selon Frederick Thomas Martin, Intelink est aujourd'hui régulièrement utilisé par plus de cinquante mille personnes et compte près de quatre cents serveurs répartis sur trois cents sites hautement surveillés. Un tour de force quand on songe aux nombreux obstacles qu'il a fallu surmonter.

La clé du succès d'Intelink est l'interopérabilité du réseau et l'utilisation de protocoles et de logiciels commerciaux. Ce choix a évité les énormes coûts inhérents au développement de tout système propriétaire. Intelink utilise donc le même protocole de communication qu'internet (le protocole TCP/IP) et les navigateurs du marché (principalement  Netscape et Internet Explorer) .

Il propose lui aussi des forums de discussion, des vidéoconfé-rences et des dialogues en ligne (grâce notamment au logiciel "NetMeeting" de Microsoft), et des moteurs de recherche, dont certains commerciaux, comme AltaVista. Comme internet, enfin, il est constitué de plusieurs réseaux interconnectés,  en plus des réseaux propriétaires de chaque agence.

Les plus secrets sont Interlink- SecretNet ou Intelink- S, utilisés pour le renseignement opérationnel, et depuis 1995 Intelink-PolicyNet ou Intelink-P, géré par la CIA, destiné aux clients politiques et notamment à la Maison-Blanche.

Le dernier des réseaux en date est Intelink-Commonwealth. En font partie, pour l'instant, les services de renseignements militaires américain (DIA), britannique (DIS), australien (DIO) et le J2 canadien. D'autres alliés pourraient rejoindre Intelink-C, en application du concept de "parapluie informationnel" (information umbrella), très à la mode outre Atlantique.
 

Infoguerre: le défi des services

Rémy Pautrat s'est toujours voulu un "veilleur de l'avant" , selon sa formule. Cette ambition pourrait projeter cet homme courtois de cinquante-neuf ans à la direction de la DGSE, en remplacement d'un autre préfet, Jacques Dewattre, en poste depuis cinq ans. Rémy Pautrat est en France, l'un des rares hauts fonctionnaires à avoir cru, très tôt à l'importance "stratégique" de l'intelligence économique. A la tête de la DST d'abord (1985-1986), puis conseiller pour la sécurité au près du premier ministre Michel Rocard à Matignon (1988-1991), il n'a eu de cesse d'appuyer les initiatives dans ce domaine, en dépit de tous les blocages culturels et administratifs du système français. Actuellement préfet de la ré-gion Basse-Normandie et du Calvados, il a été à l'origine du Comité français pour la compétitivité et la sécurité économique.  La DGSE est un service un peu livré à lui-même depuis quelque temps. Son futur patron devrait lui fixer ces quelques priorités : redonner du crédit aux analyses du renseignement extérieur français; relever le défi de la "concurrence" anglo-saxonne; fixer aux services secrets des objectifs précis, sur un terrain encore trop mal connu de nos agents : la "guerre de l'information" (infoguerre).

(Note IS: ses ambitions vis-à-vis de la DGSE n'ont pas été couronnées du succès escompté)
 


Source: Valeurs Actuelles (16/01/1999)