Attentats US: l'échec du Renseignement ?

 

La guerre secrète des Français

Infiltrés dans la plus grande discrétion au pays des taliban, les agents et officiers dépêchés par Paris ont glané une mine d'informations. Elles ont aussi facilité la tâche des alliés américains

Qui aurait pu croire que la grande et frêle silhouette qui arpentait, en novembre dernier, des sentiers dangereux et peu fréquentés des montagnes pakistanaises et afghanes était celle d'un général français membre du cabinet du ministre de la Défense? Philippe Rondot voulait tâter lui-même, incognito, le terrain. Une initiative personnelle qui n'étonne pas de la part de l'homme qui a récupéré, en 1994, au Soudan, le terroriste Carlos, pour le ramener, manu militari, en France. Depuis quelques années, cette figure du renseignement conseille Alain Richard pour les «opérations clandestines».

Une réussite qui tient aux liens, tissés de longue date, entre les services français et le commandant Massoud

Un autre général a également «visité» secrètement l'Afghanistan durant la même période. Dominique Champtiaux, n° 2 de la DGSE, effectuait, lui, une sorte de tournée: il venait rencontrer ses hommes, les militaires du service Action, en opération dans la zone. Pendant ce temps, à Paris, le patron de la direction du Renseignement, Jean-Pierre Pochon, centralisait toutes les notes de synthèse qui ont permis au gouvernement français d'être parfaitement informé du déroulement - et des dessous - de la guerre.

Un grand nombre d'informations sensibles - politiques, militaires, antiterroristes - ont en effet été recueillies sur le terrain par la DGSE. Certaines ont même été communiquées aux Américains, qui ont chaleureusement remercié son directeur, Jean-Claude Cousseran. Ce travail efficace des services français est demeuré jusqu'ici totalement dans l'ombre. L'Express peut aujourd'hui lever un voile sur les actions secrètes de nos «agents en Afghanistan».

«Nous avions un pied dans la marmite»

Une réussite qui tient d'abord aux liens, tissés de longue date, entre les services français et le commandant Massoud. «Un lien plus "romantique" qu'opérationnel, précise un responsable. L'Afghanistan n'est pas notre "zone de chasse", mais Massoud aimait bien la France. Nous lui livrions des missiles Milan, du matériel de communication, nous faisions un peu de formation militaire, bref, des bricoles, mais qui lui faisaient plaisir. Si bien qu'après les attentats du 11 septembre, et malgré sa disparition, nous avions un pied dans la marmite.»

En réalité, le jour de l'attaque des Twin Towers, un seul agent français se trouve auprès des hommes de l'Alliance du Nord. Mais la DGSE met aussitôt les bouchées doubles. D'abord, le poste du service à Islamabad, le plus proche de la frontière, est renforcé. Et, surtout, les hommes du service Action, dirigé par le général Xavier de Marnach, pénètrent discrètement en Afghanistan, où ils se fondent dans le décor... Une poignée d'autres entrent également dans le pays avec pour mission de réactiver les sources. En clair, recontacter les informateurs. Le patron du renseignement avait d'ailleurs mis l'accent, lors d'une récente réforme, sur l'importance des sources humaines. Elles vont se révéler excellentes et très variées. Les agents renouent, bien sûr, avec des membres importants de l'Alliance du Nord et de l'entourage de Massoud, mais aussi, de façon plus surprenante, avec certains taliban, opposés aux «mercenaires arabes de Ben Laden». Des gens de Kaboul ont, eux aussi, livré secrètement des informations aux Français.

Un des atouts de la DGSE, c'est la connaissance qu'ont les services français du terrorisme islamiste et des réseaux de Ben Laden

Les informations fournies par ces «sources humaines» sont, ensuite, soigneusement recoupées par des éléments «techniques» recueillis par notre satellite militaire. Hélios fournit, en effet, des photos souvent de meilleure qualité que les clichés américains... Elles ont permis de localiser les repaires des terroristes d'Al-Qaeda, ainsi que les fameuses grottes des hommes de Ben Laden. La France a, par exemple, constitué un remarquable dossier sur le complexe de Darounta, un camp où les «stagiaires» du jihad s'entraînaient au maniement des armes, mais aussi à manipuler des produits toxiques. Ce camp a été entièrement détruit par l'aviation américaine, en partie grâce à nos renseignements. De même, Paris a livré à Washington de nombreux listings de téléphone, qui ont permis, grâce aux écoutes, d'obtenir des informations très importantes.

En fait, les recherches portaient sur deux domaines. Le renseignement militaire et politique et la lutte antiterroriste. Concernant l'étude du conflit, la DGSE va fournir quotidiennement au gouvernement français les fameuses fiches jaunes, estampillées «secret défense». Elles établissent, chaque jour, le point de la situation militaire. Elles sont, le plus souvent, accompagnées de cartes qui illustrent le rapport des forces. Le pouvoir a pu suivre, ainsi, tous les épisodes de la prise de Kaboul et l'histoire des tensions entre les Américains et les différents chefs de l'Alliance du Nord. Les renseignements politiques, obtenus égale-ment auprès des responsables afghans exilés, ont permis, par exemple, d'analyser les dessous de la conférence de Bonn.

L'autre atout de la DGSE, c'est la connaissance qu'ont les services français du terrorisme islamiste et, particulièrement, des réseaux de Ben Laden. Une vieille connaissance! En 1994, Ben Laden avait déjà été repéré à Khartoum. Il était alors une sorte de curiosité, un personnage un peu falot, milliardaire et, surtout, connu pour s'être battu contre les Soviétiques... Puis les Français suivent de près son installation en Afghanistan. Très vite, la DGSE, mais aussi la DST et les RG comprennent que ce pays devient un nouveau Liban, un lieu d'entraînement de tous les «soldats fanatiques de l'islam». Ils accourent de partout, du Pakistan, d'Algérie, d'Asie centrale, des Philippines. Mais aussi d'Europe. Plusieurs centaines de Français d'origine musulmane vont faire un tour là-bas; certains, repérés, sont fichés à leur retour par la police française.

«Nous avons ouvert beaucoup de portes»

En septembre 2000, un imposant rapport de la DGSE dresse l'organigramme complet des responsables qui entourent Ben Laden. Un document précis. Comité des affaires militaires: Mohammed Atef (ce dernier a été tué en novembre dernier lors d'un bombardement); comité politique: Ayman al-Zawahiri (cet intellectuel égyptien, l'un des organisateurs des attentats, très proche de Ben Laden, aurait, lui aussi, péri lors d'un raid américain); comité des relations internationales: Saïf al-Adel; comité des affaires administratives et financières: Sahed al-Sharif.

Après les attentats du 11 septembre, les informations vont se multiplier: «Nous avons ouvert beaucoup de portes, résume un spécialiste, parce que nous avions les clefs...» Dès octobre 2001, la DGSE établit un épais rapport portant sur les implantations d'Al-Qaeda en Afghanistan et à l'étranger. Il décrit ses camps, mais détaille aussi ses réseaux financiers, ses filières en Suisse, ses soutiens politiques. Depuis les événements de New York, un «centre de situation» fait, chaque jour, le point à la direction de la DGSE, à Paris, boulevard Mortier. Les informations les plus importantes sont transmises au cabinet du Premier ministre, à Matignon, où se tient une cellule composée d'un membre du cabinet du président de la République, du conseiller stratégique de Lionel Jospin et des représentants des ministères de la Défense et des Affaires étrangères.

Certains éléments sont ensuite communiqués aux «alliés», lors de réunions qui se tiennent, une ou deux fois par semaine, à Paris, à Londres ou à New York. Les Américains sont, paraît-il, très friands de nos tuyaux, même s'ils se montrent, en retour, assez peu prolixes... Des réunions d'experts se tiennent également sur des sujets précis: les ONG islamistes, par exemple, tel al- Wafa, soupçonnées de servir d'infrastructures aux hommes d'Al-Qaeda. Autre sujet brûlant: la menace de prolifération chimique ou nucléaire. Les Français ont ainsi recensé un grand nombre de laboratoires secrets utilisés par les terroristes. Mais ils ont surtout obtenu la certitude que Ben Laden avait la volonté de se doter d'armes de destruction massive. Des contacts avaient même été établis entre des «spécialistes» de son réseau et des savants pakistanais. Le Pakistan détient l'arme nucléaire. Des extrémistes proches des taliban auraient pu donner un terrifiant coup de main à l'ennemi public n°1.

Source: L'Express (20/12/2001)

 

Mieux vaut prévenir que guérir : la nouvelle stratégie du FBI

Le FBI, qui ne sait plus où donner de la tête depuis les attentats du 11 septembre, traverse une véritable crise d'identité et se voit contraint de mobiliser l'essentiel de ses ressources dans la prévention de possibles nouvelles attaques contre les Etats-Unis.

La surprise totale causée par le détournement simultané de quatre avions de ligne par des terroristes apparemment très organisés, est à la source de ce remaniement de fond en comble des conceptions de travail des policiers fédéraux.

"Au delà de l'enquête, notre priorité maintenant est la prévention, faire en sorte que des terroristes ne réussissent pas de nouveau à frapper l'Amérique et les villes américaines", a affirmé cette semaine le chef du FBI Robert Mueller.

Jusqu'à cette période troublée, le gros des activités du FBI était centré sur les enquêtes lancées après des accidents, des crimes ou des attentats moins dramatiques que ceux perpétrés contre le World Trade Center et le Pentagone.

Les agents fédéraux sont aujourd'hui lancés dans une gigantesque chasse à l'homme contre d'éventuels émules des terroristes du 11 septembre, et tentent en même temps d'enrayer la menace bioterroriste qui fait peur aux Américains.

"C'est toute l'histoire de ce bureau : être très efficace une fois qu'une catastrophe est arrivée", explique à l'AFP Peter Crooks, un ancien agent du FBI spécialisé dans la lutte antiterroriste. "Nous passons du travail d'enquête et de procédure judiciaire à l'espionnage et à la lutte antiterroriste", ajoute-t-il.

Ce chamboulement, rendu inévitable par les attentats, va selon lui être douloureux, car "le FBI va devoir fonctionner plus comme une police politique secrète, ce qui va radicalement à l'encontre de l'idéologie politique américaine".

Outre l'enquête planétaire autour des attentats, la réponse à des centaines de fausses alertes, y compris celles liées au bacille de charbon, une partie des 7.000 agents du FBI travaille maintenant à l'infiltration massive de cellules soupçonnées d'activités terroristes.

Venu à sa rescousse, le département de la Justice, qui chapeaute ses opérations, vient de faire passer au Congrès un ensemble de mesures antiterroristes qui vont considérablement faciliter le travail des agents fédéraux.

"Nous allons tout faire pour compromettre, interrompre, prévenir et déstabiliser toute activité" terroriste, a promis aux Américains, inquiets, l'Attorney general (ministre de la Justice) John Ashcroft.

Un vaste programme qui a déclenché le processus de refonte du bureau.

Des directives, dont une partie - secrète - concerne de nouvelles latitudes pour réunir des informations ont été distribuées vendredi aux 56 antennes du FBI à travers le pays.

Les agents fédéraux, qui le réclamaient à hauts cris depuis une dizaine d'années, peuvent désormais mettre plus aisément sur tables d'écoutes les téléphones fixes et portables de suspects, lancer des filatures à travers tout le pays sans se soucier des frontières entre les Etats, maintenir en détention des suspects au-delà de 48 heures, et jusqu'à 7 jours, sans en référer à un juge.

Les agents ont aussi la possibilité d'exploiter plus à fond les progrès de la technique en pénétrant légalement dans les courriers électroniques de suspects et surveiller électroniquement des suspects sur tout le territoire.

Autre nouveauté : le recrutement d'agents arabisants afin d'infiltrer des cellules terroristes composées de moyen-orientaux opérant aux Etats-Unis, sans uniquement avoir recours à l'électronique.

La compétition légendaire entre les différentes agences du renseignement américaines, notamment le FBI et l'Agence centrale du renseignement (CIA), a été reléguée au second plan, au moins sur le papier, pour permettre un meilleur flux des informations.

"Cela peut sembler optimiste de penser que toute attaque peut être évitée", admet le patron du FBI, mais, ajoute-t-il : "Nous pouvons mettre le paquet. Et c'est exactement ce que nous faisons".

Source: AFP (26/10/2001)

 

«La première stratégie c'est le renseignement»

Le général Jean Rannou, 59 ans, a été le chef d'état-major de l'armée de l'air française de 1995 à 2000. A ce poste, il a été directement impliqué dans la guerre du Kosovo. Cet ancien pilote de chasse travaille aujourd'hui dans le civil. Il nous livre son analyse sur la guerre d'Afghanistan et la stratégie aérienne.

Les Etats-Unis bombardent l'Afghanistan depuis plus de deux semaines. Que pensez-vous de cette stratégie?

Contre le terrorisme, les bombardements ne sont qu'une facette marginale de la solution. La première stratégie, c'est le renseignement et la maîtrise de l'information. Quelle que soit la précision des frappes, elles ne peuvent être qu'une petite partie de la solution dans une stratégie globale antiterroriste. Les bombardements produisent un effet intéressant, par exemple, lorsqu'ils coupent les communications des talibans et détruisent leur matériel militaire et leurs camps. Cela ne les empêche pas d'exister, mais de mener leurs actions. C'est utile. Mais l'aviation peut également faire beaucoup de choses en matière d'opérations spéciales.

Comment cela?

L'aviation transporte les commandos et, surtout, elle les récupère - ce qui est bien plus difficile. Ensuite, elle peut guider les troupes au sol depuis des postes de commandements volants et les appuyer, avec des hélicoptères, des avions comme l'AC-130 Gunship ou des avions de combat qui peuvent bombarder précisément des objectifs. Les gens au sol désignent des cibles: il suffit alors qu'ils aient au-dessus des pilotes prêts à frapper instantanément. Si on ne regarde que l'action des commandos au sol, on ne verra qu'une toute petite partie de l'ensemble. Il faut, par exemple, une connaissance exacte de l'endroit où ils vont. Avec les moyens de simulation dont on dispose, les commandos ont pu s'entraîner auparavant sur des simulateurs... Ce que l'on a vu vendredi soir demande une organisation extraordinairement complexe, alors que l'action elle-même s'inscrit dans une durée très courte. Le problème le plus difficile, c'est justement cette maîtrise du temps. La guerre que l'on voit est différente de celles que nous avons connues pendant des siècles. Ces opérations spéciales au sol ressemblent en fait à la stratégie aérienne, au sens où l'on n'occupe pas le terrain et qu'il n'y a donc plus de front.

Une guerre sans front où les soldats n'occupent plus le terrain, c'est ça la guerre moderne?

Depuis l'Antiquité grecque, on a toujours vécu les affrontements militaires comme un affrontement entre des individus. On mettait face à face les «champions» des deux communautés, qui s'affrontaient sur le terrain. On avait donc des «fronts». Ce qui est nouveau avec l'aviation - pas au début, puisqu'on est longtemps resté dans des schémas classiques -, c'est la disparition de la notion de front: l'avion passe par-dessus, il va loin et peut être utilisé un peu où on veut. Il va frapper et revient, comme les B-2, qui décollent des Etats-Unis, bombardent leurs cibles en Afghanistan et rentrent aussitôt en Amérique. La notion d'affrontement direct disparaît. On cherche même à l'éviter à tout prix, en détruisant l'ennemi à longue distance. Il y a évidemment une autre raison à cette disparition du «front», c'est le déséquilibre extraordinaire entre les Etats-Unis et le reste du monde - si l'on exclut quelques pays européens: les gens en face n'ont pas grand-chose à opposer à la technologie de l'Amérique.

C'est un changement qui remonte à la guerre du Golfe?

Oui, elle a été un vrai tournant dans l'histoire militaire. Nous avions mis alors plusieurs mois à préparer une guerre que nous n'avons pas livrée, ou pratiquement pas. Un demi-million d'hommes au sol, face à des Irakiens qui étaient dans une stratégie défensive à la soviétique. Or les gens qui ont conduit les opérations ont cherché des solutions pour éviter cet affrontement humain au sol. Ils ont donc fait appel à l'aviation, aux missiles et à l'artillerie.

Si le «feu» a ainsi remplacé le «choc», n'est-ce pas grâce à l'apparition de nouvelles armes?

Les nouvelles technologies ont en effet permis aux avions et aux armements de devenir extrêmement précis et d'agir de manière permanente: de jour, de nuit et par mauvais temps. Quasiment tout ce qui est susceptible d'une frappe est aujourd'hui à la portée de l'aviation ou des missiles.

Quelles sont ces techniques?

On a beaucoup parlé du guidage par laser, mais il existe d'autres moyens, comme le GPS, le radar ou des systèmes optiques. Si on possède les coordonnées précises d'une cible, on ne peut pas la rater - même si aucune technique n'est à l'abri d'une défaillance. Mais pour que cela marche, il faut une cartographie de l'ensemble du sol au mètre près, que nous fournissent les satellites d'observation, comme le français Hélios. Même les armements non guidés sont devenus précis, parce que les pilotes savent désormais exactement d'où ils larguent leurs munitions. C'est ce qu'on appelle le «tir sur coordonnées», que les Mirage 2000 ont utilisé en Serbie en 1999. En connaissant les paramètres de départ au mètre près, on peut détruire un immeuble depuis une très haute altitude. Le seul problème, c'est le vent qui peut dévier la trajectoire de la bombe, mais les Américains ont installé des systèmes sur leurs bombes pour corriger l'effet du vent... Cette grande précision permet aussi d'utiliser des armes moins puissantes. A partir du moment où on met exactement au but, il n'y a plus besoin de mille kilos d'explosifs, cent kilos suffisent.

Peut-on comparer ce qui se passe en Afghanistan avec la guerre du Kosovo? On a alors beaucoup reproché à l'aviation de ne pas avoir été aussi efficace qu'elle le prétendait.

Le problème est toujours le même quand on parle de stratégie, aérienne ou autre: quels sont les objectifs à atteindre? Ce n'est pas toujours clair en Afghanistan, comme au Kosovo. D'où la difficulté de définir les moyens pour y parvenir... Nous parlons par exemple de «guerre du Kosovo». Or la majorité et sans doute les deux tiers de nos frappes ont eu lieu en dehors du Kosovo, sur la Serbie. On ne parle donc que d'une partie de la campagne, celle qui a le moins réussi. Au début, on ne visait que la Serbie avec des frappes relativement réduites et très ciblées. Notre objectif était de convaincre Milosevic de notre détermination, pas de détruire son armée ou son pays. Exactement deux semaines après le début des opérations, l'Otan a changé de stratégie. On nous a dit: «Il faut aller taper sur les chars serbes au Kosovo.» Sur le plan strictement opérationnel, détruire des chars qui ne faisaient pas la guerre ça n'avait pas d'intérêt, sauf au niveau politique et médiatique. On s'est mis dans un piège, car l'Otan et les Etats-Unis avaient exclu l'hypothèse d'une offensive terrestre. Cette annonce a été une grande erreur. La menace d'une attaque au sol aurait obligé l'armée serbe à concentrer ses troupes. Au contraire, les militaires serbes se sont dispersés et se sont camouflés dans les forêts ou des souterrains. Le problème n'est pas de détruire quand on a trouvé - on sait le faire -, le problème, c'est de localiser les objectifs. Et que faire quand on les trouve dans une ferme ou une cour d'école?.

Source: Libération (23/10/2001)

 

Un train peut en cacher un autre

Le déclenchement de la seconde phase de l'attaque américaine avec intervention de troupes au sol a pu donner l'impression que la guerre contre le terrorisme se joue décidément en Afghanistan. II n'en est rien. Car les services secrets occidentaux sont convaincus que la vraie menace est encore localisée sur le sol américain.

Derrière l'action internationale, aussi nécessaire soit-elle, se cachent en fait des préoccupations portant surtout sur la sécurité domestique des Etats-Unis et de leurs alliés. Le FBI est absolument persuadé que le coup du 11 septembre exigeait que les terroristes disposent aux Etats-Unis d'une solide infrastructure logistique que ni les attentats suicides ni les arrestations qui les ont suivis n'ont sérieusement affaiblie dans sa capacité opérationnelle.

A la différence des kamikazes qui ont détourné les quatre avions, les terroristes qui animent cette cellule centrale ne seraient pas des immigrés de fraîche date, mais de très bons connaisseurs du pays jouant parfaitement avec les ressorts de la psychologie américaine - ciblage des présentateurs télé vedettes, envoi d'anthrax non-pas à la Maison-Blanche, mais au leader de la majorité au Sénat, etc.

Quelqu'un décide, aux Etats-Unis, des journaux et des politiques à frapper affirme un expert français en contact au plus haut niveau avec ses homologues américains. Identifier et déloger ces cerveaux sera d'autant plus difficile qu'ils sont probablement extrêmement bien intégrés au pays. Mais peut-on exclure que l'attaque à I'anthrax, elle, soit le fait d'une milice 100 % américaine ? Le FBI travaillait en tout cas récemment sur une transaction d'anthrax qui aurait été effectuée en Italie avec le concours de la mafia russe. Des arrestations dans le milieu financier milanais ne sont pas à exclure.

Les spécialistes relèvent que la souche utilisée pour répandre la terreur, très pure et très travaillée, a sans doute été achetée à un laboratoire ayant pignon sur rue.

Sur le terrain, la hantise des Américains est moins celle d'un enlisement à la vietnamienne que d'une sanctuarisation à la cambodgienne de taliban irréductibles : il faut casser la coalition taliban, mais pas pour se retrouver avec des factions extrémistes prenant le maquis et s'y installant à la manière des Khmers rouges. Le point clé est donc le ralliement des tribus, à retourner une à une. Cela suppose autant de diplomatie que de force.

Le porte-avion Kitty-Hawk sert de base arrière aux troupes d'élite américaines. Celles-ci peuvent également compter sur le concours d'un contingent musclé de la joint task force canadienne, troupe d'élite interarmes sur le terrain depuis vendredi - c'est le olus grand déploiiement de forces canadiennes à I'étranger depuis la guerre de Corée.

Les Français, eux, demeurent très prudents : les agents de nos services épaulant sur place les forces de feu le commandant Massoud se comptent sur les doigts d'une main.. .

Paris et Washington sont d'accord pour éviter de livrer Kaboul à l'Alliance du Nord, trop proche des Russes et des Iraniens et insuffisamment représentative dans la perspective d'un futur gouvernement d'Union. Au Pentagone, on murmure que les Américains prépositionnés en Asie centrale surveillent autant les rebelles de Massoud que les taliban ! En tout cas, le chef d'état-major des armées, le général Kelche, sera à Washington dès ce lundi avec l'amiral Francois Dupont pour discuter dans le détail du rôle des troupes françaises dans le dispositif. On évoquera aussi le risque de déstabilisation de l'Arabie Saoudite : les services occidentaux sont sur les dents, décrivant comme très important le risque d'un complot à la cour du roi Fahd, menacé par son demi-frère Abdallah, chef des 70 000 hommes de la garde nationale.

A Paris, on reparlera cette semaine des industries de défense à l'occasion de la publication, jeudi, d'un rapport très dur de la Cour des comptes épinglant le Giat, la SNPE et la DCN ainsi que la décrépitude de l'état de nos munitions.

Source: Lettre de l'Expansion (22/10/2001)

 

La «CIA privée» est bénéficiaire

Pour les Internautes, Stratfor est le site d’un journal un tantinet mystérieux. En fait, il s’agit d’un «service privé de renseignements» qui fait l’admiration de «Barron’s». Car Stratfor voit juste sur un grand nombre de dossiers d’actualité stratégique, et dispense un service payant à des clients privés. Stratfor semble même surpasser la CIA (direction civile des renseignements extérieurs) en capacité prévisionnelle.

Créé par un ancien professeur de sciences politiques, George Friedman, la Strategic Forecasting est installée au Texas. Elle propose un abonnement aux entreprises les plus puissantes, ou à tout client susceptible de payer jusqu’à 40 000 dollars par an !

Comment fait l’équipe de George Friedman ? Ils prétendent chercher toutes leurs informations auprès de sources ouvertes et disponibles, ainsi que sur les forums spécialisés sur Internet. En outre, dès que sur son site Stratfor s’intéresse à un sujet, il bénéficie d’un effet de retour : les lecteurs du site deviennent des informateurs à leur tour, envoyant des courriels «renseignés». Ces courriels peuvent être d’une très grande valeur : George Friedman en a reçu un du Pakistan, précisant avec force détails que les régiments susceptibles d’être envoyés sur la ligne de front étaient d’une loyauté absolue au président Pervez Musharraf.

Les méthodes de Stratfor n’impressionnent pas tout le monde. «The Nation» (gauche alternative américaine) traite Stratfor de «Jane’s Intelligence Review» (vénérable revue britannique de renseignements) bis. En revanche, Stratfor conserve le respect de ses grands clients pour avoir cru bien avant la CIA à l’imminence d’attentats islamistes, et pour avoir calculé que les valeurs pétrolières allaient augmenter alors que les prix du pétrole allaient baisser. Cette dernière prévision était payée par une très grande entreprise, qui restera anonyme à la demande de Stratfor.

Source: Courrier International (19/10/2001)

 

Le réseau interallié kilowatt a été réactivé

En marge des opérations militaires engagées en Afghanistan, se joue un autre conflit beaucoup plus discret. Il s'agit d'une guerre de l'ombre sans précédent, qui met en oeuvre les services de renseignements du monde entier. Ses enjeux sont considérables: permettre de mettre Ben Laden hors d'état de nuire et, dans le même temps, tenter d'identifier et de déjouer sa « riposte à la riposte ». Spécialiste du terrorisme islamiste, Roland Jacquard * lève pour nous le voile sur cette guerre de l'ombre et nous livre des révélations exclusives.

Le Figaro magazine Depuis le 11 septembre, quelque chose a-t-il changé dans le monde des services secrets ?

Roland Jacquard La coopération des services occidentaux a été considérablement renforcée depuis les attentats aux Etats-Unis. Un ancien réseau de lutte antiterroriste constitué par les Américains et les services alliés, baptisé du nom de code Kilowatt, a été réactivé. De nombreux agents de la CIA, du FBI, se sont installés dans les capitales européennes, et inversement. Pour la France, la DST et la DGSE ont envoyé aux Etats-Unis certains de leurs agents en mission confidentielle. La direction centrale des RG, elle, effectue avec les services américains des liaisons quotidiennes. Il en va de même pour les Britanniques et pour les Allemands.

Des moyens nouveaux ont-ils été mis en oeuvre ?

Effectivement. Les moyens humains ont été décuplés. Les services de renseignements disposent aujourd'hui de satellites d'écoute et de renseignement très performants, dont certains ont été déployés récemment. Quatre de ces satellites observent en permanence l'Afghanistan. D'autres captent tous les messages téléphoniques ou électroniques émis ou reçus par les pays du Golfe. Des navires espions font de même dans les zones sensibles. Deux bâtiments français pourvus d'antennes très puissantes sont sur zone. L'aviso Le Berry, qui croise actuellement en Méditerranée, et un autre navire de guerre, qui est mouillé à Djibouti, espionnent nuit et jour toute la région. Des ordinateurs extrêmement puissants permettent aux services concernés, et notamment la NSA (National Security Agency), de se connecter avec toutes les bases de données disponibles chez les alliés. Les « grandes oreilles » américaines travaillent beaucoup avec le GCHQ anglais, sorte d'équivalent du programme « Echelon », mais qui dispose, lui, de nombreux agents parlant arabe.

Cette coopération sans précédent a-t-elle donné des résultats ?

Depuis le 11 septembre, 120 000 informations, c'est-à-dire une masse considérable qui aurait mis des années auparavant pour être rassemblée, ont été réunies, transmises, centralisées et exploitées. Un exemple entre mille: des conversations téléphoniques ayant eu lieu avant et après le 11 septembre entre Ayman al-Zawahri, un Egyptien considéré comme le numéro deux de l'organisation Ben Laden, et qui serait même son successeur si celui-ci était éliminé, et Abou Zoueida, chef des opérations extérieures, l'homme qui manipule les groupes terroristes en Europe, ont été captées. Zawahri téléphonait du centre de commandement taliban. Un site qui a été bombardé par les Américains et les Britanniques dans la nuit du 7 octobre ! Je peux même vous donner le numéro du téléphone satellite de Zawahri, jusque-là classé top secret: 873 761 613 932.

Les services français jouent-ils un rôle important dans cette guerre de l'ombre ?

Très important. Depuis quelques mois, les Américains n'ont cessé de consulter les Français. Le Figaro Magazine a d'ailleurs fait état d'une note confidentielle de la CIA adressée le 2 juillet aux services français, DST, DGSE, direction centrale des RG. Une note mentionnant clairement: « Ben Laden finalise ses plans et s'attend à une attaque militaire américaine en représailles. Au vu de notre étude de l'ensemble des renseignements disponibles, nous pensons que Ben Laden va perpétrer un attentat terroriste de grande ampleur contre les intérêts américains dans les prochaines semaines. Nous apprécions toujours votre aide (...) pour lutter contre toute menace potentielle émanant de ces éléments extrémistes. » Je vous rappelle que cette note secrète a été adressée à tous les services français deux mois avant les attaques contre le World Trade Center et le Pentagone.

Quelle est la réputation outre-Atlantique des services de renseignements français ?

Les agents français ont une très bonne réputation auprès de leurs homologues américains, notamment en ce qui concerne l'infiltration des groupes terroristes liés à Ben Laden. Ce sont les Français qui ont, par exemple, alerté les Américains sur un réseau de Marocains et d'Algériens, parmi lesquels Zacarias Massaoui, qui s'intéressaient de très près, aux Etats-Unis, à l'épandage de produits chimiques au moyen de petits avions. On ne le sait pas toujours, mais c'est la DRM (Direction du renseignement militaire français) qui a livré aux Américains nombre d'informations relatives aux transferts d'argent de prétendues organisations humanitaires, caritatives ou religieuses islamistes, en réalité des « trompe-l'oeil » liés à Ben Laden et destinés à financer le terrorisme. Inversement, les Américains ont fourni aux Français leurs propres renseignements. Ainsi, à la suite de l'arrestation, en décembre 2000, de l'Algérien Ahmed Ressan à la frontière du Canada, alors que celui-ci s'apprêtait à commettre des attentats aux Etats-Unis, le juge Bruguière a eu accès au dossier, ce qui a permis de démanteler de nombreux réseaux terroristes en Europe.

Les attaques militaires sur les bases des taliban paraissent très ciblées. Ont-elles été permises grâce à des informations des services de renseignements ?

Absolument, et notamment des services français. Il ne faut pas oublier, même si c'est encore peu connu, que les services français la DGSE pour ne pas la nommer, ont beaucoup travaillé avec les services du commandant Massoud, avec lequel ils entretenaient depuis longtemps d'excellentes relations. C'est grâce à ces renseignements de première main que les Américains ont effectivement pu effectuer leurs bombardements « chirurgicaux » sur des bases de taliban cachées dans les villes afghanes. Aujourd'hui, ce sont même des unités françaises spécialisées dans le renseignement, la 11e division parachutiste et le service Action de la DGSE, qui sont sur le terrain aux côtés des Américains et des Anglais. Je peux vous révéler que, quelques jours avant l'attaque américano-anglaise, des hommes de ces unités avaient été discrètement amenés à Djibouti, escale avant l'Afghanistan. Les services français ont auparavant joué un rôle très important pour le rapprochement entre les services pakistanais et les services anglo-saxons. Les Français ont en effet toujours eu de bonnes relations avec les militaires pakistanais de l'IT (Intelligence Bureau) et les civils de l'ISI (Inter-Services Intelligence). Il est vrai que nous maintenons depuis longtemps déjà au Pakistan un poste de la DGSE et un autre du SCTIP (Service de coopération technique international de la police), considérés par les spécialistes comme très actifs. Je peux vous révéler que le chef de l'ISI, le général Mahmoud, a d'ailleurs été discrètement limogé le 8 octobre, sous la pression des Américains, car il était considéré comme trop proche des taliban, une situation devenue dangereuse compte tenu des informations militaires qu'il pouvait être amené à connaître.

S'ils sont si efficaces, les services alliés connaissent-ils au moins les projets de Ben Laden en ce qui concerne sa riposte à la riposte ?

On dispose d'éléments intéressants à ce sujet. On sait, par exemple, que les principaux chefs de commandos de Ben Laden ont quitté l'Afghanistan dans les jours qui ont suivi le 11 septembre. Leur mission est-elle de préparer des attentats contre les Américains et leurs alliés ? En tout cas, les Etats-Unis sont en état d'alerte maximale. Une note confidentielle du FBI affirme que, pour être opérationnels, les 19 preneurs d'otages islamistes des trois avions détournés le 11 septembre devaient disposer sur le sol américain, en soutien logistique, de 1 500 à 2 000 complices ! Où sont aujourd'hui ceux-ci ? On supposerait aussi qu'il existe aux Etats-Unis des stocks d'explosifs enterrés. Il existe des informations sur des attentats planifiés à Los Angeles, à Norfolk, le centre d'Etat-major de la Navy, à Baltimore, une autre importante base navale américaine, ou sur d'autres bases militaires. Dans toutes ces villes, le passage d'islamistes liés à Ben Laden a été repéré. L'autre grande inquiétude, ce sont les parcs d'attraction. Disney, à Orlando, en Floride, est l'une des cibles évoquées. C'est en effet un véritable symbole de la culture américaine.

Les services américains ont-ils des informations sur les menaces bactériologiques et chimiques souvent brandies par Ben Laden ?

On sait de source sûre que Ben Laden a mis sur pied une brigade spécialisée dans les attentats bactériologiques et chimiques. Elle est dirigée par Abbou Khalad, le pseudonyme de Medhi Mersi, un Egyptien spécialiste de ces armes. Celui-ci a créé un laboratoire dans le camp de Derunta, dans la banlieue de Kaboul. Ce camp a été bombardé par les Américains le 7 octobre, car leurs services sont persuadés que les hommes de Ben Laden qui y oeuvraient avec l'aide d'Etats comme la Syrie ou l'Irak, ont maîtrisé les techniques du tobun, un poison violent qui agit sur le système nerveux, et du sarin, utilisé de façon « artisanale » dans le métro de Tokyo en 1995 par la secte Aoun. Les Américains ont la preuve par un ancien expert scientifique pakistanais qui a travaillé dans ce camp, qu'un poison nommé cyanogène chloride était en phase de développement. Dans ce même laboratoire de Derunta, était également développé le virus du botulisme, un autre agent bactériologique très efficace pour les bioterrotistes. On sait aussi qu'une centaine d'Algériens dépendant du cheik Omar Chaabni, celui qui forme les fameux combattants algériens-afghans, a supervisé un stage pour apprendre à ceux-ci à transmettre le botulisme. Un Afghan, arrêté en Angleterre, Safian Kebinena, a reconnu avoir suivi un tel stage. De même on a retrouvé dans les carnets de Farid Melouk, en liaison avec les groupes bosniaques de Roubaix, actuellement en prison en Belgique, des formules sur la contamination par le botulisme. A Londres, on a arrêté deux Algériens qui possédaient des disquettes informatiques sur des attentats bactériologiques. On pourrait multiplier ces exemples à l'infini.

Si Ben Laden devait ainsi lancer une riposte à la riposte, quelle forme pourrait prendre celle-ci ?

L'information que je vais maintenant vous livrer est terrifiante: la riposte à la riposte pourrait avoir lieu un même jour sur toute la planète, un jour nommé J, comme jihad. Il devrait s'agir d'attentats kamikazes contre divers sites sensibles, notamment des centrales nucléaires, accompagnés de détournements d'avions et de prises d'otages intervenant à la fois aux Etats-Unis et dans les pays alliés, ainsi que dans les pays du Golfe considérés comme traîtres. Les services américains redoutent aujourd'hui une sorte de Tchernobyl ou de Bhopal islamiste.

A quelle date ce jour « J » pourrait-il avoir lieu ?

Dès que Ben Laden, ou le mollah Omar, chef des taliban, sera capturé ou tué. Dans un message écrit publié ces derniers jours (voir le fac-similé), un message signé de sa main, Ben Laden appelle également les musulmans du monde entier, et spécialement ceux du Pakistan, au jihad, c'est-à-dire à commettre des attentats là où ils le jugent bon et quand ils le jugent bon.

N'y a-t-il pas une contradiction entre ce jour « J » que vous évoquez, et ce jihad au jour le jour ?

Non, c'est tout à fait dans la logique islamiste. Le jour « J » concerne une guerre stratégique, le jihad des guerres tactiques. D'un côté, il y a des terroristes professionnels dont les qualités, la détermination, le sang-froid, la technicité ont été éprouvés dans les camps de Ben Laden. En tout cas, des familles arabes ont signalé en Angleterre que leurs enfants, partis en Afghanistan dans les camps de Ben Laden, ne donnaient plus signe de vie depuis longtemps. Voilà pour les terroristes du jour J. Le jihad, lui, concerne l'immense armée des candidats au martyre spontané. Les deux sacrifices sont complémentaires et visent les mêmes buts: la victoire de l'islam radical, et l'anéantissement des impies.

* Auteur d'Au nom d'Oussama ben Laden, éditions Jean Picollec.

Source: Le Figaro (13/10/2001)

 

Le malaise fatal de la CIA

Perte de contact avec le terrain dans les pays gagnés par le radicalisme islamique, dérive paperassière : une enquête parue le 8 octobre dans le "New Yorker" et menée auprès de nombreux responsables américains de l'espionnage montre que la CIA n'était pas à la hauteur de la situation créée par les attentats du 11 septembre.

Il existe, au gouvernement, un consensus sur deux points : les attentats terroristes ont été brillamment planifiés et exécutés, et les services de renseignement n'étaient en aucun cas prêts à leur faire obstacle. La victime dans l'administration pourrait bien être le directeur de l'Agence centrale d'investigation (CIA), George Tenet, dont la démission est considérée par beaucoup dans les cercles du pouvoir comme une nécessité. Depuis quinze jours, un certain nombre de responsables des renseignements s'interrogent, dans des interviews, sur les capacités d'Oussama Ben Laden. "Ce type dirigerait de telles opérations depuis une grotte en Afghanistan ? demande l'un d'eux. C'est tellement énorme ! Il n'a pas pu faire cela seul."

Un ancien officier de l'armée laisse entendre que, du fait des visas et autres papiers nécessaires à la présence d'une équipe aux Etats-Unis, un important service de renseignement a pu aussi être impliqué. "Amener quelqu'un à piloter un avion - et à se tuer, ajoute-t-il - semble également indiquer qu'on a versé à sa famille une jolie somme d'argent." "Ces gens n'appartiennent pas tous obligatoirement à Ben Laden, m'a expliqué un fonctionnaire du ministère de la justice. Nous continuons de passer un tas de choses au peigne fin." Mais le FBI a été submergé d'informations. Le 23 septembre, le secrétaire d'Etat, Colin Powell, a déclaré dans un entretien télévisé : "Nous allons fournir au monde entier, au peuple américain, des éléments irréfutables" montrant la responsabilité de Ben Laden dans les attentats. Mais le rapport officiel tant escompté n'a pu être produit, faute de faits concrets, à en croire ce haut fonctionnaire du ministère de la justice. "Ce n'était pas assez solide pour emporter la conviction."

Certains au FBI soupçonnent aujourd'hui les terroristes de suivre un plan de guerre conçu par Ramzi Ahmed Youssef, reconnu coupable d'avoir organisé l'attentat à la bombe contre le World Trade Center en 1993. Youssef est impliqué dans plusieurs projets, parmi lesquels la dispersion de produits toxiques dans l'atmosphère et la pose de bombes dans les tunnels qui relient la ville de New York à l'Etat du New Jersey. La crainte qu'a le gouvernement de la menace potentielle de camions transportant des déchets dangereux a été renforcée par le procès Youssef.

"Vont-ils faire dans le chimique et le bactériologique d'ici un, deux, trois ans ? demande pour la forme un ancien général. Il nous faut opérer dès à présent une délicate transition, passer de l'application de la loi à la prévention. Cela n'est pas facile. Pourrons-nous recruter suffisamment de bons éléments ? On a, ces dernières années, engagé des gosses tout frais sortis de l'université, des mordus d'informatique. Il faut aujourd'hui revenir au travail de fond, à la sale et dure besogne, avec des types aguerris, qui n'ont pas peur du noir et font preuve de flair."

Depuis l'effondrement de l'Union soviétique, en 1991, elle n'a cessé de réduire la part d'informations fournies par ses agents à l'étranger en supprimant des postes au service clandestin, qui porte officiellement aujourd'hui le nom de direction des opérations (DO) et qui a pour mission de recruter des espions (on l'appelait autrefois la section des "sales coups").

Il ne sera pas facile de renvoyer des hommes sur le terrain. Pendant la guerre froide, les agents de la CIA occupaient des postes de diplomates ou d'attachés culturels dans les ambassades américaines des grandes villes. Une bonne partie de leur travail s'effectuait dans le cadre de leurs fonctions officielles et des réunions mondaines qu'elles impliquaient. Aujourd'hui, en Afghanistan comme partout au Proche-Orient et en Asie du Sud, un agent de la CIA doit parler la langue du pays et être capable de se fondre parmi ses habitants. Il ne doit avoir aucun lien manifeste avec les Américains ou avec l'ambassade des Etats-Unis, s'il y en a une. C'est ce qu'on appelle au sein de l'Agence la "couverture non officielle" (NOC, non official cover). Se faire repérer, c'est être un homme mort. Il est possible que pas un seul agent de ce type n'opère dans les cercles fondamentalistes islamiques.

Parallèlement, la DO a été sérieusement ébranlée par une série de démissions et de départs à la retraite au plus haut niveau. Quatre hommes sont notamment partis, dont le nom est peu connu du grand public, mais qui jouissaient d'une grande considération dans l'Agence : Douglas Smith, qui a passé trente et un ans dans le service clandestin ; William Lofgren, qui était à la tête de la division Eurasie centrale lorsqu'il a pris sa retraite en 1996 ; David Manners, qui a quitté la CIA en 1998 alors qu'il dirigeait le poste d'Amman, en Jordanie ; Robert Baer, qui parlait l'arabe et qui a peut-être été le meilleur homme de terrain au Proche-Orient. Tous ont exprimé leur amertume quant à la gestion des opérations clandestines au sein de l'Agence. "La question du terrorisme ne sera pas résolue tant que nous n'aurons pas reconstitué la DO", m'a assuré un ancien responsable de ce service. Baer, à qui a été remis la médaille du renseignement après sa démission fin 1997, a déclaré : "Vous n'imaginez pas à quel point cela va mal. La Maison Blanche a été sauvée du vol 93 - l'avion qui s'est écrasé en Pennsylvanie - par une équipe de joueurs de rugby. Et c'est pour cela que vous payez 30 milliards de dollars ?" Il faisait allusion au budget fédéral des services de renseignement.

Deux officiers à la retraite ont repris du service à tour de rôle et s'occupent temporairement de la petite base de Karachi, au Pakistan, ville-pivot de l'activité terroriste. (A Karachi, deux Américains ont été assassinés en 1995, dont un employé de la CIA, en représailles, dit-on, de l'arrestation au Pakistan de Ramzi Ahmed Youssef.) Un retraité dirige également le poste plus important de Dacca, au Bangladesh, nation musulmane où il serait possible de recruter. D'autres officiers à la retraite dirigent des postes de l'Agence en Afrique.

La réputation de George Tenet s'est encore dégradée après le 11 septembre, du fait de précédentes déclarations qui se sont avérées, du coup, bien optimistes sur l'efficacité du Centre de contre- terrorisme (CTC, Counter Terrorisme Center), créé en 1986 par la CIA pour répondre à une vague d'attentats à la bombe, de détournements d'avions et d'enlèvements au niveau international. L'idée était de réunir des experts de tous les services américains de police, dont les services secrets, en un "lieu de fusion" qui centraliserait les informations sur le terrorisme. Mais le CTC n'était pas, en réalité, autorisé à recruter ni à s'occuper des agents à l'étranger - cette tâche revenait à la DO et à ses missions au Proche-Orient, qui avaient leurs propres priorités.

En 1986, quelques mois après la création du centre, Robert Baer, qui était alors en poste à Khartoum, fut appelé au CTC par son directeur, Duane (Dewey) Clarridge. Dans les Mémoires qu'il publie cet automne aux éditions Crown, Baer raconte ce qui s'est passé : "Très vite, la politique des renseignements s'est mise à saper toutes les démarches que Dewey entreprenait.(...) Telle opération était trop risquée. Telle autre, ratée - ou même réussie -, pourrait faire fuir un gouvernement étranger ami. Quelqu'un allait être délogé d'un poste bien tranquille. Un autre pourrait même être tué... Si vous demandiez (à l'équipe de la CIA) à Bonn de recruter des Arabes et des Iraniens pour infiltrer la communauté proche-orientale d'Allemagne de l'Ouest, on vous répondait qu'il n'y avait pas suffisamment d'agents. Ce n'était guère plus que des tracasseries administratives, mais elles paralysaient tous les efforts de Dewey. Six mois plus tard, il n'avait obtenu que deux agents parlant arabe - dont moi."

Au cours des conversations que j'ai eues avec eux, nombreux sont ceux qui, dans les renseignements, déplorent qu'il soit si difficile de travailler avec la direction des opérations, même en période de crise. Un militaire engagé en 1998 dans une opération de renseignement des transmissions au Proche-Orient m'a confié qu'il n'était pas possible de parler travail avec les représentants de la CIA et de la NSA réunis. "Je voyais le premier dans un lieu tenu secret en Virginie, puis le quittais pour déjeuner, avant de retrouver le second, raconte-t-il. Ils ne se croisaient pas."

Dans ses Mémoires, Robert Baer parle du "malaise fatal" qui, au début des années 1990, a saisi les services de l'Agence à Paris : "Les responsables ne recrutaient plus. Les agents en fonction étaient âgés. Ils avaient perdu tout élan. Et personne ne semblait s'en soucier." Beaucoup, à l'Agence, ont été choqués lorsque, au début de 1992, le chef de la division pour l'Union soviétique et l'Europe de l'Est, Milton Bearden - qui avait joué un rôle majeur dans le soutien de la CIA aux rebelles afghans dans leur terrible guerre contre les Soviétiques -, informa ses diverses missions à l'étranger que la Russie serait désormais traitée comme n'importe laquelle des nations amies, telles que l'Allemagne ou la France. La CIA ne recrutait plus pour espionner les Russes. Les appartements de surveillance de l'Agence étaient fermés et les écoutes téléphoniques supprimées dans l'ensemble du Proche-Orient et de l'Europe. "Nous ne saurons jamais ce que nous avons perdu en ne tirant pas profit de l'effondrement soviétique", commente un responsable, à la retraite aujourd'hui. On a rabroué les anciens officiers supérieurs soviétiques qui détenaient des renseignements ainsi que d'autres données. "On a rejeté des propositions. C'est stupéfiant, et, pour autant que je sache, personne n'a rien fait contre cela."

Avec l'entrée en fonctions de Clinton, en 1993, peu de choses ont changé. Nommé à sa propre demande à Douchanbé, un coin perdu au Tadjikistan, près de la frontière avec l'Afghanistan, Baer regardait, impuissant, les fondamentalistes islamiques - précurseurs des talibans - consolider leurs camps d'entraînement avec le soutien de l'Arabie saoudite, et commencer à recruter des partisans et à conduire des opérations dans les nations frontalières de l'ancienne Union soviétique.

En 1995, l'Agence fut très critiquée lorsque la nouvelle éclata qu'elle avait engagé au Guatemala un informateur impliqué dans le meurtre d'un hôtelier américain. L'homme a continué de figurer sur la liste des personnels rémunérés par la CIA même après que l'information eut été connue de la direction des opérations. John Deutch, troisième directeur de l'Agence en trois ans, a réagi à ces abus et au tollé soulevé dans l'opinion publique en émettant une directive qui exigeait l'approbation préalable du quartier général avant tout engagement d'une personne ayant un passé criminel ou des problèmes avec les droits de l'homme. Ce "grand nettoyage" fut décidé par Deutch avec les meilleures intentions. Mais, dans la pratique, des centaines de "recrues" ont ainsi été écartées d'office de la CIA, ce qui a eu des effets dévastateurs sur les opérations antiterroristes au Proche-Orient. Cette directive a entraîné la création au quartier général de l'Agence d'une multitude de commissions d'étude. Pour les responsables des opérations, des décisions concernant une arme essentielle dans la guerre contre le terrorisme international étaient ainsi prises par des hommes et des femmes qui, comme le formule l'un d'eux, à la retraite aujourd'hui, "ne sortiraient pas dîner dans un restaurant de Washington par crainte de la criminalité".

Les commissions administratives n'ont pas tardé à "se reproduire comme des lapins", commente un ancien chef de mission. Les officiers expérimentés qui ne transigeaient pas sur la poursuite du recrutement d'espions estimaient que devoir obtenir une autorisation avant toute décision, c'était être renvoyé d'une commission à l'autre. "Autrefois, on vous disait : "Foncez"", se rappelle l'un d'eux. Pourtant, un nouveau processus dans l'étude des dossiers a été mis en place sous le nom d'AVS (asset validation system). Un autre officier à la retraite se souvient : "Il y avait tellement de paperasses à remplir que les gars passaient un temps fou au bureau à rédiger des rapports, au lieu d'être dans la rue." "C'était absurde,commente un troisième. Car on a recruté des sales cons." Et d'ajouter : "Ce qu'on s'est fait à nous-mêmes est criminel. Il y a là-bas une demi-douzaine de gars valables qui essaient de faire tenir le tout." "Cela simplifiait beaucoup le travail quotidien, fait remarquer Robert Baer à propos de cette directive. Je me contentais de regarder CNN. Personne ne s'en souciait." L'équipe du Sud, qui était essentielle et réunissait huit missions en Asie centrale - toutes menacées, en Ouzbékistan et au Tadjikistan notamment, par des organisations fondamentalistes ayant des liens avec les talibans et Ben Laden - n'a pas eu le moindre agent jusqu'au milieu des années 1990, indique Baer. "L'Agence allait à vau-l'eau."

Baer a connu la clandestinité dans les années 1980 à Beyrouth et ailleurs au Proche-Orient. Il savait avec quelle habileté les terroristes brouillaient les pistes. "Ce sont vraiment des "pros" là-bas", commente Baer. Des terroristes qui ont frappé le 11 septembre, il dira : "Ces types sont sacrément au point."

Source: Le Monde (10/10/2001)

 

Attentats : la CIA nous avait prévenus...

Non, la Central Intelligence Agency n´as pas failli. Elle savait qu´Oussama ben Laden était un très dangereux personnage. Et elle en donne les preuves sur son site.

La CIA n´est visiblement pas le genre d´organisme à faire amende honorable. Qui a dit que les services de renseignement américains s´étaient laissés surprendre par les attaques du 11 septembre ? Pas le patron de la CIA, George Tenet, en tout cas. Le 5 octobre, il a donné son accord pour la publication d´une série de pages sur son site qui laisse pantois. Au milieu de la une du site, on trouve un lien The war on terrorism . Suit une série de pages compilant toutes les déclarations de George Tenet et des autres acteurs du monde du renseignement américain, permettant de prendre la mesure du nombre de fois où la CIA a tiré la sonnette d´alarme. Époustouflant. Il semble évident que la CIA est au courant depuis des lustres des capacités de nuisance de Oussama ben Laden. Pourtant, l´agence souhaite le réaffirmer. Et pas simplement par le biais d´un communiqué. Mais par la liste systématique de toutes les déclarations de son patron depuis des années. Fastidieux. Il faut dire que le patron de la CIA n´est pas n´importe qui. En plus de diriger la CIA, il est le DCI (Director for Central Intelligence). C´est-à-dire qu´il est à la tête de tout le renseignement américain. Il est évidemment le principal conseiller du Président américain pour les questions de sécurité et de terrorisme. George Tenet et ses hommes ne peuvent donc pas avoir fauté. D´ailleurs, le site de la CIA, explique que George Tenet, avait expliqué dès 1998 combien il était stratégique de renforcer le Directorat des opérations (les hommes sur le terrain). Une vraie "vision", comme disent les économistes américains à propos des grands capitaines d´industrie et de leur capacité à prévoir les stratégies gagnantes.

On les aura !

Avec ce discours d´orientation stratégique(http://www.odci.gov/terrorism/strenghtening_the_do.html) du 5 mai 1998, George Tenet démontre aux critiques qu´il savait l´importance du renseignement humain. Il n´y a pas qu´Echelon et la NSA dans la vie... Bien entendu, cet espace d´information sur "La guerre contre le terrorisme" presque entièrement dédié au don de clairvoyance de la CIA n´aurait pas été complet sans un peu de marketing... On trouvera donc dans cette rubrique un magnifique logo "coffreur de terroristes". À appliquer sur son pare-brise arrière à côté du chien qui hoche la tête et pas trop loin de l´autocollant "on les aura !". Mais la palme du "faux-cul" revient sans doute à l´un des récents communiqués de presse du porte-parole de l´agence, Bill Harlow qui explique sans rire que, contrairement à des informations inexactes véhiculées par la presse, la CIA n´a jamais entretenu le moindre lien avec ben Laden.

Problèmes de mémoire

Pourtant, dans la version 2001 du World Factbook de la CIA qui dresse un portrait de chaque pays, on trouve à la rubrique Afghanistan : "L´Afghanistan a été envahi par l´URSS en 1979. L´URSS a été contrainte à se retirer dix ans plus tard par les forces anti-communistes des moudjahidin, approvisionnées et entraînées par les États-Unis, l´Arabie Saoudite, le Pakistan et d´autres." Ce que confirme volontiers l´ancien chef de station de la CIA à Islamabad, Milt Bearden au Boston Globe. Il souligne que les États-Unis ont apporté 10 milliards de dollars aux moudjahidin. Selon lui, il fut une époque où Oussama ben Laden "ne détestait pas les États-Unis". Le soutien très actif de la CIA au régime du général Zia et à l´Inter Services Intelligence (ISI), les services secrets pakistanais est de notoriété publique. Or, c´est sous le règne de Zia que les écoles coraniques ont prospéré, donnant naissance aux taliban. Ne parlons pas de l´injection massive en Afghanistan de combattants musulmans étrangers grâce au soutien de l´Arabie Saoudite, de la CIA, de Ousamma ben Laden et de l´ISI... Mais Bill Harlow, le porte-parole de la CIA doit avoir des problèmes de mémoire. Ou alors, la guerre de l´information a déjà commencé. Les Spin Doctors, ces faiseurs d´opinion occultes orientant le travail des médias, sont visiblement entrés en action.

Source: Transfert (08/10/2001)

 

Guerre au terrorisme: le FBI enquête

Une unité spéciale du FBI scrute le réseau Internet à la loupe dans son enquête sur les réseaux terroristes.

La «Computer Analysis Response Team» est une nouvelle brigade du FBI, structurée après le 11 septembre 2001.

«Elle est capable de retrouver des informations dans des disques durs d’ordinateurs qui ont pu être utilisés par les terroristes, dans des boîtes aux lettres électroniques, des forums de discussion, des services de messagerie instantanée, des sites Internet et chez les fournisseurs d’accès», indique Curt Bryson, qui enseigne au FBI comment enquêter sur Internet.

Selon lui, cette unité cherche en priorité à reconstituer les échanges entre terroristes. À cette fin, les agents du FBI utilisent un système appelé «Carnivore»: un logiciel qui permet de surveillerles échanges de courriel.

Selon le quotidien américain Sun Sentinel, le FBI a examiné des centaines d’ordinateurs de plusieurs bibliothèques de Floride, où les pirates de l’air ont vécu pendant les mois qui ont précédé les attentats.

Source: Branchez-vous (08/10/2001)

 

Le FBI et la CIA ont négligé le risque terroriste et les informations données sur les kamikazes

Depuis le 11 septembre, les deux organismes tentent de se rattraper mais pèchent par précipitation.

Avant même les attentats du 11 septembre, certains Américains affublaient déjà le FBI d'un surnom peu enviable : "Famous But Incompetent" (célèbre mais incompétent). Cette police fédérale, dont 4000 agents enquêtent aujourd'hui sur les pirates de l'air et leurs éventuels complices, passait pour être une administration figée et hautaine. Les récents événements n'ont fait qu'aggraver cette image. Il lui est maintenant reproché, tout comme à la CIA, d'avoir négligé le risque terroriste sur le sol américain. Les services concernés ont beau rétorquer qu'il est facile de critiquer a posteriori, surtout dans un domaine aussi délicat que la lutte contre les réseaux islamistes, rien n'y fait. Le public gronde, les élus s'indignent et les preuves de défaillances s'accumulent, illustrant chaque jour davantage le retard pris en matière d'antiterrorisme.

La première défaillance concerne le traitement des renseignements en provenance d'Europe. Selon nos informations, d'importantes réunions franco-américaines s'étaient en effet tenues à Paris, entre le 5 et le 6 septembre, soit quelques jours avant les attentats. Des représentants des services américains avaient alors rencontré des policiers de la DST et des militaires de la DGSE. Les discussions avaient porté sur de graves menaces pesant contre les intérêts américains en Europe, en particulier l'ambassade des Etats-Unis en France. A cette occasion, la DST avait attiré l'attention des visiteurs sur un Français d'origine marocaine détenu aux Etats-Unis depuis le 17 août et considéré comme un activiste islamiste de premier plan. Or la délégation américaine, préoccupée avant tout par les questions d'administration et de procédure, n'avait guère prêté attention à cette "alerte", estimant en substance qu'elle n'avait pas de conseils à recevoir et qu'un attentat sur son territoire était inimaginable. Il a fallu attendre le 11 septembre pour que le FBI s'intéresse vraiment à cet homme dont on sait maintenant qu'il a fréquenté deux écoles d'aviation, comme au moins sept des kamikazes.

L'autre défaillance avérée concerne deux pirates de l'air, Khalid Al-Midhar et Nawaq Alhamzi. Dès le mois d'août, la CIA avait informé les services de l'immigration, puis le FBI, du fait que ces deux hommes, soupçonnés d'appartenance aux réseaux Ben Laden, étaient susceptibles de venir aux Etats-Unis. En fait, ils s'y trouvaient déjà depuis plusieurs semaines. Selon le quotidien Los Angeles Times, le FBI aurait tardé à engager des recherches et, surtout, n'aurait pas averti les compagnies aériennes qu'ils figuraient sur une "liste noire". Les agents fédéraux n'ont retrouvé leur trace que le 11 septembre, dans les décombres du Boeing qui s'est écrasé contre le Pentagone…

Le FBI et la CIA étaient à mille lieues d'imaginer que des terroristes partiraient à l'assaut des Etats-Unis ; surtout en utilisant des armes aussi banales que des couteaux et des cutters. Paradoxalement, ils redoutaient davantage une attaque de type "NBC" (nucléaire, bactériologique, chimique) que des détournements d'avions. Bien sûr, il y avait eu, en 1993, l'explosion d'une camionnette piégée au World Trade Center (six morts et un millier de blessés) mais cela restait, à leurs yeux, un acte isolé. Deux ans plus tard, en 1995, la police philippine avait pourtant informé le FBI que des islamistes arrêtés à Manille préparaient des attaques aériennes aux Etats-Unis. A l'époque, les agents fédéraux n'avaient pas pris la menace au sérieux, selon les hauts responsables philippins interrogés récemment par la chaîne CNN.

L'attentat de 1993 au World Trade Center n'a pas davantage conduit le FBI et la CIA à réviser vraiment leur approche de la mouvance islamiste, bien implantée aux Etats-Unis et au Canada voisin (réseaux maghrébins). Selon les spécialistes interrogés par Le Monde, les Américains méconnaissent ces milieux et manquent d'hommes capables de les infiltrer ; une tâche, il est vrai, beaucoup plus délicate qu'au temps de la guerre froide, quand "l'ennemi" était soviétique. Pour avoir privilégié pendant des années l'aspect technologique du travail de renseignement (écoutes, surveillance de l'Internet, etc.) au détriment de la dimension humaine (infiltration, informateurs, etc.), les services de Washington sont désormais distancés. D'où, par exemple, le recrutement en urgence, ces derniers jours, d'interprètes aptes à traduire, voire à décoder, les innombrables documents saisis lors des perquisitions et les conversations téléphoniques interceptées ici ou là en arabe, farsi ou ourdou. "Ils croulent sous des milliers d'informations et l'on se demande ce qui va ressortir de tout cela", estime-t-on dans leur entourage.

Le FBI et la CIA, confrontés à ces investigations titanesques, submergés par les appels téléphoniques et les e-mails du public, donnent le sentiment de vouloir racheter au plus vite ce qui est perçu ici comme leur échec. La stratégie consistant à ratisser large (au moins 7 personnes arrêtées, 75 interrogées et 200 recherchées, toutes d'origine arabe) ne trahit-elle pas un affolement face à un adversaire, Oussama Ben Laden, contre lequel ils disposent d'un faisceau d'indices mais de peu d'éléments juridiquement fiables? De la même manière, on peut s'interroger sur la mise en cause, par des responsables politiques, de pays ayant, selon eux, apporté leur soutien opérationnel aux terroristes. A ce jour, en effet, l'enquête n'a pas établi un tel lien.

Le problème de l'identité des dix-neuf kamikazes est révélateur de cet empressement à désigner des coupables. Le directeur du FBI, Robert Mueller, s'était sans doute avancé un peu vite, le 14 septembre, en estimant que les identités des pirates de l'air avaient de grandes chances d'être exactes; ce qui paraissait pourtant peu probable de la part de terroristes si organisés. Les médias américains, plus pressés encore que M. Mueller, ont cité des noms, diffusé des photos et désigné l'Arabie saoudite comme le pays d'origine d'un grand nombre de kamikazes. Or il s'avère aujourd'hui qu'il s'agissait, pour certains d'entre eux, de patronymes et de nationalités d'emprunt. Quant aux clichés, ils pourraient correspondre, dans au moins deux cas, à des hommes vivants et totalement étrangers à l'affaire.

Source: Le Monde (29/09/2001)

 

L'invraisemblable légèreté des 'services' US

A la suite de la vague d'attentats qui a rasé un quartier de Manhattan, éventré le Pentagone et causé la mort de près de 7000 personnes, le monde est incrédule. Qui aurait jamais imaginé qu'une action de guerre de cette ampleur aurait pu avoir lieu sur le sol américain? Et, surtout, aurait pu imaginer une telle attaque de kamikazes, armés de cutters, qui après avoir détourné des avions de ligne, les auraient utilisés comme autant de bombes redoutablement meurtrières? Personne, même à l'intérieur des plus sophistiqués services de renseignement du monde, n'avait donc vu venir le danger. Ni la CIA, ni le FBI, ni la DIA, ni la NSA, ni le Defense Humint Service du Pentagone n'avaient donc détecté la moindre alerte. Et, pourtant, dès le lendemain des attentats, comme par enchantement, des informations très détaillées sur le nombre et l'identité des kamikazes, ainsi que sur leur chef Ben Laden, affluaient avec précision. Quelques heures après les attentats, les télévisions et la presse pouvaient mettre un nom sous les visages des terroristes et de leur commanditaire. Le président Bush pouvait enfin enrôler "les forces du bien contre celles du mal". Et répondre à la "Djihad" en brandissant l'étendard d'une nouvelle Croisade.

Seulement... dix jours plus tard, les certitudes des investigateurs américains se fissurent de plus en plus. "C'est vrai, nous avons des doutes sur l'identité d'un certain nombre de terroristes", était contraint d'affirmer à la presse Robert Mueller, le directeur du FBI. En effet, au moins deux des 19 kamikazes "identifiés" par le FBI sont des personnes qui ne se trouvaient pas en Amérique au moment des attentats.

"Je n'étais pas à New York, je n'ai détourné aucun avion, mais, surtout, je suis vivant" a déclaré à la presse Abdulaziz Al-Omari, jusque là désigné par le FBI comme étant un des membres du commando terroriste qui a crashé le premier avion sur le World Trade Center. Al-Omari habite Ryad, il a quitté le sol américain, où il avait séjourné pour suivre des études d'ingénierie, depuis un an. En 1995, à la suite de la disparition de ses papiers, il avait régulièrement déclaré ce fait aux autorités de police de Denver (Colorado).

Au départ de leur enquête, les investigateurs américains n'ont même pas envisagé que les terroristes auraient pu utiliser des faux passeports lors de leur embarquement dans les avions. Tout comme ils ont immédiatement écarté toute hypothèse qu'il puisse y avoir des ressortissants d'origine non arabe parmi les membres des commandos suicides.

"Par un incroyable hasard, qui confine à l'étrangeté, le passeport de Mohamed Atta (qui est désigné comme le 'pilote' du premier Boeing qui s'est écrasé sur Manhattan) est retrouvé à quelques centaines de mètres du World Trade Center..." nous rapporte l'hebdomadaire Le Point du 21 septembre 2001. Effectivement, après l'énormité de l'explosion, l'incendie démesuré qui s'en est suivi et l'effondrement des deux plus hautes tours de Manhattan, cette découverte relève de l'invraisemblable. Comment le passeport utilisé pour embarquer à bord du vol American Airlines par un des kamikazes "identifié avec certitude par le FBI", a-t-il survécu à la catastrophe?

En réalité, deux semaines après l'effondrement du World Trade Center, aucun service US n'est en mesure de connaître avec précision la véritable identité des dix-neuf "kamikazes d'Allah" qui ont terrorisé l'Amérique.

"Si on évalue les preuves entre les mains des enquêteurs contre Ben Laden selon les standards du droit et des relations internationales en vigueur au XXIe siècle, il faut reconnaître que, pour le moment, il n'y en a pas beaucoup" pouvait constater, mercredi 19 septembre, le Wall Street Journal. Malgré celà, dans les minutes qui ont suivi les attentats, les services de renseignement américains, ceux-là même qui avaient fait preuve jusque là d'une impuissance manifeste, ciblaient très précisément le milliardaire saoudien Ben Laden... Ils n'évoquaient même pas d'autres hypothèses et surtout pas celle d'une éventuelle connexion entre les terroristes islamiques et de possibles alliés intérieurs... Soudainement, le doute n'était même plus permis et, en rangs serrés et ordonnés, les networks de l'information globale rivalisaient à désigner Ben Laden comme "le seul" responsable du massacre.

Interrogé par le Nouvel Observateur, David Poujadas, le nouveau présentateur du journal télévisé de 20 heures de France 2 répondait de cette façon à Sophie Des Déserts, qui lui posait la question concernant l'immédiate mise en cause de Ben Laden: "J'ai essayé de rester rigoureux dans la forme. J'ai précisé que les experts évoquaient le nom de Ben Laden, mais que nous n'avions aucune information fiable à ce sujet"...

Une rigueur dans la forme... basée sur l'absence d'information fiable...

Par contre, les services de renseignement US disposaient d'abondantes informations fiables sur la possibilité d'attentats contre les intérêts américains. La liste en est impressionnante.

Rappelons tout d'abord que le 26 janvier 1993 une bombe, qui avait causé six morts, avait déjà été déposée contre le World Trade Center. En 1995 et 96 des attentats à la voiture piégée avaient tué 21 soldats américains en Arabie Saoudite; ensuite en 1998 ce fut le tour des ambassades US au Kenya et en Tanzanie. Bilan 224 morts. Des auteurs présumés de ces attentats ont été arrêtés. Certains d'entre eux collaborent activement avec la justice américaine. Ils se disent militants de l'organisation Al-Qaeda, "la base", dont le chef suprême serait l'ancien allié de la CIA, Ben Laden. Le 12 octobre 2000, un attentat frappe un destroyer de l'US Navy, le "Cole", 17 morts et 38 blessés. Pourtant, jusqu'aux récents événements qui ont endeuillé New York et Washington, on ne peut pas dire que l'establishment américain ait été très pressé de riposter efficacement à ces attaques. Pour quelle raison? On peut essayer d'avancer une hypothèse. En 1996, Jamal Ahmad Al-Fadl, membre de l'organisation Al-Qaeda, empoche à des fins personnelles de l'argent destiné à la "Djihad". Découvert, il préfère trahir Ben Laden et chercher refuge auprès du FBI. Il devient le principal informateur des Américains. Il raconte la vie de Al-Qaeda vue de l'intérieur de son mouvement: les circuits de financement, les fatwas lancées contre les Etats Unis et même la tentative d'acheter de l'uranium en vue de concevoir une bombe nucléaire. Que font les autorités américaines de ces révélations? Elles se contentent de les écouter...

Ce n'est pas tout.

Le 16 juin dernier, les services secrets indiens déjouent un attentat contre l'ambassade américaine à New Delhi. Ils arrêtent un certain Abdel Raouf Hawash qui est en contact avec un ancien chercheur en énergie atomique. Le 18 juin à Sanaa, au Yémen, huit membres de l'armée islamique de Aden-Abyan sont interpellés. Ils préparaient des attentats contre des agents américains qui enquêtaient sur l'attentat du destroyer "Cole". A la fin du mois de juillet, un autre militant de la galaxie islamiste, Djamel Begal, est arrêté à Doubaï. Il a la double nationalité française et algérienne. Il parle et explique aux enquêteurs qu'un attentat contre l'ambassade des USA à Paris est en préparation. Le 17 août, Zacarias Moussaoui, un franco-marocain de 33 ans est arrêté aux Etats-Unis. Les instructeurs aéronautiques d'une école de Minneapolis, où le jeune Zacarias suivait des cours de pilotage, intrigués par les étranges questions que leur posait cet élève, alertent les autorités. La police de l'immigration constatant que le visa d'entrée du jeune Français, obtenu à l'ambassade américaine au Pakistan, est périmé, le conduit dans le centre de détention de Elk River. La DST précise aux services américains que Moussaoui est un activiste islamiste. Les renseignements français ont suivi ses déplacements en Afghanistan, au Koweït, en Turquie, au Pakistan. Le 5 et le 6 septembre 2001 se tient à Paris une réunion entre des représentants des services américains, des fonctionnaires de la DST et des militaires de la DGSE. Les Français sont préoccupés. La menace d'un attentat contre l'ambassade US à Paris et la présence de Moussaoui aux Etats-Unis sont à la source de leur inquiétude. "Or, la délégation américaine n'avait guère prêté attention à cette 'alerte', estimant en substance qu'elle n'avait pas de conseils à recevoir, et qu'un attentat sur son territoire était inimaginable" (Le Monde, 21.09.2001).

Enfin, depuis le mois d'août, la CIA avait reçu l'information que Khalid Al-Midhar et Nawaq Alhamzi, suspectés d'être des activistes du réseau Ben Laden, avaient pour mission de se rendre aux Etats-Unis. Les services d'immigration ainsi que le FBI ont été alertés. Pourtant le Los Angeles Times rapporte que personne n'avait pris le soin élémentaire d'avertir les compagnies aériennes afin qu'elles ajoutent ces deux noms à la "liste des passagers à risque". Deux des kamikazes qui se sont crashés sur le Pentagone ont embarqué le 11 septembre sur le Boeing 757 d'American Airlines en s'enregistrant avec l'identité de Khalid Al-Midhar et Nawaq Alhamzi. Sans le moindre problème. Tout aussi facilement, selon l'hebdomadaire allemand Focus (cité par Libération le 26.09.2001) Mohamed Atta, membre présumé du commando suicide, avait obtenu en mai 2000 par le consulat de Berlin son visa pour les Etats-Unis. Et cela, malgré que des agents de la CIA qui le surveillaient "auraient observé [entre janvier et mai 2000] qu'il achetait dans des pharmacies et drogueries de la région de Francfort-sur-le-Main de grandes quantités de produits chimiques permettant de bricoler des explosifs".

Plus troublant encore, Ali A. Mohamed, un officier de l'armée égyptienne limogé en raison de son penchant pour l'Islam intégriste, rentre en contact avec la CIA en 1984. Il suit une formation à Fort Bragg et devient sergent instructeur des "Special Forces". Quatre ans plus tard, on le retrouve au beau milieu du réseau Ben Laden. Il s'emploie à structurer Al-Qaeda au moyen Orient. Il forme au Soudan les gardes personnels de Ben Laden. Celui-ci le charge au début des années 90 de créer un réseau aux Etats-Unis. En 1994, le service rival de la CIA, le FBI décide de prendre contact avec lui. Le service fédéral veut avoir des informations concernant l'attentat de 1993 au World Trade Center. Mais, entre les 'Feds' et Ali, visiblement, le courant passe difficilement. Il les mène en bateau. En 1998, après les attentats au Kenya et en Tanzanie, Ali A. Mohamed est convoqué comme témoin devant le Grand Jury du district sud de New York. Face aux questions des magistrats, Ali raconte plusieurs versions contradictoires. Ses mensonges deviennent évidents et il est arrêté. Cette fois les 'Feds' le travaillent au corps. Il se met à table. Il explique au procureur Mary Jo White qu'il recrutait pour Al-Qaeda des informateurs qui avaient travaillé dans l'armée américaine; qu'il avait créé des réseaux à Santa Clara en Californie et dans le New Jersey, près de New York. Il explique que Ben Laden voulait enrôler des pilotes d'avion. Il donne le nom de Essam al Ridi, un instructeur de pilotage égyptien diplômé auprès de la Ed Bordman School of Aviation du Texas. Le 20 octobre 2000 Ali Mohamed raconte encore au juge que l'entraînement des hommes infiltrés par le réseau de Ben Laden aux Etats-Unis prévoyait aussi la maîtrise des techniques de pilotage. Un an plus tard, les autorités américaines "découvriront" avec stupeur et émoi, en regardant la télévision, que des avions détournés et pilotés par des kamikazes s'écrasent contre les Twins Towers à Manhattan...

Pendant ce temps Ali a trouvé un nouvel emploi. Il travaille comme CS, ("confidential source"), pour les 'Feds', et est devenu officiellement "government witness", témoin du gouvernement.

Les confidences des "governement witness" sont-elles prises davantage au sérieux que celles des témoins ordinaires? La question mérite d'être posée.

Source: Amnistia (26/09/2001)

 

FBI : Le premier chasseur du monde

Traque : Robert Mueller, le nouveau patron du FBI, a jeté toutes ses forces dans la guerre contre le terrorisme. Formidable bataille pour renouer avec la confiance des Américains et effacer de vilaines bavures…

Oussama ben Laden a été inscrit le 7 juin 1999 sur la liste des “dix fugitifs les plus recherchés” par le FBI. Cette liste avait été créée en mars 1950 par John Edgar Hoover pour fournir à ses “agents spéciaux” tous les moyens judiciaires et techniques nécessaires à la capture des individus les plus dangereux pour la sécurité des Etats-Unis. A l’époque, la menace, c’était les agents communistes et les espions soviétiques. Depuis cinquante et un ans, 466 criminels ont été inscrits sur cette liste rouge. Le FBI en a arrêté 437, dont 139 avec la collaboration du public. Cinq millions de dollars ont été offerts pour tout renseignement permettant la capture de Ben Laden, d’abord inscrit sur la liste pour les attentats de 1998 contre les ambassades américaines et maintenant pour l’organisation des attaques du 11 septembre.

Le 7 décembre 1941, le jour même du raid japonais contre Pearl Harbor, le FBI fut immédiatement placé en condition de guerre, avant même la déclaration de Roosevelt au Congrès, le lendemain. Les agents du Bureau arrêtèrent aussitôt ceux des étrangers, notamment japonais, identifiés comme pouvant menacer la sécurité du pays. Le 11 septembre, Robert Mueller a pris exactement les mêmes décisions que Hoover soixante ans plus tôt, affectant sept mille de ses onze mille quatre cents fédéraux à la recherche des terroristes et de leurs complices.

Guéri d’un cancer, il plonge dans la guerre

Mueller venait de prendre ses fonctions de directeur du Bureau huit jours plus tôt, le mardi 4 septembre, sans avoir encore eu le temps d’organiser au quartier général du FBI la cérémonie officielle au cours de laquelle il doit prêter serment devant George Bush, qui l’a nommé le 5 juillet pour dix ans. Le Sénat confirmait ce choix par un vote unanime le 2 août, au moment même où le nouveau directeur entrait à l’hôpital pour y être opéré d’un cancer de la prostate. Après un mois de convalescence à peine, le voici plongé dans la guerre.

Après Princeton, les marines au Vietnam

La guerre, il va la conduire là où il est, parce qu’il sait ce que c’est. Il l’a faite. Et pas la plus facile, dans les pires conditions, l’année la plus dangereuse, en 1968, au Vietnam. Il était sorti deux ans plus tôt de Princeton et de l’université de New York, diplômé d’études internationales. C’était le temps où les campus se révoltaient. Il a vingt-deux ans, il choisit, lui, le corps des marines, l’entraînement à la guerre le plus dur qui se puisse imaginer. Et de là il est affecté à la 3e division, celle qui tient la frontière nord du Vietnam, au contact direct du Vietcong et des Nord-Vietnamiens, officier au deuxième bataillon du 4e régiment de marines, le “vieux régiment de Chine”, celui qui montait la garde à Shanghai avant-guerre et qui est tombé à Corregidor. Le bataillon défend la colline 674, rasée par les combats. Robert Mueller reviendra de son séjour au Vietnam en 1969, couvert de décorations, la Purple Heart pour blessures de guerre, la Bronze Star pour bravoure, toutes les commémoratives, et avec le grade de capitaine. Il reprend ses études de droit, entre dans un cabinet d’avocats, puis choisit le métier de magistrat : l’enquête et l’instruction. Il passe six ans comme procureur à San Francisco, puis revient sur la côte est, à Boston, en 1982. C’est à partir de là que sa carrière va s’accélérer. Il est d’abord remarqué par le président Reagan, qui le nomme procureur général du Massachusetts, puis il le sera par George Bush, le père, qui le fera venir au ministère de la Justice à Washington, et par Bill Clinton enfin, qui l’envoie réorganiser le parquet (le bureau des procureurs) en Californie.

Entre-temps, il avait à nouveau passé deux ans dans un cabinet d’avocats, Hale & Dorr. Son patron, William Lee, dresse ce portrait pour Valeurs Actuelles : « Pour bien comprendre cet homme, il faut revenir sur quatre dossiers qui ont marqué sa vie professionnelle : il a été le procureur (c’est-à-dire le magistrat instructeur) du procès des Hell’s Angels, avant de diriger l’enquête sur l’explosion en vol du Boeing de la Pan Am, puis celle de la faillite de la banque BCCI, réussissant enfin à réformer le bureau des procureurs de San Francisco. La plupart d’entre nous seraient bien heureux d’avoir mené à bien ne serait-ce qu’une seule de ces affaires. »

Les Hell’s Angels étaient une bande de motards qui relevait du banditisme, accusés de trafic de drogue, de meurtres et d’agressions sexuelles. L’affaire vint devant les tribunaux de San Francisco ; mal ficelée, elle fut renvoyée puis confiée à Robert Mueller, qui, en 1979, parvint enfin à faire condamner toute la bande.

C’est avec le dossier de la Pan Am que le magistrat devait rencontrer pour la première fois le terrorisme international. L’enquête avait commencé la nuit même du drame, le 21 décembre 1988, quand le Boeing 747 du vol 103 de la Pan Am explosa au-dessus de l’Ecosse, tuant ses deux cent cinquante-neuf passagers et membres d’équipage. Là aussi la signature manquait, mais on savait qu’il s’agissait d’une bombe.

Mueller fut chargé de l’enquête : un immense et indescriptible puzzle, jusqu’au jour où un jeune agent mit la main, parmi les dizaines de milliers de débris, sur une puce électronique qui avait servi de minuteur à la bombe. La puce fut datée, répertoriée et l’on remonta la piste, de Suisse en Tchécoslovaquie jusqu’en Libye, où se trouvaient les exécutants et les commanditaires. Cela valut au colonel Kadhafi un raid de bombardements dont il réchappa de peu, son pays figurant toujours sur la liste des Etats terroristes (bien que le raid l’ait beaucoup calmé).

Un an plus tard, le 20 décembre 1989, George Bush expédiait près de trente mille hommes au Panama, forces spéciales et marines, pour y capturer le général Noriega, accusé de trafic international de stupéfiants. Toute l’enquête préalable avait été conduite par Mueller. Noriega fut fait prisonnier, présenté au tribunal et condamné en 1992.

La machine a commencé à déraper

C’est alors que toute une filière de financement devait être démantelée : la Banque de crédit et de commerce international (BCCI), fondée par un banquier pakistanais, venait de faire faillite. Elle se révéla être la « banque du crime et des criminels internationaux », un scandale d’une formidable ampleur, avec des opérations de fraude et de blanchiment d’argent provenant de faux trafics (armes, stupéfiants) dans plus de soixante-dix pays, couvertes comme toujours par d’éminentes personnalités américaines (anciens ministres notamment) “innocentes” et dont les noms suffisent à retarder les enquêtes. La BCCI sera impliquée dans le terrorisme et les ventes de technologie nucléaires. Robert Mueller, alors responsable du dossier au ministère de la Justice, sera critiqué pour avoir été trop tendre. Mais les responsables seront jugés, condamnés et incarcérés.

En moins de dix ans, Mueller avait ainsi accumulé toutes les expériences. Il ne lui manquait que la direction et la gestion des hommes en tant que haut magistrat ; c’est ce que Clinton l’envoya faire en Californie : remettre en ordre le Bureau de San Francisco. A son arrivée, en 1998, les magistrats instructeurs présentaient 672 affaires criminelles devant les tribunaux ; deux ans plus tard, le même nombre de procureurs en traitait 1 253.

Nommé ministre de la Justice malgré les résistances de l’aile gauche démocrate par le nouveau président Bush, John Ashcroft ramenait alors Robert Mueller à Washington pour être son adjoint avant de lui confier une machine à la fois surpuissante et malade : le FBI.

C’est J. Edgar Hoover, « l’homme qui voulait faire remonter les fleuves à leur source », qui avait transformé le Bureau of Investigation, créé par Teddy Roosevelt en 1908, en un redoutable appareil policier fédérant les activités non seulement de la police judiciaire mais aussi celles du contre-espionnage, des renseignements généraux et des services secrets. Hoover resta quarante-huit ans à sa tête, de 1924 à 1972, traversa toutes les administrations, surmonta toutes les épreuves, combattit la Mafia, le KGB, le Ku Klux Klan. Après lui, le mandat du directeur fut limité à dix ans. Mueller est le sixième directeur de l’histoire du FBI.

Son prédécesseur, Louis Freeh, qui était un ancien de la maison, avait été nommé le 1er septembre 1993. Il eut à gérer l’après-guerre froide, l’explosion du crime organisé et des trafics de stupéfiants, la mondialisation du banditisme et du terrorisme. Bill Clinton lui avait demandé de faire du contre-espionnage économique et technologique sa priorité. La machine a commencé à déraper. Le FBI a été surpris par la trahison interne, son agent Robert Hanssen travaillait pour les Russes depuis quinze ans ; il a été débordé par des erreurs tactiques, le siège de la secte de Waco au Texas se termina par un carnage en 1993 ; il a été discrédité par sa gestion du dossier du terroriste fou Timothy McVeigh, dont il égare quatre mille pages de documents…

Un homme “droit comme une flèche”

Louis Freeh a reconnu ces “bavures” en démissionnant deux ans avant le terme de son mandat. Robert Mueller arrivait donc pour remettre de l’ordre dans la maison. C’est la guerre contre le terrorisme qui va s’en charger. « Mueller est droit comme une flèche », dit son ancien associé William Lee. C’est un amateur de course de fond, un souvenir qu’il garde des marines. « Le Bureau, disait Hoover, exigera des siens les plus grands sacrifices. Il n’en fera jamais des gens riches, mais il en fera des hommes. »

Source: Valeurs Actuelles n° 3382 (21/09/2001)

 

Les services de renseignement savaient....

Suite à la vague d'attentats meurtrière du 11 septembre les médias se sont montrées unanimes en reprochant aux services de renseignement américains d'avoir été incapables de détecter le moindre indice concernant la préparation de ces actes commandos. Une simple analyse de trois bulletins d'informations diffusés en juin par la RAI tend à démontrer que, non seulement les services américains étaient en possession d'indices prouvant le contraire, mais les services russes, allemands et italiens également.

En effet, dès le 13 juin la RAI faisait état d'un article, publié par le journal allemand Bild, et dont la source était le BND. Il était question de commandos financés par Oussama Ben Laden qui envisageaient d'attaquer un immeuble à l'aide d'avion bourré d'explosif. Le 20 juin, la RAI toujours rapportait les déclarations du général Mirov, chef de la sécurité du président russe, qui mettait en garde les Etats Unis contre un risque d'attentat islamiste à l'encontre du président des Etats Unis. Enfin le 25 juin, la RAI se faisait l'écho d'un article paru dans le journal italien Il Matino, rapportant l'existence d'une circulaire, émanant du Pentagon plaçant en alerte "Delta" les forces américaines en poste autour de la Méditerranée. Le motif invoqué était " risques d'attentats islamiques"...

Les préparatifs de ses attentats avaient donc vraisemblablement été détectés. La seule véritable erreur des services américains a été de ne pas envisager, une seule seconde, que ces actes terroristes puissent être perpétrés sur leur propre territoire...

Source: Isabel Intelligence (19/09/2001)

 

Les satellites à la poursuite de ben Laden

Alors que tous les satellites espions américains sont aux trousses d´Oussama ben Laden, deux satellites commerciaux qui doivent être lancés dans les prochains jours pourraient aussi être réquisitionnés par les services de renseignement.

L´Afghanistan est scruté comme probablement jamais il ne l´a été. Les satellites espions américains ont tous, selon la BBC News, reçu de nouvelles instructions. Ils se concentrent désormais sur le pays hôte du supposé commanditaire des attentats du 11 septembre. Les satellites destinés à intercepter les signaux radios et le trafic des téléphones portables (dans le cadre du réseau Echelon) ont été réaffectés à la surveillance exclusive de la région et de certains numéros, procédure rarissime qui marque la détermination des Américains à retrouver, au plus vite, Oussama ben Laden. Ils captent d´habitude les signaux électromagnétiques avant de les renvoyer vers les bases d´écoute au sol : là, les signaux sont analysés et traités par des supercalculateurs. Et bien que ben Laden affirme ne jamais utiliser de téléphone portable, les autorités américaines espèrent tout de même intercepter des communications compromettantes. Tâche simplifiée par la faible densité des infrastructures de communication en Afghanistan.

Des satellites civils réquisitionnés

La BBC ajoute que les autorités américaines auraient demandé à deux opérateurs de satellites commerciaux l´autorisation d´utiliser les données qu´ils vont recueillir. Ces satellites, qui doivent être mis en orbite dans les jours à venir, sont techniquement très performants. Le premier, Orbimage-4, doit être lancé le 21 septembre prochain. Il a la particularité d´embarquer une caméra destinée à analyser la composition des sols grâce à une bande de spectre particulièrement large. Capacité qui, selon les militaires américains, pourrait permettre de voir à travers les camouflages probablement utilisés par ben Laden et ses hommes pour se cacher des satellites espions traditionnels. Le second, Quickbird, devrait quitter le plancher des vaches le 18 octobre. Plus conventionnel, il possède néanmoins la meilleure résolution de tous les satellites non militaires, c´est-à-dire qu´il peut distinguer des détails de moins d´un mètre. Il palliera l´absence des satellites militaires quand ces derniers ne se trouveront pas au-dessus de l´Afghanistan.

Source: Transfert (18/09/2001)

 

La CIA savait les intérêts américains menacés

La CIA savait depuis la fin juin que des risques d'attentats, d'envergure mondiale et orchestrés par Ben Laden, pesaient sur les intérêts américains. Des allers et retours d'alerte et d'informations ont été échangés entre la France et les Etats-Unis. Le FBI a interrogé samedi 25 personnes dans le cadre de l'enquête.

L’enquête du FBI progresse

Selon les informations de la rédaction LCI, la CIA savait depuis le 30 juin que Oussama Ben Laden préparait une attaque contre les intérêts américains. Les services de renseignements américains ont dès cet instant alerté leurs homologues de plusieurs Etats européens, dont la France, que des attentats étaient susceptibles d'être commis contre les intérêts américains dans ces pays. Selon les Américains, c'est la mouvance islamique gravitant autour d'Oussama Ben Laden, réfugié en Afghanistan, qui projetait ces attentats potentiels, explique notre source sur place Christophe Moulin.

Le rôle de la France

La France a alors pris d'autant plus au sérieux l'alerte américaine que le démantèlement par la police allemande le 25 décembre 2000 à Francfort d'un commando soupçonné d'être lié à cette même mouvance avait mis au jour la préparation d'un attentat projeté à Strasbourg. L'un des membres de ce commando, l'algérien Mohamed Bensakhria, 34 ans, arrêté fin juin dans le sud de l'Espagne et présenté par les autorités de ce pays comme étant le lieutenant de Ben Laden en Europe, a été mis en examen et écroué le 12 juillet à Paris. En France, les services compétents ont diffusé cette alerte sur l'ensemble du territoire, notamment la direction centrale des Renseignements généraux (Dcrg) qui, le 3 juillet, a adressé une note à toutes ses directions départementales.

Puis, mi-juillet, les Américains demandaient à la France des renseignements sur le franco-algérien Zacharias Messaoui, 31 ans, né à Saint-Jean-de-Luz (Pyrénées-Atlantiques) qu'ils venaient d'arrêter en possession d'un faux passeport alors qu'il se formait au pilotage d'avions gros porteurs. Aussitôt, les services français avaient fait savoir à leurs collègues américains qu'ils connaissaient Messaoui, le suspectaient d'être "un mercenaire afghan", résidant officiellement dans la banlieue londonienne entre plusieurs voyages en Afghanistan. Messaoui était d'ailleurs inscrit sur le Fichier des personnes recherchées (FPR), non "aux fins d'arrestation" mais seulement "mis en attention" pour que ses déplacements, en cas de contrôle, soient signalés.

Source: TF1 (16/09/2001)

 

Technologies contre détermination

Les récentes attaques survenues aux Etats-Unis viennent de montrer que, face à la simple détermination des terroristes, la maîtrise technologique était restée impuissante.

A quel siècle appartiennent les terroristes qui ont frappé les Etats-Unis ce 11 septembre 2001 ? A des temps que l'on croyait de toute façon révolus, certes. Mais, l'enquête en cours devrait aussi permettre de savoir si les auteurs de ces attentats sanglants ont su tirer profit d'une maîtrise poussée des nouvelles technologies, notamment Internet, pour déjouer les systèmes de surveillance eux-mêmes particulièrement sophistiqués de la première puissance mondiale. Ou bien, à l'inverse, s'ils ont tout bonnement utilisé les vieilles recettes du terrorisme des décennies 70 et 80 pour préparer et commettre leurs crimes.

Quelques heures à peine après la tragédie, pour de nombreux commentateurs, la faillite du système de défense américain ne pouvait avoir qu'une cause : il était tombé sur plus sophistiqué et plus performant que lui dans la maîtrise des nouvelles technologies. Les flottes de bateaux, d'avions, de radars et de satellites espions, le système Echelon, les 30 milliards de dollars dépensés chaque année pour intercepter les conversations téléphoniques, les e-mails et les fax, tout cela aurait donc été joué par une poignée d'islamistes surdoués. Un rapport récent ne dit-il pas que Oussama ben Laden, principal suspect des attentats, utiliserait régulièrement un processus complexe baptisé ''stéganographie'' lui permettant d'envoyer des photos sur Internet contenant des messages cachés ? Le chef de la National Security Agency, les « grandes oreilles » américaines, n'a-t-il pas reconnu cette année que son agence était « à la traîne pour suivre la révolution internationale du secteur des télécommunications » ?

Pourtant, une autre lecture des événements est plus inquiétante encore. Il y a une trentaine d'années, le terrorisme était déjà considéré comme la bombe atomique du pauvre. Le recours à quatre détournements d'avions de ligne par des terroristes apparemment armés de simple couteaux et de cutters pourrait indiquer que la stratégie suivie était plutôt de recourir à des moyens considérables, mais « classiques », à mille lieues de l'impuissante débauche de technologies dont est aujourd'hui paré le renseignement moderne. Les premiers éléments de l'enquête dessinent donc plutôt une opération dont le principal moteur a été la détermination de ses exécutants.

Dans ce cas, si les terroristes ont pu intégrer les nouvelles technologies dans leurs plans, c'est surtout en donnant à leurs exactions un retentissement planétaire colossal et immédiat. Grâce à Internet, aux e-mails et aux télévisions par satellite, le monde entier s'est retrouvé en état de choc en direct, ou en quasi-direct. Autant que la mort, c'est aussi la peur qu'ils cherchaient à semer.

Source: La Tribune (14/09/2001)

 

Le FBI épluche l'Internet: les enquêteurs décortiquent les e-mails à la recherche d'indices.

L'Internet américain est sous haute surveillance. Depuis mardi, le FBI se présente auprès des fournisseurs d'accès au réseau pour éplucher les communications électroniques, et notamment les e-mails. Selon les quotidiens en ligne Wired News et Cnet, les sociétés Earthlink, AOL ou encore Hotmail (Microsoft) ont reçu la visite des enquêteurs désireux d'éplucher en détail les «logs» - ces traces numériques des échanges sur le réseau. Cryptographie. L'un des ingénieurs cités anonymement par Wired News évoque même la demande du FBI d'utiliser Carnivore (aujourd'hui rebaptisé DCS 1000), une «machine-espion» controversée, que les enquêteurs peuvent brancher sur le réseau d'une entreprise et qui permet de trier des milliers de messages pour en extraire les informations souhaitées.

Difficulté principale : les messages échangés par les terroristes sont très certainement cryptés, et donc illisibles. En mars, le patron du FBI, Louis Freeh, avait signalé au Congrès américain que les «terroristes islamistes» usaient depuis cinq ans d'outils de «cryptographie incassables». De plus, le simple fait de tomber sur un message crypté n'est même plus un indice : un nombre croissant d'entreprises et de particuliers brouillent leurs communications afin d'échapper aux regards des concurrents ou de l'Etat, résultat d'une libéralisation des outils de codage autrefois réservés aux militaires et à la diplomatie.

Appoint

«Il y a désormais des millions de flux cryptés dans le monde chaque jour», dit Joël Rivière, ancien responsable informatique de l'Institut de recherche criminelle de la gendarmerie à Rosny-sous-Bois et fondateur de la société de sécurité informatique Lexsi. «C'est fini le temps où l'on pouvait se dire "c'est crypté, c'est pas normal".» Reste que «les gens font toujours des erreurs», poursuit-il, et les enquêteurs américains peuvent tabler là-dessus. Voire recouper les indices pêchés lors de l'épluchage électronique avec des éléments glanés par ailleurs. La surveillance électronique, en l'occurrence, ne vient qu'en appoint d'une enquête plus générale.

Source: Liberation (14/09/2001)

 

Pouvait-on prévoir les attaques?

C'est la question que bon nombre se posent et posent aux services de renseignement. Dans un article diffusé sur le service de nouvelles Wired, Kristen Philipkoski présente les commentaires de certains observateurs des questions stratégiques sur le ratage des services de renseignement. Si on mentionne les réductions de budgets, on parle également d'un virage manqué, du passage de l'époque de la Guerre froide à une ère de conflits plus subtils, asymétriques, où il devient difficile d'identifier nommément les adversaires.

Alors que le nom de Ousama Bin Laden circule un peu partout, on s'est souvenu d'un article publié cet été dans The Atlantic Monthly, «The Counterterrorist Myth» (le mythe contre-terroriste). Un ancien cadre de la CIA, Reuel Marc Gerecht, expliquait pourquoi Bin Laden avait peu à craindre des services de renseignement étasuniens.

En fait, Gerecht affirme que le programme de contre-terrorisme des États-Unis au Moyen Orient est un mythe. D'une part, les services de renseignement connaissent mal la culture et la pensée islamiques. Puis, ils n'ont jamais portée une réelle attention à certains points chauds de la région. Par exemple, tout au long du conflit soviéto/afghan (1979 à 1989), la direction des opérations de la CIA n'a jamais constitué un bureau d'experts sur cette région. Plus, ce n'est qu'en 1987, soit 18 mois avant la fin de la guerre, que le premier analyste à parler les langues afghanes est arrivé en Afghanistan. Des suggestions d'analystes visant à recueillir des renseignements depuis des pays voisins de l'Afghanistan ont été rejetées comme étant trop coûteuses et trop dangereuses.

Source: Chroniques de Cyberie (14/09/2001)

 

Les services secrets dormaient-ils?

Les services de sécurité US ont trouvé leurs maîtres: les cyber-terroristes à la sauce islamiste...

Mais que faisaient donc les services secrets? Incroyable peut-être mais vrai: la réussite de l'attentat est sans doute moins la défaite de l'impressionnant arsenal antiterroriste américain que le terrifiant triomphe de cyberterroristes qui ne reculent plus devant rien pour semer la mort et la désolation.

Un terrorisme sans foi ni loi

Ses objectifs n'ont plus rien en commun avec les buts politiques jadis poursuivis par ce type d'organisations. Aujourd'hui, le terrorisme est bel et bien entré dans l'ère de la destruction massive, avec comme seule et terrifiante vocation de tuer à grande échelle. «De ce point de vue, il s'agit d'une nouvelle forme de guerre» analyse Tanguy Struye, chercheur au Centre d'étude sur les crises et les conflits internationaux de l'UCL, occupé à une thèse de doctorat sur la politique américaine face au terrorisme. Les spécialistes de la lutte craignent comme la peste que ce néoterrorisme n'use de l'arme chimique, biologique ou nucléaire. Actuellement, le Département d'Etat américain dispose d'une liste de 29 organisations terroristes susceptibles de se procurer des armes de destruction massive.

Des terroristes remarquablement incontrôlés

L'attentat qui a frappé le cœur des Etats-Unis relève d'un épouvantable travail de pros. C'est une autre tendance effrayante des terroristes modernes. «Ils sont de plus en plus organisés, évoluent dans des réseaux de moins en moins hiérarchisés.» L'efficacité est aussi techniquement que juridiquement redoutable: «Ceux qui préparent les attentats ne sont plus ceux qui les commettent, ils ne se connaissent pas entre eux. De ce fait, même si les auteurs sont interceptés, il devient très difficile de remonter jusqu'à la tête» estime Tanguy Struye. Un véritable cloisonnement des activités en cellules totalement indépendantes, qui permet de passer à travers les mailles du filet. Ce qui rend difficile le travail de pénétration et d'infiltration de tels groupes de fanatiques imprévisibles. Il devient moins évident de trouver des liens avec des Etats traditionnellement bienveillants à l'égard des terroristes, et de remonter des filières financières à présent alimentées par le trafic de drogue ou des fonds privés complexes à démasquer.

Des terroristes qui prennent le temps

Jusqu'à trois, quatre ans de préparation avant de passer à l'action et de réveiller des «agents dormants» installés depuis belle lurette dans le pays visé et prêts à mourir.

Un cyberterrorisme terriblement efficace

Internet permet à des groupes isolés de recruter et de planifier des actes terroristes plus facilement. «Le développement du cryptage des messages sur Internet rend difficile leur interception» poursuit Tanguy Struye. Comme quoi Echelon, le système planétaire d'écoute des communications, a ses limites...

En février dernier, plusieurs responsables des services secrets américains disaient leur inquiétude de voir ben Laden et d'autres islamistes extrémistes user d'Internet pour préparer leurs attentats aux Etats-Unis: c'est notamment via des sites pornographiques ou sportifs qu'ils faisaient passer photos, cartes et instructions sur les cibles à atteindre. «Les détails opérationnels et les objectifs figurent sur Internet mais ne sont accessibles qu'aux membres des organisations terroristes qui possèdent les codes nécessaires pour télécharger ces informations.»

Des services secrets qui mettent pourtant le paquet

11 milliards de dollars par an consacrés à lutter contre le terrorisme: les Etats-Unis ne lésinent plus sur les moyens financiers pour empêcher les terroristes de nuire. Depuis l'attentat de 93 au WTC, le FBI a ainsi triplé ses forces antiterroristes. Trop c'est trop? «J'ai souvent dû constater que tous ces services américains se jalousaient et se livraient à une concurrence qui pouvait être préjudiciable à leurs activités» précise le professeur Lode van Outrive, spécialiste belge du système policier.

Source: La Meuse (13/09/2001)

Le FBI enquête aussi sur Internet

Après les attentats, Internet est resté le meilleur moyen de communiquer avec les Etats-Unis. Mais Internet aurrait également été un moyen très efficace pour préparer les attentats.

Lors des attentats contre le World Trade Center, Internet a joué un rôle important. Le réseau des réseaux est en effet devenu l'un des seuls moyens de communication encore opérationnel à l'intérieur des Etats-Unis, mais aussi pour toutes les communications internationales.

Le réseau téléphonique, en particulier international était submergé, mais Internet permettait encore des échanges.

Internet a également été assiégé au niveau des sites d'information. Peu après l'annonce des attentats, Matrix.net, une société spécialisée dans l'analyse des audiences Internet a noté une dégradation croissante des performances des infrastructures du web, mais l'accessibilité moyenne se situait aux alentours de 88%, soit 6% de moins que la moyenne. La patience était donc de rigueur pour les internautes.

Mais Internet a également été rapidement mis sur la sellette. Non pas pour l'information des sites mais bien pour la facilité de transférer des données encryptées d'un continent à l'autre. C'est pour cette raison que les Etats-Unis remettent en cause une fois de plus l'encryptage des courriers électroniques, L'interdiction de cet encryptage permettrait à des services de type Echelon de plus facilement les intercepter et les lire.

Mais voilà, en Europe justement on pousse de plus en plus les entreprises à utiliser l'encryptage. Les soupçons que certains contrats aient échappés à des entreprises européennes en raison de l'espionnage systématique de leurs échanges électroniques poussent les européens à la prudence.

Aux Etats-Unis, Quelques heures à peine après les attentats, la police fédérale a décidé de rapidement accroître la surveillance du net. Des agents du FBI ont rendu visite aux fournisseurs d'adresses e-mails, et au fournisseur d'accès Internet en leur demandant qui se connectait ou discutait dans un anonymat total.

Les agents ont proposé également de placer des mouchards sur leurs serveurs afin d'intercepter très facilement toutes les requêtes et échange de courrier. Certains fournisseur d'accès ont accepté, d'autres pas.

Hotmail, la messagerie gratuite de MSN a été contactée afin de donner des informations sur des comptes de courriers particuliers. Ces adresses commencent par Allah et les échangent se font en arabe.

En février dernier, les autorités américaines avaient déjà annoncé que Ben Laden, le suspect numéro un dans l'organisation des attentats, avait créé son propre système d'encryption pour communiquer avec ses groupements par l'intermédiaire du net, sans que ces communications puissent être comprises.

Source: RTBF (13/09/2001)

 

Victoire des couteaux sur les satellites: Le terrorisme international est en train de gagner la guerre «asymétrique»

Les attentats apocalyptiques de New York et Washington donnent raison aux experts qui prédisent depuis quelques années que le terrorisme international est en train de gagner la guerre «asymétrique» qui l'oppose dans tous les coins chauds de la planète aux services de renseignements officiels.

Par guerre «asymétrique», les spécialistes du renseignement militaire ou de sécurité, comme Andrew Koch, du bureau de Washington du Jane's Defence Weekly, entendent le fait que les services de sécurité américain accroissent leur capacité d'espionnage électronique pendant que les petits groupes terroristes réduisent le recours aux appareils électroniques dans leurs relations interpersonnelles, qui se limiteraient de plus en plus aux contacts directs.

L'écart croissant entre les moyens d'écoute et de visionnement électronique des Américains et leurs cibles terroristes a été reconnu le jour même de l'attentat par le Sénateur américain Bob Graham, président du très sélect comité sénatorial sur le renseignement. M. Graham déclarait que les États-Unis doivent redonner la priorité au renseignement humain , le «HUMMIT» dont parlent les spécialistes pour désigner le «Human Intelligence».

Au coeur de ce débat, l'évolution controversée de la National Security Agency (NSA), dont les États-Unis ne reconnaissaient pas l'existence officiellement il y a cinq ans malgré son budget toujours secret d'environ 30 milliards. L'agence, créée à partir des services logistiques d'après-guerre froide pour décoder les communications internationales, les chiffres secrets des ambassades, etc., s'est équipée aujourd'hui non seulement pour écouter à peu près toutes les communications téléphoniques de la planète avec la collaboration des grandes sociétés de téléphone et de transmission satellite mais aussi les courriels. Ses logiciels de recherche filtrent les communications névralgiques à partir de mots-clé. Il en résulte des millions de documents à déchiffrer chaque jour. Mais le talon d'Achille de cette super machine, c'est qu'elle n'a pas suffisamment de personnel pour comprendre les subtilités de toutes les langues et, mieux, de comprendre la portée, la finesse ou les subtilités des messages en cause.

Fin de la guerre froide

À la fin de la guerre froide, la NSA a développé davantage son arsenal technologique de haute volée vers des cibles symétriques, c'est-à-dire susceptibles d'être piégées par ses techniques: les communications internationales et personnelles. Elle a aussi investi massivement dans l'identification alpha-numérique des visages photographiés dans des manifestations, des assemblées publiques, aux aéroports, etc., une technique initialement développée au Canada par un pendant tout aussi secret, le Secret Investigation Bureau (SIB), très actif dans ce domaine dans les années 70 particulièrement au Québec... Plus récemment, la NSA a été dénoncée pour avoir mis son arsenal d'écoute électronique au service des multinationales américaines dans le projet ECHELON, dont l'aéronautique européenne a notamment fait les frais.

Pendant que les États-Unis ajoutaient des milliards au budget de leur nouvelle National Reconnaissance Organisation (NRO), chargée de tout voir avec des caméras cachées ou suspendues au-dessus des têtes dans des satellites-espion, et que le président Bush s'engageait à allonger la panoplie avec son système antimissile, c'est avec des couteaux que des terroristes se préparaient à transformer des avions commerciaux de lignes internes en bombes volantes d'une puissance similaire à celles que les militaires attendent aux frontières...

Même si la NSA et la nouvelle NRO étaient éventuellement dotées de plus nombreux et meilleurs analystes, il leur resterait à briser le mur des ethnies, de la langue, de la religion des petites communautés où les clans terroristes se limitent souvent à des cellules d'intimes ou de parents. Des groupes encore plus difficile à neutraliser à moins d'un retour aux vieilles méthodes d'infiltration, que préconisent plusieurs experts qui n'en finissent plus de dresser la liste des grands coups qu'aucun service de renseignement n'a vu venir, comme au World Trade Center en 1993 ou lors de l'attaque-suicide qui a rasé l'ambassade des États-Unis à Nairobi en 1998, ou qui a permis de couler le USS Cole l'automne dernier à Aden au Yémen avec un petit zodiac!

Selon Rohan Gunaratna, un spécialiste du terrorisme-suicide, le perfectionnement des techniques pour la dizaine de grands mouvements terroristes connus passe non pas par la gadgeterie électronique, vulnérables devant l'arsenal des technologies de pointe, mais plutôt par le recrutement de volontaires pour les missions-suicide, qu'on implante souvent patiemment trois ou quatre ans d'avance dans le pays-cible, par la simplification des bombes pour réduire les marges d'erreur, voire par le recours à des chiens renifleurs pour mettre au point des bombes qui ne sentent rien.

Mais pour le général Mike Hyden, patron de la NSA, si le terroriste international Ben Laden, l'adversaire acharné du «Grand Satan» américain (le président Bush parle de lui en termes aussi religieux comme le «Mal» incarné...), il faut plus de budgets et de gadgets car, disait-il le 11 février dernier sur les ondes de CBS, car «ben Laden peut s'appuyer sur une industrie de télécommunications dont le budget s'élève à 3 000 milliards par an. Il a donc de meilleurs technologies que nous». Un verdict que l'industrie des communications partage certainement...

Source: Le Devoir (13/09/2001)

 

La faillite du renseignement

Traditionnellement proche des services américains, l’agence de consultants en géostratégie Stratfor ne peut que constater l’impuissance des autorités.

Quatre avions civils ont été détournés par des gens suffisamment formés pour pouvoir manœuvrer des appareils multiréacteurs et les lancer contre des immeubles. Ces vols sont partis d’un certain nombre de nos aéroports. Chaque incident a nécessité la présence d’au moins un pirate, mais ils étaient probablement beaucoup plus, et tous prêts à mourir dans l’opération. Monter une attaque de cette envergure n’a rien de simple. Dans le cas du World Trade Center, l’effondrement des deux tours signifie soit que les avions étaient chargés d’explosifs, soit que des charges massives avaient été disposées à l’avance dans les bâtiments. Ce n’est qu’une supposition, mais cet effondrement n’a pu avoir lieu qu’à la suite d’explosions secondaires. Par conséquent, cette opération a dû impliquer un personnel nombreux et a nécessité une coordination sur plusieurs continents, une synchronisation des actions. Il ne s’agit pour l’instant que d’une estimation, mais les réseaux ont dû représenter des dizaines de personnes. Lesquelles devaient s’échanger des messages, codés ou autres. Or les conspirateurs n’ont apparemment pas été inquiétés. Aucun message important n’a été intercepté ou décodé. Que la communauté du renseignement américain soit passée à côté d’une telle opération est la preuve de deux choses. D’une part, la compétence des services américains est surestimée, ou alors les décideurs ne sont plus à même de tenir compte de leurs avis. D’autre part, les réseaux terroristes se sont dotés d’une capacité de contre-renseignement d’une telle sophistication que le niveau traditionnel d’expertise dans ce domaine est désormais dépassé. Quoi qu’il en soit, le 11 septembre 2001 restera dans l’Histoire comme l’un des pires échecs des services spéciaux.

 

Source: Stratfor (13/09/2001)

Guerre secrète : L’Amérique se savait menacée

Les Etats-Unis connaissaient la menace islamiste et leurs vulnérabilités. Mais personne ne s’attendait à ce terrorisme de masse, avec ces moyens aussi “rustiques”. Le 4 juin 2000, la Commission nationale sur le terrorisme avait identifié « une menace nouvelle, plus diffuse, plus mortelle » et réclamé à Bill Clinton des nouvelles mesures antiterroristes, allant jusqu’à la surveillance des étudiants étrangers aux Etats-Unis. D’autres enquêtes plus récentes étaient parvenues aux mêmes conclusions. « Une attaque terroriste à l’intérieur de nos frontières est probable. Les Etats-Unis doivent s’y préparer », annonçait le 15 décembre 2000 James Gilmore, gouverneur de Virginie, président d’une commission du Congrès sur le terrorisme. « Les attaques terroristes contre les Etats-Unis seront à l’avenir plus sophistiquées et conçues pour tuer en masse », avait renchéri deux jours plus tard, George Tenet, le directeur de la CIA. Mais les menaces qu’il évoquait provenaient « d’armes biologiques, chimiques et nucléaires », et non d’avions de ligne civils transformés en bombes guidées… La CIA avait dénoncé Oussama Ben Laden comme « l’ennemi public numéro un des Etats-Unis » (Valeurs Actuelles du 13 avril 2001), à l’occasion du procès à New York, ce printemps, de quatre de ses acolytes de Ben Laden, impliqués dans les deux attentats du 7 août 1998 à Dar Es Salaam et Nairobi (deux cent vingt-quatre morts). George Bush avait pris ces mises en garde au sérieux. Le 8 mai, il demandait à Dick Cheney, son vice-président, et à la FEMA (Federal Emergency Management Agency), de préparer un plan de riposte en cas d’attaque terroriste. Leurs recommandations étaient attendues pour le 1er octobre. Les terroristes ont pris la Maison-Blanche de vitesse. Les menaces s’étaient multipliées et précisées. A la mi-juin, un message codé faisant état « d’une grande surprise, une frappe dure contre les intérêts américains » avait été intercepté. La Ve flotte dans le Golfe et toutes les représentations diplomatiques américaines dans le monde avaient été placées en “état d’alerte”. A la fin août, les bureaux du journal arabe Al-Qods al Arabi à Londres avaient reçu une mise en garde signée de Ben Laden annonçant une opération “spectaculaire” contre les Etats-Unis.

26 février 1993, le World Trade Center déjà visé !

Ben Laden et ses réseaux n’en étaient pas à leur coup d’essai. On les soupçonne d’être responsables de l’attentat kamikaze du 12 octobre 2000 contre le destroyer USS Cole dans le port d’Aden : un canot à moteur bourré d’explosifs s’était précipité contre le navire, faisant dix-sept victimes. Quelques mois plus tôt, le 14 décembre 1999, la police américaine des frontières avait intercepté un certain Ahmed Ressam, Algérien réfugié au Canada, alors qu’il transportait plusieurs centaines de kilos d’explosif dans sa voiture. Lié à Ben Laden, il préparait une action d’éclat pour la nuit du millénaire. Le 31 juillet 1997 déjà, la police de New York avait déjoué une série d’attentats devant se produire dans le métro. Un raid dans un appartement de Brooklyn avait permis de découvrir cinq bombes. Les locataires, Palestiniens et Jordaniens, venaient de déposer des demandes d’asile politique. L’un d’eux avait dit aux policiers : « Je suis un kamikaze. » Le World Trade Center fut, précisément, la première cible des terroristes islamistes sur le sol américain, le 26 février 1993. L’explosion d’un camion piégé dans un sous-sol d’une des deux tours n’avait fait “que” six victimes. Le responsable, un imam aveugle de Brooklyn, le cheik égyptien Omar Abdel Rahman, fomenteur d’une « guerre de terrorisme urbain » sur le sol américain, a été condamné à la prison à vie. « Vous ne serez plus jamais en mesure de recommencer », lui avait lancé le juge en prononçant sa condamnation. Arrêté au Pakistan en 1995 et condamné à deux cent quarante années de captivité aux Etats-Unis, l’artificier du groupe, Ramzi Ahmed Youssef, avait confié aux agents du FBI qu’il voulait « abattre les tours et faire deux cent cinquante mille victimes… »

Source: Valeurs Actuelles n° 3381 (13/09/2001)

 

La fin du mythe du renseignement technologique

Christian Harbulot, directeur de l'École de guerre économique, ouvre le débat sur la réaction appropriée des démocraties, diminuées par l'apparente impuissance du "renseignement électronique".

Combien d'experts avons-nous entendu, au cours de ces dernières années, chanter les louanges de la prédominance du renseignement technologique sur le renseignement humain. Les satellites, l'informatique, le traçage sur le net étaient présentés comme les armes absolues pour détecter les menaces militaires, politiques et économiques. Il a fallu la détermination de quelques fanatiques, artisanalement armés si l'on en croit les premiers témoignages (couteaux et cutters), et parfaitement bien organisés pour déstabiliser l'un des centres nerveux de l'économie mondiale. La ruse et la folie suicidaire ont réduit à néant le rideau protecteur du plus grand système de renseignement électronique du monde. Cette leçon ne doit pas être oubliée.

La redéfinition de la défense des démocraties

Les actions terroristes menées hier contre les symboles de la superpuissance américaine montrent clairement que le système défensif des démocraties est devenu inefficace. Si la seule parade contre les auteurs des attentats est l'investigation policière et la mise en examen des coupables, il est évident qu'elle ne servira à rien, sinon à rassurer ponctuellement les opinions publiques. Si les démocraties ont su inventer le droit d'ingérence humanitaire, elles sont condamnées depuis mardi à inventer des parades de guerre pour stopper toute démarche anti-humanitaire. Aucune loi ne peut arrêter une organisation terroriste qui a décidé de passer à l'acte suicide. Refuser de regarder la réalité en face, c'est accepter officiellement de subir la loi de forces irresponsables, c'est-à-dire d'être irresponsable soi-même. Les propos lénifiants sur le respect des règles démocratiques que nous entendons ici et là me rappellent une situation tristement pavlovienne : la réaction des opinions publiques européennes lors des accords de Munich signés avec Adolf Hitler. La « paix à tout prix » a abouti aux 50 millions de morts de la Seconde Guerre mondiale. Combien de leçons de ce type faudra-t-il pour que l'évidence soit enfin comprise : on ne combat pas des fanatiques avec des déclarations de bonne conduite.

Source: ZDNet (13/09/2001)

 

Constat d'échec parmi les services de renseignements américains

La politique américaine qui consiste à refuser d'assassiner directement toute personne menaçant les Etats-Unis ''mériterait d'être révisée'', a estimé mardi Bob Graham, le président de la Commission judiciaire du Sénat.

''Je pense que la chose la plus importante à faire est de reconstruire l'ensemble des services de renseignements'', a ajouté Bob Graham au lendemain des attentats de New York, Washington et Pennsylvanie.

Selon le président de la Commission judiciaire du Sénat, le potentiel humain des services de renseignements mérite d'être renforcé, afin d'infiltrer aussi bien les cellules que les groupuscules et d'être informé de leurs activités ainsi que de leurs motivations.

Après les attentats perpétrés à New York et à Washington sur les bâtiments du World Trade Center et du Pentagone, le constat d'échec prévaut parmi les services de renseignements américains. Aucun des outils de renseignements dont disposent Washington n'a en effet permis d'anticiper sur le scénario catastrophe qui a précipité trois avions de ligne américains sur les tours jumelles du World Trade Center à New York ainsi que sur le Pentagone, centre nerveux de l'armée américaine.

Des représentants américains ont confirmé qu'ils n'avaient pas eu vent de l'imminence des attaques. Ni de la part des réseaux d'espions et d'informateurs de la CIA, ni de la part des agents du FBI. Ni même des satellites militaires ou encore des avions-espions américains.

''Si les services de renseignements étaient parvenus à se rassembler, nous aurions pu déjouer'' les attaques, a estimé le sénateur Richard Shelby, vice-président de la commission des services de renseignements du Sénat qui surveille les 30 milliards de dollars (33,3 milliards d'euros, 219 milliards de FF) alloués aux services de renseignements américains. ''Il n'y aura jamais de services de renseignements parfaits, mais nous pouvons éviter ce genre d'échecs'', a ajouté M. Shelby.

Un constat renouvelé par John Martin, ancien représentant du Département américain de la Justice.''C'est un échec de la sécurité et de l'ensemble des services de renseignements américains''.

Mardi, les responsables des services de sécurité et de renseignements américains suspectaient Oussama Ben Laden, le milliardaire d'origine saoudienne en exil, d'être derrière les attentats meurtriers commis aux Etats-Unis.

Selon le sénateur de l'Utah Orrin Hatch, membre de la Commission judiciaire du Sénat, les services de renseignements américains ont intercepté des communications téléphoniques entre des sympathisants d'Oussama Ben Laden.

''Nous aurions dû rester sur la défensive face à Ben Laden'', a estimé Orrin Hatch. ''C'est plus qu'une affaire de renseignement, il s'agit d'une opération militaire'', a-t-il ajouté.

Source: AP (12/09/2001)

 

Des services de renseignement en plein marasme

C'est un terrible constat d'échec. Les services de renseignements américains n'ont pas pu, ou pas su, prévoir le pire. Le pire, le directeur de la CIA, George Tenet, l'a pourtant annoncé dès février. Il présente alors le réseau Ben Laden comme "la menace la plus immédiate" pour les USA. Mais l'avertissement reste lettre morte.

Les spécialistes ne sont pas surpris par cette inertie. Depuis quelques années, le renseignement américain est en en effet en plein marasme, en plein doute: coupes sombres dans les budgets, départs des meilleurs agents vers le privé, guerre permanente des différentes agences, CIA, NSA,FBI.

Mais surtout, les services de contre-espionnage ont peu à peu délaissé le travail classique de terrain. Les liens traditionnels tissés avec les Israéliens du Mossad par exemple ou encore le BKA allemand, le MI5 britannique se sont distendus. Les honorables correspondants de la CIA sont moins nombreux, moins actifs. Priorité est donnée à la surveillance électronique, aux satellites, à la traque économique. "C'est une tendance lourde dans le monde du renseignement" reconnaît un haut-gradé français.

Ce militaire ajoute que le "travail de contact" et d"infiltration", celui justement qui permet d'approcher au plus près les terroristes dans leur environnement est peu à peu abandonné. Trop incertain, trop lent, trop risqué. La dernière opération de ce type remonte à 1994 avec l'interpellation de Carlos au Soudan par le général Philippe Rondot. Oussama Ben Laden, lui, n'a jamais pû être approché d'aussi près par les services occidentaux.

Source: RTL (12/09/2001)

 

Un Pearl Harbor pour les service de renseignements américains, pris de court

Les services de sécurité de la superpuissance américaine ont été pris de court mardi par des attentats d'une ampleur et d'une coordination inégalées, selon des experts qui pointent du doigt, sans preuves à ce stade, Oussama ben Laden.

Ces spécialistes, interrogés par l'AFP, notent que les différentes agences de renseignement civiles et militaires ont été surprises, notamment parce qu'elles n'ont pas pu infiltrer certains groupes terroristes.

Certes ces services avaient manifestement, selon ces sources, prévenu des attentats terroristes avant le nouvel an 2000 et procédé à des arrestations de suspects arrivés aux Etats-Unis avec des explosifs.

"Il y a eu une faille dans notre renseignement", apparemment il n'y a pas eu d'avertissements, a déclaré Ann Nelson de l'American University, se demandant comment des terroristes avaient pu pénétrer dans les avions qui se sont écrasés contre le World Trade Center, à New York, et le Pentagone à Washington.

"Il est très difficile d'infiltrer des groupes terroristes originaires du même village", estime cette historienne du renseignement.

Selon elle, le "tout technologique" de la surveillance électronique ou par satellite a fait long feu et "les moyens humains" de la CIA ou du FBI doivent être augmentés.

Dan Goure, du centre de recherches conservateur Lexington, admet lui aussi que "même aux Etats-Unis, il est très difficile d'infiltrer des groupes mafieux", qui parlent le même dialecte, se connaissent.

Mais cet expert militaire estime que les services d'espionnage technologique, comme la NSA (Agence de sécurité nationale) à l'écoute des communications électroniques dans le monde ou le NRO (Bureau national de reconnaissance), en charge des satellites espions, n'ont pas été à la hauteur de la tâche.

"Au contraire il faut renforcer la technologie": les terroristes ont forcément communiqué pour préparer leurs attaques et auraient dû être interceptés, estime M. Goure.

Enfin selon lui, il faudra en finir avec la division néfaste du contre-terrorisme entre agences rivales comme CIA, FBI, NSA ou services des armées.

Qui a pu mener avec autant d'efficacité de telles attaques meurtrières au coeur même de la superpuissance?

Les spécialistes restaient prudents quelques heures seulement après le désastre.

Le sénateur Orrin Hatch, qui venait d'être briefé par le FBI (police fédérale américaine), a pourtant estimé à la télévision qu'il était "possible de voir la signature de Oussama ben Laden".

"C'est le suspect numéro un", a estimé sur CNN le spécialiste du renseignement Peter Bergen, affirmant que le milliardaire d'origine saoudienne été très certainement capable de mener des attaques simultanées contre des ambassades américains au Kenya et en Tanzanie en 1998.

Des enregistrements laissaient aussi présager des "attaques imminentes", a-t-il estimé.

Outre des Etats "renégats", tels que l'Irak, seuls quelques groupes comme celui de ben Laden ou le FDLP palestinien auraient les moyens de mener des attaques aussi vastes et précises, estime encore Dan Goure qui se dit persuadé que les commanditaires seront retrouvés et éliminés.

"Ce jour du 11 septembre 2001 restera dans l'histoire du monde civilisé comme aussi mémorable que l'attaque surprise du 7 décembre" 1941 par les Japonais à Pearl Harbor, a-t-il encore déclaré.

Ann Nelson rejette l'analogie avec Pearl Harbor qui était une entrée en guerre et rappelle qu'avant de frapper les pilotes japonais kamikaze établissaient un silence radio total.

Selon l'historienne, les dirigeants des Etats-Unis n'ont en fait pas assez prêté attention depuis des années au reste du monde, en négligeant notamment les tensions au Proche-Orient depuis la guerre du Golfe.

Engoncés dans la croyance que leur sanctuaire national était sûr, "les Américains vont paniquer" face à "un terrible élément d'incertitude", pour Mme Nelson.

Source: AFP (11/09/2001)